Plaidoyer pour l’enseignement du numérique dans les écoles

A l’heure où la compétitivité se mesure à la taille du contingent d’ingénieurs prêts à mener la guerre économique, il est temps de prendre des mesures en faveur de l'enseignement du numérique dans les écoles.
Ce mois-ci, je vous propose de laisser les médias sociaux et les startups de côté, et de nous pencher sur un sujet d’intérêt national, qui mobilise les ministres, fédère les passions et génère beaucoup de bruit : le « numérique ». L’actuel gouvernement semble vouloir faire de la France une grande puissance du numérique, et de nombreux moyens sont mis en œuvre pour mobiliser les entreprises, les entrepreneurs et les étudiants afin de réaliser cette ambition.
Malheureusement, il manque un volet important à cet ambitieux programme : le volet éducatif. L’appétence au numérique, que dis-je, aux technologies du numérique, cela ne s’acquiert pas du jour au lendemain. Cela commence dès l’école, et voici le petit programme utopique que j’ai concocté pour vous.
Le programme
Tout comme les matières générales, l’apprentissage du numérique doit suivre un cursus qui s’étale sur plusieurs années, et commence probablement dès le primaire… par l’apprentissage de la frappe rapide sur un clavier d’ordinateur. Ne souriez-pas, j’en vois déjà plus d’un parmi vous, chers lecteurs et chères lectrices, qui n’utilise que deux ou trois doigts pour saisir le texte de ses emails. Pourtant, la frappe rapide est à au numérique ce que l’écriture manuelle est à la dictée ou au problème de maths : ceux qui écrivent lentement sont pénalisés.
Les années du collège doivent être mises à profit pour développer le goût et les compétences en programmation, en partant de choses simples, faciles à assimiler, de langages qui autorisent l’élève à faire des erreurs et à progresser. Python me semble remplir ces conditions, pour commencer. Mais les quatre années du collège ne doivent pas couvrir qu’un seul langage, deux ou trois autres doivent apparaître au programme, en classe de 4e et de 3e, comme HTML ou PHP.
Le lycée servira, lui, à approfondir les notions de programmation en abordant l’architecture logicielle, les langages plus évolués (Java, C, Objective C). Il faudrait aussi apprendre à « ouvrir » un ordinateur pour comprendre son contenu, et se familiariser avec les éléments facile à reconnaître. Pour la sanction en fin de terminale, pas d’épreuve écrite ni orale au bac, mais un contrôle continu.
Les volumes
Un volume horaire de deux à trois heures par semaine devrait suffire à se familiariser et à progresser. L’enseignement du numérique ne doit pas être rébarbatif, mais ludique : programmer, c’est créer, c’est jouer. Chaque semaine devrait être consacrée à une fonction, un programme typique, et susciter de nombreuses déclinaisons à réaliser à la maison.
Bien entendu, on pourra faire sauter les cours d’algorithmes prodigués par les professeurs de mathématiques, qui ne s’y complaisent pas forcément – les algorithmes sont aux mathématiques ce que la lecture d’une carte IGN est à la géographie.
Les enseignants
Un tel programme ne peut être enseigné sans de réelles compétences en programmation. Je doute que les actuels professeurs de collège ou de lycée aient, dans leur ensemble, les savoirs et la passion nécessaires à cela. Certains pourront probablement les acquérir rapidement et se reconvertir en professeur de numérique. Mais il me semble que c’est plutôt auprès d’un autre vivier qu’on pourrait aller chercher des talents : nos ingénieurs en développement expérimentés, qui ont plus de vingt ans d’expérience derrière eux, et qui pourraient y trouver une reconversion utile à la nation.
Les moyens
Qui dit programmation dit ordinateur, et ce n’est pas avec de vieux PC fonctionnant sous Windows XP (qui ne sera bientôt plus maintenu) qu’on parviendra à faire de nos chères têtes blondes des experts du numériques.
Mais je ne crois pas non plus que c’est aux établissements de fournir le matériel. Une classe d’âge, c’est 800 000 élèves grosso modo. Financer un ordinateur par enfant, c’est environ 400m€ à trouver. Cela peut s’obtenir par une réduction de charges fiscales pour l’acquisition d’un ordinateur destiné à l’éducation de ses enfants pour les foyers dont le niveau d’imposition excède le coût d’un PC. Et des aides aux autres familles.
Un point important : on n’apprend pas (encore) à programmer sur une tablette. Un tel programme permettrait donc de relancer les ventes d’ordinateur en France. Bien malin le fabricant qui dégainera le premier.
Bien sûr, les moyens à mettre en oeuvre ne concernent pas que le matériel, il y a sans doute d'autres coûts à envisager. Mais une fois tout cela mis bout à bout, qu'est-ce que cela représenterait face aux enjeux? Une goutte d’eau dans le budget de l’état.
Le rêve
Les lignes que vous venez de lire vous ont surement fait sourire. La situation que je viens de décrire a tout d’une utopie. Pourtant, si l’on veut élever les compétences numériques d’une génération, et non d’une poignée d’ingénieurs, c’est par un tel programme qu’il faut passer. L’école, celle qui depuis près de 150 ans fait de notre pays un modèle en matière d’éducation, a su laisser de la place à des matières plus nobles, mais moins fondamentales pour le développement de la nation, comme les arts plastiques, la musique ou le sport. A l’heure où la compétitivité se mesure à la taille du contingent d’ingénieurs prêts à mener la guerre économique, il serait temps de prendre d’autres mesures que des effets d’annonce pour briller dans les salons…