Torts partagés pour des utilisateurs ' libres '
Pour la première fois, le tribunal de grande instance de Paris s'est penché sur l'utilisation d'un logiciel libre sous licence GNU GPL dans un logiciel propriétaire, et sur les risques juridiques qui pèsent sur une future cession.
L'affaire
Des chercheurs de l'université Joseph-Fourier ont mis au point la technologie multiagent. Cette innovation est utilisée par une plate-forme d'apprentissage de la conduite de machines robotiques. La société Educaffix, créée pour développer et exploiter cette plate-forme, a acquis un logiciel dénommé Baghera. Destiné à la formation à distance, il aide à concevoir divers agents virtuels devant coopérer et communiquer entre eux pour dispenser la formation à distance. Or ce logiciel ne pouvait fonctionner que sur la base du logiciel libre JATLite, développé par l'université de Stanford sous licence GNU GPL(1). Educaffix, qui estimait ne pas pouvoir développer son propre logiciel à partir du logiciel Baghera, du fait de l'absence de licence sur JATLite, a demandé la nullité du contrat de cession pour dol ainsi que la résolution du contrat de cession des droits aux torts des cessionnaires.Un programme qui dépend de la licence GNU doit être considéré comme dérivé
Sur le premier point, le tribunal(2) a jugé que les conditions du dol n'étaient pas réunies. Les cessionnaires n'ont commis ni man?"uvre ni dol par réticence à l'égard de la société Educaffix. Celle-ci savait que le contrat de cession ne portait que sur le système multiagent ?" lui-même constitué des deux seules couches intermédiaire et supérieure du système ?", et non sur le sous-bassement ?" le programme JATLite. En revanche, le tribunal a fait droit à la demande de résolution du contrat. Il a jugé incontestable que le logiciel Baghera a été livré avec le programme JATLite intégré, ce que précise le contrat de cession lui-même, et que ce programme, bien qu'indépendant, est nécessaire au bon fonctionnement du système multiagent, objet du contrat de cession. Or, à défaut de licence de l'université de Stanford, la société Educaffix aurait dû remplacer le programme JATLite. Ce qui exigeait dix à quinze semaines de travail, selon l'expert judiciaire. En conséquence, l'objet du contrat de cession s'avère dépendant dans son exécution du remplacement du programme JATLite. Le tribunal a prononcé la résolution du contrat aux torts partagés de chacune des parties, lesquelles connaissaient ce problème depuis le début de leurs relations.(1) La licence publique générale GNU (ou GNU GPL) édicte contractuellement les principes fondamentaux du Copyleft : libertés d'étudier les programmes, de les exécuter, de les adapter, de les distribuer et de rendre publiques les modifications. La liberté de distribution étant soumise à la condition que celle-ci s'effectue dans le cadre et le respect de la licence initiale.(2) TGI Paris, 3e ch., 1er sect., 28 mars 2007, Educaffix c. CNRS, université Joseph-Fourier et autres.