Surveillance numérique planétaire : y-a-t-il pire que la NSA ?

Contrairement à la NSA, Google ne se contente pas de collecter les données que nous produisons mais il influence notre manière d'envisager le monde.
La question de savoir si en matière de surveillance il y a pire que la NSA n’est pas absurde. Car quand cet organisme collecte à notre insu ce que nous échangeons, produisons, partageons, … il ne fait que collecter. Il n’influence pas notre manière de penser.
Or, il y a un outil sur qui nous déportons de plus en plus notre effort d’acquisition en informations, de mémorisation, et pour ainsi dire de « réflexion » : Google.
Google est extraordinaire...
Entendons-nous bien ! Google est un outil remarquable qui permet de rechercher dans une masse considérable de données et de nous apporter en quelques microsecondes des résultats. La suite d’outils qu’il met gratuitement à notre disposition est proprement hallucinante. D’ailleurs, l’ensemble est tellement riche que peu savent en réalité bien les utiliser. Ainsi très peu d’internautes utilisent Google web avec des opérateurs de recherche. On peut utiliser les moteurs verticaux, notamment pour les vidéos (Youtube), les blogs, forums, documents académiques (Scholar), tendances de recherche (Trends), livres (Ngram), … On peut aussi s’abonner à des alertes (Google Alertes), gérer ses photos (Picasa), voir la terre de loin, voir les rues de près. On peut se créer un moteur de recherche personnalisé (Google Custom Search) …
… extraordinairement avide, d’analyser nos profils pour en tirer profits
Les outils de Google sont donc remarquables, mais leur utilisation intensive transforme du même coup l’entreprise qui les produits en structure dangereuse.
- Plus de 90% des requêtes sur les moteurs de recherches en France sont faites à partir de Google, véritable gare de triage de l’information numérique. Nous avons rendu Google hégémonique sur le créneau de la recherche, et il nous connait sans doute mieux que quiconque.
- Et quand la NSA se « contente de nous observer », Google nous alimente. Là est la grande différence. On lui soumet des questions, on lui livre nos interrogations, profondes ou légères, et il nous donne des sources qu’il a choisi sur lesquelles baser notre réflexion.
- Nouvel oracle, Google n’a pas inscrit sur le fronton de sa page « Connais-toi toi-même » comme sur le temple de Delphes. Sa devise serait plutôt, « Laisse-moi te connaître, je te dirai quoi penser ».
Les instruments de la surveillance de Google
Passons en revue les outils de surveillance de Google :
- Toutes nos requêtes sont sauvegardées et archivées : mots-clés, date, heure, adresse IP, liens sur lesquels on clique. Ce qui d’ailleurs permet à Google de nous offrir l’auto-complétion : à partir des premiers mots de notre requête, il se propose de la terminer. Google Trends est aussi fondé sur l’utilisation des données de recherche enregistrées.
- Avec les AdWords, il promeut certains sites plutôt que d’autres.
- Google analyse l’ensemble des données collectées par ses différents outils, ce qui lui vaut d’ailleurs une attaque récente des Pays-Bas dans la logique des précédentes interrogations de la CNIL. Objectif nous fournir des publicités ciblées.
- Google a démontré qu’il n’était pas un parangon de la protection des données personnelles. L’espionnage des WiFi par les Google Cars pour la création de Street View en est un exemple. Google avait aspiré - par erreur, dit-il - les informations personnelles et mots de passe des réseaux Wi-Fi qu'il croisait avec ses Google Cars.
- Le problème avec Safari en est un autre. Selon Le Monde, le moteur de recherche reconnaît avoir contourné une restriction technique de Safari, qui bloque par défaut les cookies provenant d'un site tiers, afin de pouvoir proposer des publicités et des fonctionnalités personnalisées aux utilisateurs de ses services.
- Début 2012, Google lance son programme de recherche Screenwise. Il propose à ses internautes un « espionnage consenti » de leur vie privée, en échange d'une rémunération pouvant monter jusqu'à 25 dollars en cartes cadeaux Amazon.
