Nous avons commencé début janvier à enregistrer le web

L'INA se prépare à l'éventuel établissement du dépôt légal pour internet. Emmanuel Hoog, son président, détaille les contraintes juridiques et techniques de cet archivage monstre.
Le projet de loi sur la Société de l'information (LSI), adopté en conseil des ministres en juin, fixait le principe d'un dépôt légal sur internet. De quoi s'agit-il ? Internet constitue un support de mémoire, qui témoigne de l'état de notre société à un moment donné. À ce titre, il faut en conserver une trace à des fins patrimoniales pour les générations futures. Comme c'est déjà le
cas pour les éditions papier, phonographiques ou vidéo. Ainsi que pour le cinéma, la télévision et la radio. Seules différences : avec le net, les volumes sont gigantesques et les supports à enregistrer sont multiples (écrits, sons, images...).
Il faut donc envisager de nouveaux modes de stockage. La LSI n'étant pas à l'ordre du jour du Parlement, comment comptez-vous dès maintenant procéder à cet archivage sans cadre juridique ? Il faut distinguer la mise en place d'un cadre juridique nécessaire ?" le dépôt légal ?" et la maîtrise des techniques d'archivage d'un objet complexe. Le net étant protéiforme, nous devons réfléchir à
ce que nous enregistrerons : pages d'accueil, liens hypertexte, bandes son, streaming... À chaque type de support correspond un mode de dépôt légal. Cela demande du temps pour être mis en place. Si le livre a été inventé en 1492, son
premier dépôt légal n'est intervenu qu'en 1537. Et il ne s'agissait que de compiler des textes. Comment absorber des volumes aussi considérables ? Dans une première phase, nous voulons réaliser un enregistrement, le plus large possible, des pages du réseau. Histoire de voir concrètement les problèmes : volumes à traiter, limites de navigabilité, questions juridiques... En
ce domaine, notre expérience du dépôt légal de la télévision et de la radio est précieuse. Par la suite, nous ne ferons qu'une sélection de sites. Même si cela rompt avec la tradition française, héritée de l'imprimé, qui tend à
disposer de l'ensemble des publications émises sur le territoire. Déjà, en 1992, la loi prévoyait que l'on ne conserve qu'une sélection de documents pour la radio et la télévision. Vous appuyez-vous sur des expériences étrangères ? En Suède, la Bibliothèque royale réalise chaque année trois ou quatre photographies du réseau. Les Australiens ont installé un système de dépôt volontaire, sur le principe d'une bibliothèque électronique : presque 30 % des
éditeurs leur envoient spontanément un exemplaire de leurs ouvrages en ligne. Aux États-Unis, une fondation privée, Internet Archive, enregistre des sites à l'échelle de la planète. Une sorte de super moteur de recherche.Attendez-vous un texte européen en matière de dépôt légal sur le net ? Ce n'est pas à l'ordre du jour. Le Conseil de l'Europe a attendu l'été 2001 pour rendre publique une résolution appelant ses membres à organiser des archives du cinéma et de la télévision, deux médias qui
datent de 1892 et de 1925 ! La résolution est encore en débat. Il reste donc du chemin à parcourir en ce qui concerne la toile. La France est en avance dans ce domaine du fait d'une longue tradition de dépôt légal. Le dépôt légal du web
n'est pas une mesure liberticide. Même si, à l'origine, cela servait également à des fins policières, la loi de 1992 a cantonné le rôle du ministère de l'Intérieur aux seuls livres et périodiques.Comment comptez-vous résoudre le problème de l'enregistrement par vos services des sites payants ? Dans l'attente d'un texte de loi, nous allons négocier au cas par cas afin d'obtenir de leur part l'autorisation de capter leurs pages. Bien évidemment, il ne s'agit pas pour nous de leur faire
concurrence et nous n'allons pas les diffuser dans l'immédiat. Par la suite, je pense que la loi prévoira un mode d'accès spécifique, afin que nous puissions accéder aux données sans payer. À des seules fins d'archivage.
Il faut le rappeler : l'instauration d'un dépôt légal n'altère en rien les droits qui s'attachent à la propriété. En ce qui concerne les portails publics, de type Yahoo, on peut envisager que, à terme, ils nous livrent
plusieurs fois par an des copies des sites personnels qu'ils hébergent. Afin de faciliter la collecte. Quelle sera in fine la valeur juridique du dépôt légal ? Avec le dépôt légal, l'internaute a la garantie que le contenu des sites est détenu par un tiers de confiance. Qui n'altérera pas leur contenu. Cela peut servir en cas de contentieux judiciaire. Mais les volumes sont
impressionnants : on parle en pétaoctets (soit un million de milliards d'octets). Il n'est pas question qu'ils soient consultables en ligne. Cela reviendrait à doubler la masse de données du web.
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