Olivier Bomsel
Ce chercheur enseigne l'économie industrielle à l'École des mines. Il publie un livre, synthèse de dix ans de travaux, Gratuit, du déploiement de l'économie numérique.
Pour expliquer l'économie numérique, votre démonstration s'appuie sur la puissance de l'effet de réseau. Cet effet est-il le véritable socle de cette économie ?Oui, la puissance des effets de réseau est la principale caractéristique du numérique : plus ça circule, plus c'est utile. C'est de cette façon que s'est, en partie, constitué le marché du logiciel avec la distribution de shareware et de freeware. Le propre du numérique, c'est de faire circuler du code et, ce que l'on a appelé des effets de réseau est en réalité des effets de code : c'est parce que le code circule qu'il est utile à ceux qui le décodent et le réencodent.Quelle différence avec le modèle économique industriel classique ?Ce dernier est axé sur la production et sur l'idée que la demande est surtout fonction du prix. Autrement dit, si une technologie permet par économie d'échelle de baisser les prix, alors le marché va se déployer. Le numérique fait apparaître des mécanismes qui dépendent de la demande elle-même. Plus il y a de consommateurs, et plus c'est utile pour chacun d'eux. Donc, il faut, pour arriver à lancer une innovation, créer les noyaux d'utilisateurs qui vont permettre d'enclencher ces dynamiques d'utilité croissante. C'est à ce moment que les économies d'échelle peuvent se créer. La demande précède véritablement l'offre.Pourquoi la gratuité de l'immatériel est, selon vous, un leurre absolu ?Fédérer des masses critiques d'utilisateurs pour capter des marchés coûte très cher. Le gratuit, c'est de l'investissement. Dans la nouvelle économie, très clairement, c'étaient les marchés financiers qui anticipaient les effets de réseau. Dans la téléphonie mobile, les appelants du fixe ont subventionné le déploiement des réseaux mobiles ; dans le déploiement de l'Internet haut débit, c'est l'industrie des contenus, à travers l'utilité du P2P, qui a permis d'acquérir les masses critiques et de subventionner les box. Des décodeurs qui ont vocation à respecter la propriété intellectuelle et à distribuer des contenus de mieux en mieux protégés. Le consommateur a commencé à payer avec le mobile et il paiera de plus en plus pour l'immatériel.Dans l'industrie numérique, une fois la masse critique atteinte, les coûts marginaux baissent. Où conduit ce processus ?Cela permet, par exemple, aux éditeurs de croître et de laisser peu de place aux nouveaux entrants. Les consolidations auxquelles nous assistons aujourd'hui se solderont par très peu d'acteurs au final. Se retrouver avec une dizaine d'acteurs n'est pas illusoire. Ce sont des métiers où les barrières à l'entrée sont les plus élevées parce qu'ils combinent effets de réseau et économies d'échelle.Même s'il y a une volonté politique, à l'exemple du moteur de recherche européen Quaero ?Quaero n'aurait jamais eu de chance, Google a acquis une masse critique d'utilisateurs bien avant, a réussi à enclencher une dynamique d'effets de réseau autour de ces masses critiques et a mis en place deux marchés à deux versants pour valoriser ces utilités. Les fait d'avoir bâti AdWords et d'en avoir fait une machine à cash phénoménale discrédite immédiatement n'importe quel acteur public qui souhaiterait subventionner par la technologie ou par l'offre, un produit et un marché dont le moteur est la demande. L'innovation majeure de Google, et sa réussite formidable, c'est la monétisation de la recherche sur Internet. Google a compris que la fonction de recherche serait celle qui générera le plus de demandes, et donc le plus d'activité pour le consommateur.