Ces dernières années, les informaticiens ont dû apprendre à composer avec l'entropie croissante de leurs organisations : l'internet, les messageries et la mobilité introduisent partout des ferments de désordre ?" certes créatifs, productifs et innovateurs, mais aussi de plus en plus complexes à gérer, à fiabiliser et à sécuriser. Et ce n'est qu'un début. Les TIC sont au c?"ur d'une formidable vague d'innovation, face à laquelle les dix dernières années d'internet paraîtront rétrospectivement plutôt tranquilles.Il y a d'abord l'internet des objets. Des milliards de puces s'insèrent peu à peu dans (ou sur) les machines, les appareils, les véhicules, les emballages, les objets quotidiens, les équipements, les espaces publics, mais aussi les arbres, les zones inondables, les forêts à risque d'incendie, les animaux domestiques ou sauvages, et, finalement, nos propres corps. Ces puces produiront des réseaux en constante reconfiguration, des volumes massifs de données à traiter le plus souvent en temps réel, et des actions sur leur environnement physique. Il faudra les installer, les piloter, les alimenter en énergie, les arrêter, les recycler et, bien sûr, les contrôler. Cela tout en s'assurant que d'autres n'en prennent pas le contrôle.
La convergence ' nano-bio-info-cogno '
Beaux défis, auxquels s'ajoute celui de faire en sorte que cette fusion du numérique et du physique produise des entreprises et des sociétés plus tournées vers la satisfaction des besoins humains, et moins destructrices de nos écosystèmes.Mais ce n'est pas tout. Dès lors que toute chose, tout lieu, tout individu possède une dimension numérique, l'évolution des TIC converge naturellement avec celle des technologies de la matière et de sa manipulation (notamment les nanotechnologies), de la vie (les biotechnologies), de la connaissance, de la coopération et de l'organisation (les sciences cognitives). Les Etats-Unis décrivent cette convergence sous l'acronyme NBIC (nano-bio-info-cogno) et y injectent des milliards de dollars. Le Japon, la Corée, l'Europe en font l'une de leurs toutes premières priorités de R&D. Des domaines en plein développement tels que les biopuces, l'auto-organisation biomimétique d'essaims de robots, les ' interfaces cerveau-machine ', la simulation de processus à l'échelle moléculaire illustrent le rôle des TIC dans cette convergence. La R&D française est active dans ces domaines. Minatec dans les nanotechnologies et les pôles biotechnologiques lyonnais ou francilien tiennent leur rang au niveau mondial.L'opinion n'est pas assez avertie
Pourtant, on ne peut que s'étonner du manque de visibilité de ces questions auprès de l'opinion, voire des professionnels. Aux Etats-Unis, on débat de la possibilité de construire des usines microscopiques, produisant matériaux et machines atome par atome ; parti de Grande-Bretagne, le mouvement transhumaniste se préoccupe (entre autres) de lever l'hypothèque de la mort, qui, certes, limite nos horizons ; Japonais et Coréens construisent avec enthousiasme des villes nouvelles entièrement connectées ou des robots domestiques plus ou moins humanoïdes. En France et presque partout en Europe, ni rêve ni révolte. ' Laissons travailler les scientifiques ', dira-t-on. A tort. Le potentiel de ces technologies et la profondeur des questions qu'elles posent nécessitent de s'en saisir dès maintenant ?" sous peine de s'exposer au sort mérité des agrobiologistes, qui, en évitant le débat sur les OGM, se retrouvent quasiment interdits de recherche.Tout cela peut paraître éloigné du quotidien d'une DSI. Mais si vous appartenez à une grande entreprise de l'automobile ou de l'aéronautique, de la pharmacie ou de l'énergie, de l'agro-alimentaire ou du bâtiment, allez donc rendre visite à vos équipes de R&D. Vous vous apercevrez sans doute que cet avenir ?" votre avenir ?" est plus proche que vous ne le pensiez. Il n'est pas trop tôt pour lui faire une place dans un coin de votre esprit ?" et de votre conscience.* délégué général de la Fing (Fondation internet nouvelle génération). Passionné de nouvelles technologies et promoteur dinternet de la première heure, il travaille en particulier à en anticiper les usages.