Transformation digitale : relancer la guerre des classes ?

La nouvelle vague de digitalisation de l'entreprise ne sert pas suffisamment à combler le fossé entre les salariés dont les organisations prennent soin et les autres laissés sur la touche du numérique.
À la fin du XIXe siècle, l’opposition entre cols bleus et cols blancs était importante et a participé au renforcement du concept de guerre des classes. Les premiers étant toujours moins bien traités que les seconds. Avec la digitalisation des entreprises, à l’heure où de plus en plus de choses sont automatisées, allons nous renforcer ce schéma ?
Transformation digitale et communication interne
Le mois dernier je participais comme speaker à une conférence sur la transformation digitale des organisations où je mettais en avant que l’entreprise devait avancer dans son ensemble vers cette digitalisation et ne laisser personne derrière elle. Un des intervenants m’a répondu, à juste titre, que dans une organisation de grande taille impossible de tout faire en même temps et qu’il y avait des priorités à définir. Le problème c’est que cet ordre de priorité est rarement connu de tous les salariés et que bien souvent ils ont l’impression que ce sont toujours les mêmes qui en profite. La communication en interne est bien souvent déficiente à ce niveau et ne permet pas aux collaborateurs de se positionner. Ils n’ont souvent qu’à subir ou regarder le train passer.
En même temps, si on va jusqu’au bout de l’idée, la communication de la stratégie de l’entreprise en interne a toujours été quelque chose de plutôt déficient ou inexistant. Nous sommes bien loin de l’idée de devoir traiter ses collaborateurs aussi bien que ces clients. Et, au-delà de la communication, si tout le monde ne peut pas avancer à la même vitesse, comment choisir qui seront les premiers à en bénéficier ? Quel symbole veut-on donner ? Parle-t-on de gains pour l’individu et l’entreprise ou juste de simplicité de mise en œuvre ?
Un fossé digital de plus en plus grand ?
Avec le lancement des mails puis des intranets une grande partie de la population des entreprises a été exclue de cette première digitalisation, créant de facto une scission au sein de l’entreprise. Et tout ceci à partir de l’idée préconçue que, de toute manière, cette catégorie de salarié n’en a pas besoin. Aujourd’hui, certaines populations n’ont toujours pas accès à un ordinateur ou même à l’email et se voient encore reléguées au second plan. Mais la majorité de ces salariés a accès de manière privée à un certain nombre d’appareils pour se connecter, par exemple, à des réseaux sociaux. Ils comprennent parfaitement les enjeux autour de ces outils et l’impact qu’ils pourraient avoir sur leur travail au quotidien, comme c’est déjà le cas dans leur vie privée. Ce qui rend leur exclusion de la digitalisation de l’entreprise encore plus ridicule et mal vécue.
Même si cela n’est qu’une partie des raisons du désengagement, la communication interne peine à toucher ces salariés et à les intéresser à l’avenir de l’entreprise. Les organisations ne peuvent pas se plaindre du désengagement de 75% de leurs collaborateurs, si la majorité d’entre eux sont traités comme des « citoyens de seconde zone ». Et, alors qu’un « nouveau » mouvement de digitalisation de l’organisation permettrait de combler enfin ce fossé grandissant, c’est bien souvent l’inverse qui se produit. Symboliquement cela veut tout dire, d’autant plus quand ces employés sont ceux qui produisent de la valeur pour l’entreprise comme dans le monde industriel ou la grande distribution pour ne citer qu’eux.
A l’heure où la question de « l’outillage » se pose pour beaucoup d’entreprise qui vont vers cette transformation digitale, qui faut-il outiller en premier ? Et, plus que des outils, c’est à une nouvelle façon de concevoir son métier au sein de l’entreprise qu’il faut réfléchir en tant qu’acteur. Sans repartir sur les travaux d’Elton Mayo, montrer que l’on s’intéresse aux gens en faisant évoluer leur condition de travail est un vrai plus dans l’engagement de chacun au quotidien. Surtout si ces collaborateurs sont les plus mal lotis.
Avant de demander à chacun de participer à la transformation de son entreprise, donnons leur déjà les moyens d’être des parties prenantes. Car c’est en obtenant une masse critique que l’on fera changer la culture et les habitudes.