- Même si vous désinstallez le navigateur Chrome, Google laisse sur votre ordinateur des outils qui peuvent « espionner » votre utilisation d’internet. Selon Korben : « un ActiveX permettrait potentiellement à Google de continuer à "tracker" ses utilisateurs, bien au-delà de Chrome, carrément via Internet Explorer... ».
- Continuons avec les lunettes numériques. Celles-ci suscitent quelques inquiétudes en ce qui concerne le respect de la vie privée. Les personnes portant ces Google Glass pourront très bien photographier ou même filmer quelqu'un tout en passant inaperçu, et le poster sur internet.
- On en apprend tous les jours sur la capacité de Google à nous suivre. Ainsi un article récent de Techcrunch (en anglais) : « Google’s Location History Browser Is A Minute-By-Minute Map Of Your Life”) explique qu’un téléphone ou une tablette utilisant le système d’exploitation Androïd de Google enregistre tous vos déplacements ! Oui, tous, seconde par seconde…
- Autre point. Certains brevets déposés par la firme américaine ont de quoi nous laisser songeur. « Google a déposé un brevet permettant aux employeurs de repérer des phrases jugées « problématiques » dans les mails des salariés ». Et un autre suggère automatiquement des réactions aux internautes, en pré-rédigeant des réponses à apporter aux e-mails, SMS ou autres messages publiés par des contacts sur les réseaux sociaux. Google se propose donc d’écrire des réponses adaptées à la psychologie de chacun.
Comment restaurer notre indépendance informationnelle ?
Google peut redessiner notre vision du monde, l’histoire du monde, …
Ainsi, si à la requête innocente d’un étudiant « qui était de Gaulle ? », Google met en avant des sites qui le présentent comme un homme peu fiable (ce qui était la vision qu’avaient de lui Churchill et Eisenhower), qui l’en empêcherait ? Les historiens, les journalistes, les politiques ? Quel poids cela aurait ?
Et justement, parlons de de Gaulle. Il serait certainement ulcéré de voir à quel point la France a perdu son indépendance informationnelle. Sa capacité à se nourrir en toute indépendance des informations qu’elle croit juste, pour projeter sa place dans le monde, et analyser le monde tel qu’il est.
Que faire ?
Il faut d’abord un travail individuel : prendre conscience de l’influence de Google. Connaitre les autres moteurs de recherche est indispensable ; y compris par exemple DuckDuckGo. Tous les internautes devraient aussi maîtriser les techniques de recherche avancées. Ce qui réduira la marge de manœuvre des moteurs pour nous servir des résultats selon des critères peu ou mal maîtrisés. Bref, il faut être responsable et comprendre les biais dans la recherche d’information.
Il est possible d’ajouter des extensions gratuites aux navigateurs, tels NoScript ou Ghostery, qui permettent de visualiser et de bloquer, en connaissance de cause, les codes espions qui remontent les informations associées à nos requêtes (Google Analytics et autres…).
Cette prise de conscience peut être accompagné par les écoles et les organisations (entreprises, associations, …) par des formations. C’est le métier des professionnels de l’intelligence économique (donc le mien). On peut aussi imaginer se faire rémunérer (cela peut intéresser certains) pour les informations que nous fournissons à Google et qui ont une valeur…
Il faut enfin que l’Europe créé son moteur de recherche. Exalead avait travaillé sur un projet européen. Il nous faut un Airbus du moteur de recherche. Une volonté politique, sur le long terme, est nécessaire. Les Russes, les Chinois le font bien, preuve de leur prise de conscience que la souveraineté informationnelle est nécessaire, en cette période de lutte économique.
En conclusion, la NSA qui nous observe me semble beaucoup moins dangereuse que Google qui nous alimente. La colère actuelle contre la NSA est légitime. Mais elle ne doit pas masquer d’autres dangers.