Inscrivez-vous gratuitement à la Newsletter BFM Business
Choc de cultures. Face à l'hégémonie de Google, la ' vieille ' Europe tente de s'organiser. Alors que l'américain profite à plein d'une capitalisation colossale et d'une grande liberté d'action, l'Europe en est encore à bâtir les fondations technologiques de sa contre-attaque.
Le programme industriel Quaero n'engendrera pas un Google européen. Le lancement du projet de numérisation Google Print, fin 2004, avait suscité le tumulte chez les éditeurs, mais aussi dans quelques bibliothèques nationales qui voyaient leurs efforts de numérisation pris de vitesse par la star du Nasdaq. L'article ' Quand Google défie l'Europe ', publié dans Le Monde par Jean-Noël Jeanneney, président de la Bibliothèque nationale de France, a néanmoins permis de mettre sur les rails le projet de bibliothèque numérique européenne (BNUE), ainsi que le programme Quaero, son volet technologique, même si les deux ne sont pas directement liés.Car si les choses commencent à bouger en Europe, aucun nom, aucune entreprise ne semble en mesure de se dresser face à Google. ' S'il avait fallu créer un Google français, c'est il y a quinze ans qu'on aurait dû le faire ', avouent certains participants du programme. Venant en droite ligne du rapport Beffa pour une nouvelle politique industrielle, le programme Quaero a souvent été identifié à tort comme l'Airbus de l'internet, ou plutôt un Airbus de la connaissance. Un ' machin ' dont la seule ambition aurait été de remettre à niveau les équipementiers d'un secteur. Car telle est bien la limite du système européen, comme le fait remarquer Harry Collier, président d'Infonortics : ' Cette compétition sera toujours gagnée par une nouvelle génération de Larry Page et Sergey Brin, plutôt que par de prestigieuses équipes de fonctionnaires dirigées par des politiques. ' Néanmoins, l'analyste souligne l'importance des subventions dans le domaine de la gestion de la connaissance : ' En Amérique, les fonds gouvernementaux sont généreux pour les projets conduits par le Département de la Défense et diverses entités liées à l'intelligence comme la NSA. Les contrats gouvernementaux alimentent dans les faits beaucoup de compagnies et de technologies dans les domaines de la recherche d'informations. Si les Européens souhaitent entrer dans cette compétition, des programmes de financements comparables seront rapidement nécessaires ', conclut Harry Collier.
Pas de Google européen
Loin de vouloir créer un Google européen, Philippe Paban, directeur des technologies de recherche sur le contenu de Thomson et responsable du projet Quaero, recadre les visées du programme : ' Quaero doit développer des systèmes de gestion de contenu multimédia. Le programme inclut recherches en laboratoire et industrielles : le dessein n'est pas de faire de la recherche fondamentale, mais bien de délivrer des applications grand public et professionnelles, et de développer ces technologies jusqu'aux prototypes. ' Six domaines de recherche ont été définis, et une vingtaine d'entreprises franco-allemandes sélectionnées. Le programme prévoit un financement sur cinq ans. ' Même si les montants investis dans Quaero sont significatifs, ce sont les entreprises et les laboratoires qui vont investir le plus lourdement ', précise Philippe Paban. Effectivement, si le programme représente un budget de 250 millions d'euros, l'Agence de l'innovation industrielle en apportera 90, le reste sera amené par les industriels, ceux-là même qui bénéficieront directement des retombées du programme. ' L'objectif de Thomson, c'est de créer des standards d'indexation et de gestion de contenu, afin de faciliter la gestion des contenus multimédias, de la création d'un document à sa diffusion auprès des clients. Quaero va nous apporter des technologies qui seront embarquées dans notre nouvelle génération de produits de type DAM (Digital asset management) ', poursuit-il.Autre société qui va profiter directement du programme Quaero, Exalead, éditeur du moteur de recherche éponyme. François Bourdoncle, son fondateur, expose le rôle de sa société dans le dispositif : ' Dans Quaero, Exalead a une double casquette. Notre spécialité, c'est le texte. Et en termes d'interprétation du champ lexical ou d'analyse sémantique, beaucoup reste à faire. D'autre part, nous allons faire bénéficier notre moteur des technologies multimédias qui seront mises au point dans le programme : indexation de la voix et recherche d'images. Nous intégrerons ces technologies dès qu'elles seront prêtes. 'Plutôt que de financer largement le secteur, le programme a choisi de privilégier quelques entreprises et de leur permettre d'utiliser dans leurs offres commerciales les algorithmes et technologies mises au point dans les universités et laboratoires de recherche franco-allemands. Un parti pris qui va permettre aux champions européens du secteur de se repositionner d'un point de vue technologique, sur un marché où les éditeurs américains mènent la danse de la concentration. Un choix contesté par certains acteurs d'un secteur où de nombreuses sociétés de taille modeste se partagent le marché, et qui voient dans ce financement très ciblé une logique de chapelle plus qu'une volonté de faire émerger une véritable filière technologique.
Quelles retombées pour la BNUE ?
Jean-Noël Jeanneney et Philippe Paban soulignent que les projets Quaero et de BNUE n'ont pas pour vocation d'engendrer un Google made in EU. Très soucieux de ne pas monter une structure ultracentralisée du type du moteur de recherche américain, et, accessoirement, de préserver les susceptibilités nationales de chacun, Jean-Noël Jeanneney vise à interconnecter les grandes bibliothèques nationales, et pas uniquement européennes. Plutôt que de faire de la BNUE un site unique vers lequel convergeraient tous les fonds documentaires européens, chaque bibliothèque participant à la BNUE devra mener son propre programme de numérisation. Or, le principal écueil des projets Google Print et BNUE, c'est bien l'énorme coût que va induire la numérisation de dizaines de millions d'ouvrages. ' Avant tout, l'Europe doit se doter de technologies pour abaisser les coûts d'acquisition du corpus, explique Benoît Drigny, directeur de l'activité numérisation de Jouve. Numériser vingt millions d'ouvrages coûte en effet 400 millions d'euros ! Le but de Quaero est d'abaisser ce coût d'acquisition. ' Le spécialiste français estime d'ailleurs que Google ne dispose pas encore des technologies qui lui permettraient d'abaisser ses coûts de numérisation. Pour tenir son budget, estimé entre 150 et 200 millions de dollars, pour numériser quinze millions d'ouvrages d'ici à 2015, l'américain doit sous-traiter en Inde et en Asie. Et c'est bien en prenant à sa charge cet énorme effort de numérisation que Google a réussi à convaincre de grandes bibliothèques américaines et britanniques à le rejoindre dans son projet. Les chercheurs et industriels européens pourront-ils, en cinq ans, donner un avantage technologique décisif pour permettre aux vénérables bibliothèques nationales de refaire leur retard sur les geeks californiens ? C'est tout l'enjeu de Quaero.
Votre opinion