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Il aura fallu attendre 2006 pour que les langues se délient à propos de l'offshore, sujet tabou et sensible. Des sociétés pionnières révèlent leurs bonnes pratiques... et leurs erreurs.
Sous le feu des médias depuis six ans, l'offshore fait l'objet de toutes les critiques. Fondées ou non. Une agitation irrationnelle, qui fait oublier la réalité du terrain. Pourtant les retours d'expérience sont aujourd'hui
suffisamment riches pour dégager des facteurs de réussite. Partis en Inde ou en Thaïlande, seuls ou accompagnés d'une société de services, trois grands comptes et un petit éditeur témoignent et se rejoignent sur l'essentiel. L'offshore nécessite
plus de formalisme, la communication en ligne ?" visioconférence, chat, etc. ?" ne remplace ni les voyages ni la nécessité d'un encadrement de part et d'autre, et il faut un an avant que les économies apparaissent. En tenant compte de
l'ensemble des coûts (déplacements, salaires des cadres expatriés, frais télécoms, etc.), nos interviewés s'accordent sur un gain de l'ordre de 30 %.
Renault : la localisation varie selon les projets
Moins 30 % à l'horizon 2010 : c'est l'engagement de réduction de coûts pris par Atos Origin auprès de Renault dans le cadre du contrat d'externalisation signé il y a un peu plus d'un an. L'offshore participe à cet effort de
guerre parmi d'autres leviers, tels la réduction de la sous-traitance, la certification qualité, ou la mutualisation des ressources. Prestataire référent sur le volet applicatif, Atos Origin a pour mission de maintenir les quelque 1 200
applications maison et d'en développer de nouvelles. Le mode opératoire entre les deux parties repose sur l'établissement d'un référentiel de prestations forfaitisées. ' Nous ne chiffrons plus en jours/homme, mais en unités
d'?"uvre, décrit Jean-Pierre Luce, chef du département Front office fabrication, logistique et ingénierie au sein de la business unit Renault System Solutions & Services (RS3). Nous pouvons ainsi passer commande de 15
écrans simples, 10 écrans complexes, ou 15 batchs sans avoir à discuter les prix. ' La prestation étant facturée au même taux, à charge pour Atos Origin de retenir la localisation la plus pertinente ?" Paris, Lyon,
Madrid ou l'Inde ?" en accord avec le constructeur. Renault dispose ainsi d'un plateau dédié, composé de 50 développeurs, au sein d'Atos India, à Mumbai. ' Il doit être alimenté en continu afin de lisser l'activité, mais
aussi d'éviter la perte de connaissance métier. Confier des lots de cinq ou dix jours avec des ruptures de charge ne fonctionne pas. 'L'offshore est encore en phase pilote. ' Pour l'heure, seules les tâches de back office sont éligibles. Nous confions des projets de maintenance et de petite évolution, sur la base de cahiers des charges
extrêmement détaillés. ' Ces projets ayant valeur de test, le constructeur a retenu un échantillon couvrant une grande diversité fonctionnelle : commercial, comptabilité, logistique... En revanche, les tâches de
front office (conception, architecture, pilotage, etc.) restent en interne. L'autre apport de l'offshore concerne la transformation des processus. Atos India est certifiée CMMi5 depuis la fin de 2005, et Renault vise une certification CMMi3 à
horizon 2007.
Essilor : un, je formalise, deux, je délocalise
Essilor a procédé en deux temps. Avec l'aide de Capgemini, l'industriel a d'abord structuré l'activité support et maintenance applicative. Une remise à plat des procédures et de l'organisation dans l'esprit du modèle CMMi, mais sans
aller jusqu'à la certification. ' Une fois les processus stabilisés, nous avons réfléchi, il y a quatre ans, à l'opportunité de délocaliser une partie de la TMA (tierce maintenace applicative) ', se
souvient François Lavernos, directeur d'études au département Worldwide Supply Chain Projects. Pour diminuer les risques et les coûts d'infrastructure (bâtiments, télécoms, etc.), Essilor a choisi d'investir ses propres locaux à Bangkok, sur le site
d'une usine de production.L'analyse de risque et d'opportunité a, par ailleurs, conduit à retenir un modèle indirect, avec recours à une SSII française traditionnelle. Sur appel d'offres, Capgemini a de nouveau été retenu. ' Nous avons
ainsi pu garder une cohérence dans l'application des procédures précédemment définies. Le métier du support étant déjà formalisé et documenté, l'offshore n'a donc pas changé notre mode d'organisation. ' Sur place, Capgemini
traite avec un partenaire local. Mais Essilor conserve un droit de regard sur la constitution des équipes. ' Capgemini nous soumet un CV, puis nous rencontrons le candidat, comme nous le ferions en mode régie en
France. 'L'équipe thaïlandaise a démarré avec une dizaine de personnes. Elle en comprend le double aujourd'hui. Elle assure le support de niveau 3 d'une vingtaine d'applications ?" le premier niveau de service étant assuré en front
office par des experts maison, proches sur le plan géographique des utilisateurs. Et cela que ces experts se situent en Europe, aux Etats-Unis, ou en Asie. Pour ce projet offshore, Essilor a créé un poste. Un manager français ?" une salariée
