Georges Epinette, Dosi du Groupement des Mousquetaires et vice-président du Cigref, dresse un tableau de la relation historique entre directeurs généraux et DSI.C'est sans doute la terminologie qui retrace le mieux les grandes étapes de ces quarante-cinq ans : mécanographie, informatique, systèmes d'information, TIC-NTIC (Technologies de l'information et de la communication), numérique… Et puisque ce numéro miroir de 01 fait aussi appel à la contribution des directeurs généraux, j'en profite pour retracer l'évolution de nos relations.
L'informatique, ses rites, son jargon, son corporatisme
Jusqu'au début des années 80, la mécanographie (qui s'essouffle) et l'informatique (qui fait ses débuts) se cantonnent à un rôle de production en se focalisant sur la réduction des tâches répétitives. C'est cher mais on en a pour son argent, car chaque patron est en mesure de calibrer les gains générés par cette usine de cartes perforées. Tout semble encore à la portée de chacun : l'ancien mécanicien est devenu opérateur et le chef de l'atelier numéro deux le patron des “ bécanes ”. Cela ne doit pas être compliqué de faire fonctionner tout cela. “ Mais pourquoi diantre ces gars-là quittent-ils leur blouse grise pour revêtir une blanche, celle portée par les ingénieurs du laboratoire de développement ? ”Et puis l'informatique arrive avec son jargon, ses rites, son corporatisme. Ce qui était hier concret est devenu abstrait, abscons. Non seulement de nombreux dirigeants n'y comprennent rien, mais les informaticiens n'y mettent pas du leur, les prenant de haut, exigeant des rémunérations incomparables avec ce que l'ancien mécano gagnait hier. Le clivage s'installe, et on entend des remarques du style : “ C'est vrai qu'on n'y comprend rien, ça coûte cher, et faut pas être pressé. Je vais mettre dans la boucle mon directeur financier pour y voir plus clair. ” Nous sommes passés de l'ère de l'ignorance à celle de la défiance. Cependant, ces mêmes dirigeants se vantent de posséder un ordinateur plus puissant que celui de leur concurrent : l'informatique, une parure sociale ?Nous voici au milieu des années 80 avec la diffusion des PC en entreprise, l'apparition des tableurs, des traitements de texte et des premiers infocentres. L'encadrement soulève alors un pan de ce qui était considéré hier encore comme un mystère bousculant les dirigeants pour introduire davantage d'informatique. Mais le paradoxe de Solow se confirme et cela énerve. Yvon Gattaz, président du CNPF (ex-Medef), publie un article dans Les Echos intitulé “ L'informaniatique ”, symptomatique de l'incompréhension et de l'exaspération des dirigeants à l'égard de “ la chose ” informatique. A son tour, le directeur financier, focalisé sur les coûts, ne semble guère mieux s'en sortir que son boss. Intervient alors un nouveau business model salvateur : l'infogérance. On espère mettre un terme à la confusion ambiante en se recentrant sur le métier : délégation ou abdication ?Années 2000 : une perception toujours sévère de l'informatique
Mais ces diables d'informaticiens semblent irréductibles : ils parlent de systèmes d'information, de processus. Nous voici repartis pour un tour. Avec, en prime, la surprise de l'An 2000, l'arnaque du siècle, d'après certains. Tension sur l'emploi, budgets faramineux confortant le sentiment d'entretenir des “ danseuses ” : et tout cela pour seulement deux chiffres !Puis internet s'installe. Une génération prend la relève dans un contexte de mondialisation. Sont-ils mieux disposés à l'égard de l'informatique ? Pas vraiment ! En témoigne une enquête de 2005 menée par Capgemini et Ernst&Young à propos de la perception qu'ont les dirigeants de l'informatique : 44 % des patrons jugent leur informatique non économique ; 60 % non efficace ; 46 % ne perçoivent pas en quoi elle peut faire progresser leur chiffre d'affaires et enfin, 73 % estiment leur organisation incapable de mesure la valeur ajoutée créée par l'informatique.Affligeant ? Peut-être, mais qu'ont fait les informaticiens en faveur d'une réconciliation avec leur directeur général ? Heureusement, le tout-numérique rend palpables les effets de l'informatique auprès de tous : mobilité, ubiquité… Tout sujet dans l'agenda d'un dirigeant contient une part de numérique. Les mythes tombent alors que l'environnement se complexifie. Les modèles changent, les rôles aussi. Avec le cloud et ses conséquences sur la désintermédiation de nos fonctions, les indispensables d'hier existeront-ils encore demain ? Réponse dans les toutes prochaines années.
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