Relever le défi de la compétition informationnelle

La croissance n’est plus un mot magique. Il est devenu impératif de se donner aujourd’hui les moyens adéquats pour faire face aux confrontations de différentes natures qu’engendrent la mutation du marché mondial et les crises qui se succèdent depuis les chocs pétroliers.
Comment la France peut-elle faire pour préserver son potentiel économique ? L’appel à acheter français ou la relance d’un patriotisme économique recueillent quelques échos favorables dans le bon sens populaire. Les auteurs de ce retour aux sources sur l’identité économique de la France se sont immiscés dans la campagne présidentielle en donnant le sentiment qu’un tel débat arrive bien trop tard et qu'il ne bouscule aucune des certitudes affichées par les élites politiques, administratives et économiques de ce pays.
De fait, ces slogans ne sont plus des éléments de réponse suffisants. Depuis vingt ans, les créateurs du concept d’intelligence économique ont pointé du doigt la nécessité de penser autrement. La croissance n’est plus un mot magique. Il est devenu impératif de se donner aujourd’hui les moyens adéquats pour faire face aux confrontations de différentes natures (dumping, protectionnisme visible et invisible, prédation, concurrence déloyale, contrefaçon) qu’engendrent la mutation du marché mondial et les crises qui se succèdent depuis les chocs pétroliers.
Combien de temps perdu…
Depuis la fin des années 80, les porte-parole de l’intelligence économique n’ont cessé de répéter aux gouvernants de tous bords que la France devait adopter une nouvelle posture commerciale plus en phase avec les affrontements économiques qui découlaient de la fin du statu quo de la guerre froide. Il fallait, disait-on dès 1989, repenser notre approche du marché mondial en concentrant nos forces sur des enjeux prioritaires pour gagner des parts de marché hors de nos zones traditionnelles d’échange. Ce fut un vœu pieux. Nous passions alors pour de doux rêveurs. Et les économistes français, lorsqu’ils daignaient se pencher sur nos travaux, les qualifiaient d’obsolètes et teintés de nationalisme économique.
2012, le constat est là. L’analyse comparée que nous avons faite en 1992 sur les machines de guerre économique américaine, japonaise et allemande n’a pas pris une ride. Mais combien de temps perdu avant d’accepter du bout des lèvres certaines réalités, quitte à les oublier très vite ensuite. Pressentant les bouleversements en cours, Elie Cohen et consorts admettent – lors d'une émission sur France Culture, Du Grain à moudre, du 7 janvier 2010 – que les économies les plus compétitives ont comme locomotives des champions nationaux.
Prendre des initiatives audacieuses
La pression croissante que les pays émergents vont exercer sur la France et l’Union européenne (notamment en contrepartie de l’argent qu’ils nous prêtent), implique une nouvelle stratégie de sédentarisation économique. Le problème n’est plus de savoir ce que les autres nous laissent comme part de marché, mais de sauver les territoires par des initiatives audacieuses. Les 70 000 emplois qu’ERDF (Electricté réseau distribution France) pouvait créer dans la décennie à venir, par le biais de l’installation des 35 millions de compteurs Linky, est un bon exemple d’une stratégie d’ancrage territorial qui ne se limite pas à l’activité de sous-traitance mais à la combinaison d’activités liées à l’extension des réseaux électriques intelligents. Le feu vert sur l’appel d’offres devait être donné par le ministre Eric Besson à l’automne 2010, on l’attend toujours…
Hélas, ce genre de décision se heurte encore à des divisions internes de toute nature. Le plus inquiétant est la conséquence catastrophique qui risque d’être engendrée par ces tergiversations, à savoir l’importation de compteurs chinois fabriqués dans une logique de conquête des marchés extérieurs afin d’être prêts au bon moment pour être écoulés sur le marché occidental. Un compteur chinois à la place de Linky, alors que ce dernier est prêt, à la pointe de la technologie, compétitif et fabriqué en France ! On marche sur la tête…
Une guerre de retard
Pour éviter de tels ratés, il est urgent de travailler sur la notion d’économie territoriale d’exportation. L’appareil d’Etat fait ce qu’il peut, mais l’élan est d’abord dans la capacité de l’initiative privée à concentrer sa force de frappe pour se positionner sur les marchés extérieurs. Cela passe par une accélération du processus d’intelligence économique au niveau des territoires et des TPE/PME. L’union fait la force, ce vieux slogan a conservé un sens qu’il faudrait réinventer. La première étape est de prendre la véritable mesure de la compétition informationnelle que nous livrent nos concurrents. Pendant qu’Ubifrance poursuit sa mue en vendant l’information, les Anglo-Saxons développent les offres d’information gratuite pour conditionner les acteurs économiques étrangers à venir boire à leurs sources.
Nous avons toujours une guerre de retard. Et lorsque nous semblons coller au peloton de tête, nous constatons une fois de plus le déficit de pensée stratégique par rapport à l’objectif à atteindre. La politique menée dans le domaine de l’open data est pour l’instant incomprise du grand public car il ne suffit pas de mettre à la disposition des Français l’information administrative pour qu’ils sachent l’utiliser de manière opérationnelle. On a créé un dictionnaire mais il manque l’usage de la langue. En un mot, la compétition informationnelle est le défi qu’a lancé le rapport Martre avec l’intelligence économique. Deux décennies se sont écoulées. Nous en sommes encore à parler de sécurité…
La dimension européenne ne doit surtout pas être passée à la trappe. Une démarche expérimentale d’intelligence économique franco-allemande est possible. L’Ecole de guerre économique mène depuis dix ans un dialogue constructif allant dans ce sens avec des interlocuteurs d’outre-Rhin. Nous avons besoin de construire ensemble l’embryon d’une ingénierie informationnelle, comme le prône Frédéric Lacave au niveau français. Sans cette concertation, l’Europe sera une puce de papier vis-à-vis de la Chine et des autres puissances économiques de ce monde.
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