Une crise qui en cache une autre

Les SSII font partie des victimes du Cloud. La gestion informatique des projets passant au second plan derrière les questions organisationnelles et d'accompagnement du changement.
Sous couvert du contexte économique général, les sociétés de services informatiques (SSII) masquent les difficultés structurelles du secteur à travers une analyse optimiste de la situation. Le développement du cloud crée un malaise chez les informaticiens. Les offres Saas ont commencé par s'imposer sur le segment de marché de la collaboration et s'étendent aujourd'hui à tous les domaines du logiciel.
1. Le Cloud modifie les comportements d'achat, la nature des prestations et la manière de vendre
L'amélioration du SI (Système d’information) nécessitait jusqu'à présent un projet d'intégration informatique. Les SSII disposaient d'un marché dont la taille était liée au développement économique de leurs clients et à leur besoin d'optimiser leur processus. Aujourd'hui, les entreprises répondent à ces besoins d’optimisation en souscrivant à des services en ligne hébergés dans le Cloud. La gestion informatique du projet passe au second plan derrière les questions organisationnelles et d'accompagnement du changement. Les métiers achètent directement leurs solutions aux éditeurs souvent de manière progressive, sortant du cadre des projets et s'incubant avec des budgets de fonctionnement. Le cloud se comporte comme un perturbateur de marché pour les SSII comme les VTC pour les taxis.
2. Internet et la nouvelle économie des savoirs modifient la chaîne de valeur et le rôle de la SSII perd de l'importance
Pour les entreprises, les consultants constituent d'une part des ressources d'appoint, et d'autre part, un apport d'expertise nécessaire à la réussite des projets. Si le besoin d'intégration est remis en cause par le Cloud, d’autres actions deviennent centrales pour les projets de transformation digitale, notamment définir ces usages cibles, évaluer les impacts organisationnels, re-designer les processus, bâtir son SI social, développer les nouveaux usages, acculturer.. L'état de l'art sur ces sujets progresse vite dans la nouvelle économie des savoirs. Les compétences sont encore mal formalisées et doivent être acquises sur le terrain. Pour monter en compétence, les praticiens dans les entreprises se connectent entre eux, partagent, s'entraident et aujourd'hui se donnent les moyens d'accéder à l'expertise dont ils ont besoin. Or, les consultants des grandes sociétés de services restent en dehors de ces réseaux et peuvent avoir plus de mal à monter en compétences.
3. Un choc amorti par un contexte juridique du travail favorable et une fonction Achat qui ne s'est pas encore adaptée
Ceci dit, pour réaliser leur projet, une bonne partie des entreprises s’adresse à des consultants. L'achat de prestations intellectuelles est d'autant plus important pour elles qu'il ne s'agit pas en réalité de ressources d'appoint, mais d'une part très significative des effectifs pouvant atteindre la moitié des ressources de MOA et MOE informatiques. Les entreprises limitent ainsi leur masse salariale et conservent une flexibilité dans la gestion de ces effectifs externalisés. Une manière de présenter de meilleurs ratios financiers et d'ajuster les effectifs beaucoup facilement. A défaut de recruter, elles achètent donc de la prestation.
Si l'achat reste nécessaire, les pratiques actuelles sont devenues inadaptée aux enjeux de la transformation numérique et à la nouvelle économie des savoirs. Les projets sont devenus moins informatiques, plus organisationnels ce qui fait que les métiers recherchent de l'expertise et non des ressources standardisées. Acheter des ressources en masse sur la base du renom d'une entreprise et, d'une vague classification de l'expertise, sans ensuite se donner les moyens de s'assurer de la productivité ou de la valeur apportée par les jours achetés, ne sert pas les intérêts de l'entreprise.
Dans certaines grandes entreprises, l'inadéquation des ressources mises à disposition des métiers par les cadres d'Achat, incitent les équipes internes à choisir eux-mêmes leurs prestataires en contournant les processus d’achat internes. Mais en période de maîtrise aiguë des coûts, ce choix nécessite du courage. Le côté disruptif de la transformation digitale commence parfois par cet acte transgressif.
Plus une société est grande, moins elle est agile. Et il n'y a pas, jusqu'à preuve du contraire, d'avantages concurrentiels à aller chercher avec des effets d'échelle aussi importants dans le domaine du conseil ou de l'ingénierie. Surtout que ces structurent investissement souvent moins que bien d'autres petites structures. Elles sont à contre-courant de l'évolution du marché. Les acheteurs devraient s’intéresser plus aux petites structures et moins aux grandes sociétés. Ils devraient travailler plus en partenariat avec leurs métiers, mettre en place un système collaboratif d'évaluation des prestataires, repenser le sourçing avec l'évolution des écosystèmes désormais en réseau et au cœur de l'échange des expertises. Les RH progressent bien eux dans cette voie et utilisent les médias sociaux pour recruter.
En France, nous avons la particularité d'avoir des grandes sociétés de services (SSII) et de petits éditeurs logiciels. L'économie digitale a besoin d'éditeurs innovants, d'opérateurs de cloud, d'un écosystème en mesure d'acculturer les entreprises aux enjeux du numérique, de conseil fondé sur un rapport nouveau avec ses clients. Nos grandes SSII et nos petits éditeurs sauront ils s'adapter à l'économie numérique de demain ?
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