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Pour expliquer le dépôt de bilan de Mayetic, le repreneur met en cause la stratégie des anciens dirigeants. Ceux-ci déplorent un sous-financement et un code du travail trop rigide.
Les ex-dirigeants de Mayetic ne sont pas épargnés par leur successeur. Stanislas de Rémur, PDG d'Oodrive, dresse un tableau sans complaisance de la société qu'il vient de reprendre. Selon lui, l'éditeur d'outils collaboratifs est allé
dans le mur du fait d'une équipe surdimensionnée, d'une politique de gratuité dispensée de manière trop généreuse et d'une industrialisation insuffisante des développements. Des relations difficiles avec l'investisseur exclusif, la Caisse de dépôts
et consignations (CDC) ont accentué la crise. Et comme si cela ne suffisait pas, les activités personnelles de l'ancien PDG ont participé à la chute de sa société.Lancé par Bruno de Beauregard et Miguel Membrado, Mayetic avait pourtant tout pour séduire, concept novateur et technologie solide. En 2000, l'éditeur est l'un des seuls Français à proposer des espaces de travail collaboratif sur
internet, en s'appuyant sur Quickplace d'IBM. Et cela fonctionne. L'éditeur passe rapidement la barre du million d'euros de chiffre d'affaires et reçoit, en 2002, l'aide financière du fond d'investissement CDC Kineon, en échange de 35 % des
actions. Les fondateurs acceptent une des exigences du fonds : rester le seul grand actionnaire avec eux. Ce sera la première erreur. D'autant que rapidement, les relations entre les deux parties se dégradent.
Des liens distendus avec le principal investisseur
D'après les fondateurs, les investisseurs (qui n'ont pas répondu à notre sollicitation) ne leur ont jamais donné les moyens de développer leur société. Dès son entrée au capital, le fonds ne verse que les trois quarts des trois
millions d'euros attendus. Plus tard, CDC n'intervient qu'au dernier moment, pour renflouer la société. En 2004, l'éditeur reçoit bien 850 000 euros... mais en quatre échéances. Et cela influe sur la transformation de la société de
services en éditeur qui s'étale sur quatre ans. Ainsi en 2001, 80 % du chiffre d'affaires viennent des projets développés autour de Domino, le serveur web de Lotus. En 2005, la moitié des revenus proviennent du logiciel (répartis à parts égales
entre la vente de licences et l'ASP), l'autre moitié est issue de l'activité services.Mais la CDC se désintéresse progressivement de l'investissement de Mayetic et refuse qu'il se développe à l'international, malgré le soutien de la Coface. Enfin, au moment des négociations avec Equant (filiale de France Telecom) pour
distribuer son outil de travail collaboratif en marque blanche, Mayetic perd définitivement le soutien de la CDC. Le fond en aurait eu assez de la stagnation du chiffre d'affaires. Bruno de Beauregard estime qu'il manquait de variables d'ajustements
pour s'adapter aux arrivées d'argent aléatoires. Impossible de réduire des effectifs ?" 23 personnes ?" qui ont toujours été insuffisants, même si la masse salariale absorbe 70 % des dépenses fixes. Pour le même effectif, Oodrive,
le repreneur, revendique pratiquement le triple de chiffre d'affaires (mais la sauvegarde en ligne et le partage de fichiers nécessitent un effort moindre en R&D et, donc, en personnel). Ce n'est qu'à la fin de l'année dernière que Mayetic se
résout à licencier. Trop tard. L'entreprise n'a même plus assez d'argent pour payer ses salariés durant la procédure de redressement judiciaire. Le dépôt de bilan est inéluctable. Pour Rudolf Strohmeier, chef de cabinet de Viviane Redding,
commissaire européen chargé de la société de l'information et des médias, la fragmentation du marché européen, le profil à risque des éditeurs et leurs gros besoins en financement découragent les financiers. Les fondateurs de Mayetic déplorent que
les financements publics soient plus favorables aux grands groupes qu'aux PME innovantes. Ils dénoncent aussi l'apathie des fonctionnaires au sein des fonds d'investissements d'Etat. ' Il faut arrêter d'incriminer
systématiquement les investisseurs ', rétorque Alexandre Zapolsky, membre de l'association Croissance Plus. Le PDG doit assumer ses réussites et ses échecs.Pour Miguel Membrado, les lourdeurs du droit du travail ont aussi précipité la chute de sa société. Ce qui a le don d'agacer prodigieusement Christian Sautter, adjoint au maire de Paris en charge du développement économique. Il
rappelle que la rigidité de l'emploi n'empêche pas des réussites, comme celle de l'éditeur francilien Exalead. De son côté, Alexandre Zapolsky souligne que ' Mandrakesoft a été placé en redressement judiciaire et il s'en est
sorti. Il n'y a donc pas de fatalité '. Olivier Njamfa, fondateur et PDG d'Eptica, éditeur de solutions de gestion de mails entrants, se montre plus compréhensif. ' Si l'entreprise a été trop
ambitieuse, il faut pouvoir revenir en arrière sans mettre le projet à terre. ' Autrement dit, il faut pouvoir licencier plus facilement. Mais tous ces PDG tiennent à préciser que la réelle difficulté est d'embaucher des
profils qualifiés.
Une affaire mystico-judiciaire précipite la chute
Les fondateurs n'ont jamais eu le temps et l'argent nécessaires à une grande refonte de Mayetic. Comme le confie Stanislas de Rémur, pour satisfaire les clients et rentrer des liquidités, il ajoutait couche sur couche au logiciel. Le
rendant ainsi moins stable. Le nouveau PDG compte d'ailleurs remanier profondément le logiciel. Outre la question de la dépendance aux technologies de Quickplace difficiles à mettre en cluster ?", il veut stabiliser la version en cours avant
de consentir un gros effort en R&D. D'après les fondateurs et le repreneur, Mayetic dispose encore d'un an d'avance par rapport aux suites open source. Seul un gros lifting l'aidera à résister à la pression du libre, en particulier sans les
collectivités locales.Enfin, un dernier élément a accéléré le dépôt de bilan. Avec des finances bancales, Mayetic a reçu le coup de grâce avec la tourmente mystico-judiciaire mettant aux prises le maire d'Asnières, proche de l'actuel ministre de
l'Intérieur, et Bruno de Beauregard. L'affaire est très médiatisée. Les clients paniquent. Joints par la rédaction avant la reprise par Oodrive, les clients (Mairie de Paris, France 3, etc.) se refusent à communiquer sur l'utilisation de l'outil.
Pas étonnant donc que les soutiens se soient fait rares.r.edouard-baraud@01informatique.presse.fr
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