expatriée ?" est chargé de veiller à la bonne application des outils et de servir de relais avec les équipes françaises et américaines. Après la TMA, Essilor s'attaque au développement. ' Le modèle est plus compliqué. Le
développement vit au rythme des projets. Il exige plus de formalisme et de fréquents allers-retours. '
Banque : s'appuyer sur une société pivot
Pour des raisons sociales, cette filiale d'une grande banque ne souhaite pas communiquer à visage découvert. Pionnière, elle a mis en ?"uvre l'un des plus grands projets offshore français. Sa réflexion a démarré en fin 2002 pour
faire face, à l'époque, à une pénurie en compétences Java. L'étude d'opportunité a écarté la Russie ?" trop risquée ?", la Tunisie ?" limitée en ressources ?" et l'Espagne ?" au différentiel de prix insuffisant. Restait
l'Inde. La banque s'y rend donc, mais avec Pivolis KPIT, une société pivot à même de l'accompagner sur le plan méthodologique. Après un projet test de huit semaines en mars 2003, l'équipe en charge du développement Java se monte. Elle comprend 18
hommes, et six mois plus tard, elle est passée à 60 personnes. Soit autant que l'équipe française. Structure miroir, elle inclut un coordinateur, des experts, des développeurs, un chef de projet Pivolis KPIT à plein temps, et un autre, qui se
partage entre les deux pays.A partir de mi-2004, la banque réduit progressivement la voilure. Aujourd'hui, elle maintient un volant de 25 ressources afin de lancer une nouvelle activité de test. Deux salariés sont sur place. L'un pour la partie fonctionnelle,
l'autre pour le volet technique ?" bonnes pratiques, schéma directeur, architecture. Cette délégation permet de relayer l'information et d'éviter les malentendus. ' Avec notre accent, des Indiens ne nous comprenaient
pas, explique le responsable du projet. Et comme il est dans leur culture de ne jamais dire non, cela été source d'incompréhension. Nous leur avons donc demandé de valider par écrit ce qu'ils avaient
compris. 'D'autres spécificités culturelles sont à prendre en compte. Comme l'attachement à la famille ou le rapport au temps. ' Un Indien peut travailler le week-end, mais aller au cinéma durant ses horaires de
travail. ' Il a aussi fallu ménager les esprits côté français. Le projet a été accueilli dans l'incompréhension. ' En 2003, l'offshore était peu médiatisé. Pourquoi ne pas monter une équipe de
développement en France ? ' La peur de l'inconnu est humaine. Les visites de part et d'autre ont permis de rectifier le tir et de démythifier l'offshore.Et puis, il y avait la barrière de la langue. ' Entre se débrouiller en anglais et échanger au téléphone avec des collègues indiens, distants de 10 000 kilomètres, il y a un gouffre. Le
" chat " a débloqué la situation. Il est plus facile de s'exprimer à l'écrit qu'à l'oral. ' Au final, cette situation a permis à des salariés de se révéler. ' Ils ont découvert
un intérêt à la conduite d'un projet à distance. '
Musiwave : rebondir après un premier échec
L'éditeur Musiwave est, lui aussi, venu à l'offshore à la suite d'une pénurie de ressources. Cet entreprise française de moins de 200 salariés propose aux opérateurs de téléphonie mobile des sonneries, des fonds d'écran, des
animations, des gestions des droits numériques... Autant de solutions embarquées, qui nécessitent des compétences pointues dans les environnements Symbian, Windows Mobile, Java, ou C++. ' En France, il est impossible de
trouver en nombre des développeurs Symbian dans des délais et des prix raisonnables ', estime Colin Gruia, directeur technique monde de Musiwave.La première expérience offshore ?" la refonte du back office ?" se solde par un échec. L'éditeur avait alors opté pour un modèle direct, avec un chef de projet basé en France, le prestataire indien n'étant venu qu'une
semaine sur le site. ' Le niveau de spécifications était insuffisant. Nous avions l'habitude de transmettre les cas d'application sous forme de captures d'écran. Ce qui ouvrait la porte à toutes les
interprétations. ' Echaudée, Musiwave recourt à une société pivot, Pivolis KPIT, qui établit les bases d'une gouvernance offshore. ' Un chef de projet senior indien s'est rendu chez nous pour comprendre
nos métiers et bâtir avec nous les spécifications. A partir de là, nous avons dimensionné l'équipe en équilibrant développeurs juniors, seniors, et managers. ' Puis un autre chef de projet est venu pendant deux mois ?"
sur les six qu'a duré le projet ?" pour fluidifier les processus et gommer les différences culturelles.Musiwave recevait tous les quinze jours une nouvelle version, segmentée par fonctionnalités. Ce processus itératif permettait de juger de l'état d'avancement du projet. Mais aussi de communiquer en temps réel sur les bogues entre deux
versions grâce à l'outil de suivi de projet Jira. Une fois le chantier de refonte achevé, Musiwave a conservé une équipe réduite, d'une douzaine de personnes, pour le suivi et l'ajout de fonctionnalités. ' Nous avons aussi un
flux récurrent de projets sur des applications embarquées. ' Profitant de l'expérience acquise, la société a diversifié ses sources. L'éditeur est maintenant en relation avec d'autres prestataires en Inde, mais aussi en
Biélorussie et au Brésil. Un bel exemple de mondialisation.x.biseul@01informatique.presse.frPour en savoir plus