Mobiles : l'étau se resserre autour de l'oligopole tricolore
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Lourdement condamnés pour entente par le Conseil de la concurrence, Orange, SFR et Bouygues Telecom ont fait appel. Pas de quoi améliorer l'image du marché français ni celle de l'Autorité de régulation.
Opérateurs condamnés pour entente, parts de marché étonnamment stabilisées depuis plusieurs années, tarifs exorbitants des appels émis depuis l'étranger : la France découvre enfin que la concurrence dans le cellulaire est toute relative ! Nul besoin cependant d'être un observateur averti pour se douter que quelque chose ne tournait pas rond. Souvent décrite dans ces colonnes, cette situation n'est pas nouvelle si ce n'est sa médiatisation depuis l'amende record (534 millions d'euros) infligée, fin novembre, par le Conseil de la concurrence aux trois opérateurs cellulaires pour s'être illégalement concertés entre eux.Avec seulement trois opérateurs (ce que les économistes appellent un oligopole), alors qu'on en recense au minimum un ou deux supplémentaires chez la plupart de nos voisins, la pression concurrentielle est nécessairement moindre. En conséquence, le taux de pénétration du cellulaire (de l'ordre de 75 %) est significativement inférieur en France à ce qu'il est dans le reste de l'Europe. Quant aux fameux MVNO, ils ont été quasi préemptés, à des conditions tarifaires fort peu avantageuses pour les intéressés, par Orange et SFR (lire 01 Réseaux, n?' 141, p. 12, n?' 142, p. 22 et n?' 156, p. 24). Pas de quoi créer les conditions d'une véritable concurrence comme en Grande-Bretagne, au Danemark (où Orange a jeté l'éponge mi-2004) ou aux Pays-Bas ! Un contexte dans lequel la récente condamnation des pratiques ?" notamment l'échange régulier d'informations confidentielles ?" des trois opérateurs (décision consultable sur www.conseil-concurrence.fr) a servi de révélateur.
Mieux que le Da Vinci Code
Au-delà du montant record de l'amende, cette sanction consacre le poids croissant du Conseil de la concurrence dans la vie économique. L'affaire a beau être rocambolesque ?" ' mieux que le Da Vinci Code ' dit un de ses protagonistes ?" et les trois opérateurs ont beau avoir fait appel, elle laissera des traces... Instruite sous la pression d'une association de consommateurs, en l'occurrence UFC-Que Choisir, sa médiatisation révèle aussi la position inconfortable du régulateur qui, sous couvert de formalisme, a de plus en plus de difficultés à exercer ses prérogatives. Comment l'ART (rebaptisée Arcep), le gendarme du secteur, pourtant aux premières loges et censée défendre l'intérêt des consommateurs, ne s'est-elle aperçue de rien ? La concomitance de certains ajustements tarifaires conjuguée à l'étonnante stabilité des parts de marché des trois opérateurs aurait pourtant dû lui mettre la puce à l'oreille... Interrogé sur ce point, Paul Champsaur, l'actuel président de l'Autorité de régulation, répond qu'' à l'époque les pouvoirs du régulateur étaient réduits ' et que ' l'Arcep ne dispose d'aucune compétence en la matière '*. Et le président de l'Arcep de préciser que ses compétences en ce domaine se limitent aux marchés de gros, le sort du consommateur étant entre les mains du Conseil de la concurrence. Un formalisme conforme à la tradition administrative française mais qui permet aussi de s'exonérer de ses propres turpitudes. En donnant satisfaction aux opérateurs cellulaires sur le rythme de publication de son Observatoire des mobiles, l'ART n'a guère participé à la transparence du marché (à telle enseigne que le régulateur ne publie aujourd'hui la part de marché des opérateurs que deux fois par an). Inversement, son attitude nettement plus offensive dans le domaine de l'ADSL a porté ses fruits puisque le marché français est le plus concurrentiel et le plus avancé d'Europe.
L'enjeu de l'itinérance
Il est vrai qu'après avoir longtemps servi d'aiguillon, la Commission européenne a procédé, début 2005, à un curieux revirement au moment où le régulateur tricolore semblait enfin prêt à intervenir pour animer un peu le marché à la veille de l'arrivée des premiers MVNO. Une erreur de timing puisque la nouvelle Commission n'a pas soutenu l'Arcep dans sa démarche...Autre pomme de discorde : les appels passés avec un portable depuis l'étranger. Facturés à un niveau particulièrement élevé (de 5 à 10 fois plus chers que dans le pays d'origine) et sans aucune justification économique, ces appels procurent des marges extrêmement confortables aux opérateurs des pays hôtes. Un comble alors que l'on a souvent affaire au même opérateur dans les pays limitrophes ! Après avoir lancé une première enquête (non aboutie) sur les tarifs d'itinérance en 2000, la Commission refuse d'intervenir directement au motif que c'est aux régulateurs nationaux de le faire. Un contexte dans lequel l'Arcep, soutenue par UFC-Que Choisir, vient de lancer une consultation publique sur cette question de l'itinérance.Constatant benoîtement que ce marché est non concurrentiel, l'Arcep cherche surtout à mettre la Commission devant ses responsabilités. Il est vrai que les régulateurs locaux ont ici peu de poids puisque les recettes liées à l'itinérance bénéficient essentiellement aux opérateurs hôtes (et inversement, aux opérateurs locaux lorsqu'un abonné venu de l'étranger utilise leur réseau). Conscient du phénomène, le régulateur renvoie la balle dans le camp de la Commission : ' À l'instar du dégroupage ou des virements bancaires transfrontaliers, la Commission peut très bien instaurer des prix plafonds en matière d'itinérance ', dit-on à l'Arcep.
Un activisme qui porte ses fruits
Alors que chacun cherche à redorer son blason, il est frappant d'observer que c'est finalement l'activisme d'une association de consommateurs qui aura mis chacun devant ses responsabilités. Durant des années, nous nous sommes fait l'écho des tarifs anormalement élevés des appels entrants (fixe vers mobile). Sans grand succès d'ailleurs, y compris auprès de Bruno Lasserre, directeur général des postes et télécommunications (DGPT), lequel préside aujourd'hui le... Conseil de la concurrence (lire Trajectoires, p. 80) ! À l'époque, c'étaient les abonnés au réseau fixe de France Télécom qui finançaient le développement d'Itinéris, de SFR et de Bouygues Telecom sans que personne ne trouve rien à y redire (lire 01 Réseaux, n?' 29, p. 41). Le tarif des appels entrants était strictement identique quel que soit l'opérateur et la concurrence inexistante. Dix ans plus tard, le Conseil de la concurrence sanctionne, enfin, certaines anomalies mais pas nécessairement celles par lesquelles il aurait dû commencer !* Les Echos du 5 décembre 2005.