Pascal Buffard (Cigref) : “ la DSI ne peut pas porter seule la stratégie numérique ”
Pascal Buffard, président d'Axa Group Solutions, est aussi à la tête du Cigref. Cette association, qui regroupe les DSI des 130 plus grandes entreprises et administrations françaises, a pour ambition de devenir un véritable think tank du numérique.Vous êtes président du Cigref depuis bientôt un an. Quel bilan en tirez-vous ?Pascal Buffard : Si je suis à la tête du Cigref depuis un an, j'en ai été administrateur plus de dix ans et vice-président pendant six ans. Mon action se situe donc dans une continuité. Le Cigref a été fondé voici quarante-deux ans par des dirigeants d'entreprise convaincus que l'informatique allait transformer leurs organisations. Nous ne sommes donc pas un club de DSI, mais une association de grandes entreprises et administrations ayant pour vocation d'accompagner l'évolution des technologies au profit de la compétitivité et de la capacité d'innovation. Depuis les débuts, cette mission initiale n'a pas changé. Tous les ans, des groupes de travail sont constitués autour de sujets d'actualité comme le cloud computing, le benchmarking des coûts ou la gestion de talents RH. Il est important de conserver cette capacité d'intelligence collective pour influencer la stratégie de nos sociétés et favoriser la création de valeur.Le Cigref est à l'origine d'un programme international de recherche sur le numérique. Quels en sont les résultats ?PB : Il y a trois ans, nous avons en effet initié une stratégie d'ouverture avec une ambition : transformer le Cigref en un carrefour d'idées. Nous avons donc monté la fondation Cigref, qui subventionne des études internationales dont l'objectif est de prévoir l'impact des nouvelles technologies à l'horizon 2020, dans l'entreprise mais aussi dans l'ensemble de la société. Le comité scientifique de la fondation rassemble des chercheurs reconnus à travers le monde. Ce programme est financé par le Cigref, et par des mécènes comme Microsoft. Notre volonté est d'ouvrir les résultats de ses études à l'ensemble des acteurs et des citoyens. Pour leur donner une visibilité, ces travaux sont publiés sous forme d'ouvrage papier ou numérique, en français et en anglais, et des synthèses, appelées “ Les essentiels ”, sont mises en ligne sur le site web de la fondation.Pourquoi cette volonté d'analyser la transformation des usages ?PB : Nous évoluons dans un monde où l'innovation est de plus en plus rapide. Chaque entreprise doit repenser tout aussi vite ses business models. De ce point de vue-là, Nike est un exemple révélateur. Ce fabricant de chaussures est passé d'une offre de produits à une offre de services basée sur l'aspiration de ses clients à vivre une expérience différente. Les coureurs à pied ont en effet une forte envie de mesurer leurs performances sur la durée et de les partager. En parallèle, ils courent souvent en écoutant de la musique. Qu'a fait Nike ? Il a intégré dans ses chaussures un capteur de distance et de vitesse, relié à un iPod, pour donner la possibilité au consommateur de transférer ses performances en temps réel vers un site web. Au final, le succès de Nike est aujourd'hui plus lié aux services qu'il offre qu'à la qualité intrinsèque de ses chaussures.La fonction DSI est-elle encore centrale dans l'évolution rapide des business models d'entreprise ?PB : Evidemment. La DSI a un rôle central dans la stratégie numérique. Si elle est sponsor de la transformation, le danger est de la porter seule. Il est nécessaire d'être dans une logique de partenariat fort avec la direction générale et les métiers de l'entreprise. Il convient que le DSI partage sa vision avec les directions marketing, communication, ventes et les opérationnels. Le succès n'est possible que si la culture numérique se diffuse dans toute l'entreprise. Le monde a profondément changé. L'entreprise est sortie de ses frontières physiques et doit être capable d'évoluer dans son écosystème en gardant le contrôle de ce qu'elle accomplit.Si le monde a changé, est-ce aussi le cas du métier de DSI ?PB : Le rôle du DSI est de plus en plus transversal. Il a besoin de compétences techniques, mais aussi de connaissances métier pour partager sa vision, impliquer les autres directions et devenir un interlocuteur légitime. La confiance est nécessaire pour que les métiers acceptent qu'on les conseille sur leur manière d'agir. Il ne s'agit pas uniquement de choisir des solutions performantes, mais aussi d'accompagner les changements d'usage. C'est pourquoi il est préférable aujourd'hui, pour devenir DSI, d'avoir eu des expériences professionnelles variées, y compris hors de l'informatique. Toutefois, la maîtrise de la technologie reste vitale pour que les choses soient bien réalisées, à un coût compétitif. Sinon, la DSI sera considérée comme un centre de coûts.Vos pairs DSI ont-ils tous entamé cette transformation ?PB : Certains sont toujours cantonnés à la pure logistique technique. Cela signifie que la fonction DSI n'est pas reconnue dans leur organisation. D'autres, ayant déjà développé une approche partenariale avec les métiers et la direction, ne sont plus en mode client-fournisseur. Les DSI les plus avancés dans cette mutation sont en partenariat total. L'une des dernières études, que nous avons menée avec Capgemini Consulting, évaluait à 40 % les acteurs matures sur cet aspect.Le cloud sonne-t-il à terme la fin du DSI ?PB : Au contraire, le cloud oblige le DSI, justement, à repositionner son rôle ; à se concentrer sur la stratégie et non plus sur la gestion laborieuse des versions. Pour l'entreprise, le cloud est une formidable opportunité dans un contexte où la capacité à mobiliser des fonds propres est de plus en plus difficile. Pour les métiers, c'est un modèle économique attractif, qui ne nécessite pas de lourds investissements, avec un niveau de fonctionnalités élevé et immédiat. Mais attention, il convient de rester prudent. Dans le cloud, l'investissement est en fait réalisé par le fournisseur. Il est donc légitime, sur la durée, qu'il récupère sa mise. Il faut néanmoins veiller à bien contrôler le modèle économique de la prestation et s'assurer de la qualité des services fournis.Les pouvoirs publics ont-ils un rôle à jouer dans cette transformation numérique des entreprises ?PB : Les pouvoirs publics doivent bien sûr se saisir du levier du numérique pour contribuer à la compétitivité des entreprises et au renouveau de la France. Cela ne peut pas se limiter à subventionner des infrastructures. Il est indispensable de développer des compétences dans tous les registres du numérique. Cela nécessite des investissements en termes d'éducation et de filières d'études. Le Cigref vient d'ailleurs de conclure un accord avec le Cnam pour faire naître un institut de la transformation numérique. Là encore, Il ne s'agit pas seulement de technologies, mais surtout d'apprendre à accompagner les nouveaux usages.
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