Oui le numérique détruit des emplois mais il peut en créer encore plus. A trois conditions


La révolution numérique va-t-elle détruire plus d'emplois que ce qu'elle va en créer? Non ce n'est pas une fatalité. Mais pour en tirer le meilleur parti, il faut faciliter la mobilité, faire évoluer les réglementations et adapter notre système éducatif.
En France comme dans d’autres économies matures, l’attention tend à se porter à l’excès sur les risques liés à la transformation digitale, plus particulièrement en matière d’emploi. Pourtant la réalité invite à plus de nuances. Certes, la révolution numérique bouleverse le marché du travail, mais l’innovation technologique recèle des gisements d’opportunités majeurs qui, bien exploités, permettraient une création nette d’emplois.
Ainsi dans notre pays, la montée en puissance d’internet a fait disparaître 500.000 emplois entre 1995 et 2010, mais en a également créé 1,2 million dans le même temps. Le solde net s’élève donc à 700.000 emplois créés, soit 1,4 emploi ajouté pour chaque emploi transféré d’un secteur traditionnel vers les activités issues du web. Ce résultat correspond au quart des créations nettes d’emplois enregistrées en France sur cette période.
Avec le développement rapide de nouvelles technologies telles que l’internet mobile, le big data, le cloud, l’intelligence artificielle ou encore l’internet des objets, se multiplient les créations de nouveaux métiers. Un tiers des nouveaux emplois créés aux Etats-Unis depuis 1990 correspond à des fonctions qui n’existaient pas encore il y a 25 ans: webmaster, community manager, data analyst, ou encore technicien médical numérique... Il apparaît donc critique d’encourager l’orientation ou la reconversion de la main-d’œuvre vers ces nouveaux métiers.
20 % des activités des PDG d’entreprises pourraient être automatisées
On constate également une évolution importante de la nature même de l’emploi. Comme le souligne une récente étude de McKinsey Global Institute, alors que seuls 5 % des postes pourraient être intégralement remplacés par des machines, près de 45 % des tâches pourraient être partiellement automatisées grâce à la généralisation de technologies déjà éprouvées aujourd’hui.
L’enjeu est donc de reconfigurer les compétences et les rôles: en effet, nous évaluons que dans 60 % des postes, environ 30 % des tâches pourraient être impactées. Les juristes par exemple utilisent de plus en plus des outils de "text-mining" pour s'épargner la consultation de jurisprudences ou de textes réglementaires. De nombreuses autres professions (assureurs, banquiers, médecins, etc.) seront également affectées, ainsi que tous les niveaux de responsabilité professionnelle: selon nos estimations, près de 20 % des activités des PDG d’entreprises pourraient être automatisées.
Par ailleurs, prendre le virage du digital peut constituer une opportunité majeure pour les salariés des entreprises eux-mêmes. Ainsi, nous avons établi qu’au cours des 20 dernières années aux Etats-Unis, les entreprises les plus avancées en matière de transformation digitale ont vu leurs personnels enregistrer une progression importante de leur revenu, tandis qu’elles ont accru leur productivité et généré des bénéfices équivalents à deux à trois fois le taux moyen observé dans leur secteur d’activités.
Ce qui est valable pour les entreprises ne l’est pas moins pour les Etats. Ainsi, les pays d’Europe qui affichent la plus forte contribution du digital à leur PIB enregistrent de meilleures performances que leurs homologues, à la fois en termes de croissance et de création d’emplois. Avec un poids du numérique de près de 5,5 % dans son PIB (contre 10 % au Royaume-Uni ou 7 % en Suède), la France se situe au milieu du classement européen et dispose donc de marges pour activer davantage le numérique comme moteur économique.
Les 3 conditions de la création d'emploi
Afin d’en tirer le meilleur parti en matière d’emploi, un triple enjeu apparaît alors:
1. Mettre en place une réglementation favorisant la création de nouveaux emplois,
2. Réunir les conditions d’une meilleure mobilité des acteurs vers les activités en croissance,
3. Et faire évoluer notre système d’éducation et de formation afin qu’il réponde mieux aux besoins de cette nouvelle économie.
Les réglementations sectorielles doivent aider la création de nouveaux emplois, tout en encourageant les transitions nécessaires au sein de l’ensemble des emplois existants. Limiter ou retarder l’émergence des nouvelles formes d’emploi dans l’objectif de "sauver" des postes existants exposerait la France à des périls économiques majeurs à moyen et long termes; mieux vaut en l’occurrence faire en sorte que le principe schumpetérien de "destruction créatrice" s’opère au profit du plus grand nombre.
Par mobilité, nous n’entendons pas uniquement la capacité des individus à se former et accéder à de nouveaux emplois, mais également l’aptitude des entreprises à adopter avec une agilité maximale les nouvelles technologies et à capter leurs opportunités économiques et commerciales. A cette fin, il importe de tirer tout le parti qu’offrent à la fois les nouveaux modèles d’emploi qui se font jour et d’exploiter les outils favorisant la rencontre entre offre et demande de travail. Les plateformes numériques comme monster.fr, LinkedIn, ou frizbiz.com, permettent un "matching" extrêmement fin et en temps réel entre postes à pourvoir et compétences disponibles. Elles offrent aux individus la capacité de se lancer dans diverses formes d’emploi indépendant, et aux entreprises celle d’accroître leur productivité: ainsi, pas moins de 2% de PIB additionnel pourrait être créé d’ici 2025 par le développement de ces plateformes.
En matière de formation – aussi bien initiale que continue – aux nouveaux métiers, et notamment aux métiers du numérique, la France doit redoubler d’efforts pour permettre une réorientation rapide du capital humain vers les activités d’avenir. A titre d’exemple, le nombre de développeurs par habitant dans notre pays reste deux fois inférieur à celui de la Suède.
Pour les grandes entreprises françaises comme pour une part croissante des PME et, bien entendu pour de nombreuses start-up, la transformation digitale est déjà en cours, et est inéluctable. Il est donc urgent et crucial d’en saisir les opportunités dans tous les secteurs, afin qu’elles se traduisent par une création nette d’emplois à long terme.