Pourquoi le ciblage des clients prend la mauvaise direction


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L’utilisation des données clients est au cœur de la plupart des entreprises numériques. La technologie facilite grandement l'échange d'informations, si bien que les entreprises peuvent adapter les interactions avec les clients à leurs besoins spécifiques. Ce type d'attention personnalisée encourage les clients à dévoiler encore plus leurs besoins, conduisant ainsi à un meilleur service et se traduisant par des relations durables avec eux. Et au final cela débouche également sur une part du portefeuille client plus importante. Il n'est donc pas surprenant que les entreprises numériques investissent dans l’analyse des données clients.
On relève néanmoins un problème : la plupart des grandes entreprises investissent dans les systèmes analytiques au sein des canaux ou des familles de produits, mais sans transversalité. Même si chacune de ces familles devient beaucoup plus connectée, que se passe-t-il lorsqu'un client bien identifié passe d'un produit ou d'un canal à un autre ? D'un seul coup, toutes ses données clés sont perdues.
Ce phénomène se produit alors même que les pressions réglementaires devraient inciter les entreprises à procéder autrement. Par exemple, la plupart des banques ont une politique de "connaissance client" (domaine KYC "Know Your Customer") qui les obligent à rassembler les données à travers les différentes familles de produits. Les banques traitent généralement cet impératif comme une corvée, plutôt qu’en véritable opportunité.
En conséquence, elles ne tirent pas profit de ces règles et n’apparaissent pas comme performante en la matière aux yeux du client. C'est une perte pour toute entreprise, mais qui est d'autant plus dommageable aujourd'hui. Outre le fait que cette attitude puisse nuire à la vente croisée par exemple, elle devient également un critère dissuasif pour les clients. Ils savent que vous les identifiez à travers un produit ou un canal spécifique, mais vous apparaissez incompétent lorsque vous ne le faites pas s’ils en utilisent un autre.
Idem si vous leur faites une offre inappropriée. Ce n'est évidemment pas ainsi que vous réussirez à créer la confiance nécessaire pour une relation fructueuse et à long terme. Lorsque je demande aux chefs de produits la raison pour laquelle ils n'encouragent pas l'intégration de systèmes analytiques dans leur entreprise, ils répondent qu'ils sont rémunérés en fonction des performances de leurs produits spécifiques, donc ils défendent avant tout leur propre capacité analytique. Il n'y a personne pour fournir un contrepoids efficace.
Par ailleurs, l’intégration d’un système analytique à l’ensemble d’une entreprise peut s’avérer difficile. Lorsqu'une grande entreprise du secteur financier a essayé récemment d'obtenir une vue exhaustive de ses clients, il a découvert qu'une partie de ses familles de produits était supportée par des systèmes informatiques incompatibles entre eux. L'entreprise avait hérité de ces systèmes suite à un rachat et n'avait pas trouvé le temps de les harmoniser.
Le bon exemple de Royal Bank of Scotland
Malgré les défis, les entreprises intelligentes parviennent à mener à bien cette intégration. La Royal Bank of Scotland (RBS), par exemple, a déployé beaucoup d'efforts pour placer les clients au centre de ses activités. Au Royaume-Uni, un groupe de 800 personnes, parmi lesquelles des dizaines de data scientists surnommés "personnologues", concentre son attention sur comment créer une expérience unique pour les clients. Le groupe intègre l’analytique au sein des activités liées aux services bancaires des particuliers, à leurs cartes de crédit, leurs prêts immobiliers et leurs services de gestion privée (gestion de fortune). Il l’étend également aux services bancaires aux entreprises.
Les détails recueillis dans un domaine, qu'il s'agisse d'une transaction ou d'un fait mentionné lors d'un appel téléphonique, restent dans le dossier du client. Cela aide à guider les décisions en fonction des besoins généraux du client, plutôt que du point de vue des produits. RBS en est arrivé là en cessant de se focaliser sur la vente de produits individuels pour se concentrer sur la création d'une expérience clients riche. Parfois, cela implique d'utiliser l’analytique intégrée pour informer un client sur les options qui feront diminuer les frais totaux qu'il verse à la banque.
"Nous voulons utiliser les données pour ramener la banque aux pratiques des années 1970. À cette époque, la banque connaissait ses clients individuellement et utilisait ses connaissances pour les aider, au lieu de se contenter de vendre", explique Christian Nelissen de RBS. Non seulement les clients sont reconnus quel que soit le produit considéré, mais il y a également une bien meilleure coordination.
Si un client des services de gestion privée a du mal à rembourser son prêt immobilier, par exemple, le chargé de relations pour les services de gestion privée en est averti et propose son aide pour résoudre le problème. Les clients sont ainsi plus enclins à s'engager dans des conversations suivies sur leurs besoins futurs. Au lieu de se focaliser sur l'exploitation maximale d'un produit donné, la banque peut réfléchir à la relation globale à long terme, notamment en se posant des questions telles que: le client rencontre-t-il des difficultés financières et pouvons-nous l'aider ? Avons-nous résolu la réclamation de façon satisfaisante ? Où le client se situera-t-il dans dix ans et comment la banque peut-elle l'aider au mieux à y parvenir ?
Après un an seulement, les retombées de l'intégration sont considérables: résolution plus rapide des problèmes, réponse à un plus grand nombre de besoins des clients et, surtout, plus grande satisfaction de leur part.
Le marketing doit reprendre la main
Comme les personnes en charge des familles de produits n'encourageront certainement pas l’analytique intégrée, il faudra un responsable au niveau de l'entreprise. Dans la plupart des entreprises, il s'agira probablement du directeur marketing. Non seulement les directeurs marketing ont cette perspective cruciale des clients à l'échelle de l'entreprise, mais ils connaissent aussi le pouvoir de l'engagement pour induire des ventes à long terme. Les directeurs techniques peuvent aider, mais ils n'ont pas la même clarté ou intention dans la manière de structurer et de présenter les données pour piloter les relations avec les clients. Les directeurs marketing sont plus à même de plaider en faveur de l'investissement dans un système intégré. Pour aider cette intégration, ils doivent modifier leur stratégie marketing.
Par le passé, une grande partie du travail du marketing se résumait aux lancements de produits, l'objectif étant de convaincre les clients d'essayer un nouveau produit. Les spécialistes du marketing se servaient essentiellement d'autres médias (publicité) pour capter ces nouveaux publics. Pour l’entreprise numérique, convaincre quelqu'un d'essayer un produit n'est que le début du travail du marketing. La rentabilité repose moins sur le fait d'attirer de nouveaux clients que sur celui de convaincre ceux qui testent un nouveau produit d'approfondir leur engagement, puis d'en parler à leurs amis.
Pour le faire avec efficacité, le département marketing doit renforcer l’utilisation des supports qu'il possède déjà: le site web de l'entreprise, la messagerie électronique, le centre d’appel et les interactions écrites avec les clients existants. Ces communications seront beaucoup plus efficaces si elles peuvent exploiter tous les points de données que l'entreprise possède sur un client et les déductions qui peuvent en être tirées. Trop d'entreprises considèrent l’analytique intégrée comme non vitale. Pour une entreprise numérique, il revient aux spécialistes du marketing de montrer en quoi elle est indispensable.
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