Inscrivez-vous gratuitement à la Newsletter BFM Business
Quand le mal-être et le stress gagnent, certains réagissent en serrant les dents ou s'investissent moins. D'autres, répondant à l'appel du large, partent monter leur propre affaire.
Occuper un poste important est certes agréable. Mais les bénéfices d'un confortable salaire et un statut social enviable n'empêchent pas la lassitude de s'installer, ni d'aspirer à réorienter sa vie professionnelle. Les événements précipitent parfois les choix. Dominique Ladiray ?"uvrait dans une SSII d'environ deux cents personnes. Il a fort mal vécu la transformation de cette société à taille humaine en une simple filiale d'un grand groupe. Ressentie comme un ' enfermement dans des procédures lourdes, s'accompagnant de pertes de contact avec les collaborateurs et de l'émergence de rivalités destructrices en interne '. Son récit déroule une liste de symptômes. Mal à l'aise dans ses fonctions et dans son entreprise, l'ex-DSI de Focal allait travailler à contre-c?"ur. ' Depuis quelques d'année, la perspective de retrouver le métro, les grèves et les coups bas me pesait beaucoup. 'Régis Langlois, lui, s'est trouvé en porte-à-faux avec le directeur général qui l'avait recruté. ' Nous étions parvenus à un point de désaccord trop élevé sur la politique informatique du groupe. ' La rupture s'est effectuée en douceur. Prévenu un an à l'avance, il a quitté la DSI du groupe Decaux ?" où il dirigeait une cinquantaine de personnes ?" après une dizaine d'années de collaboration. Philippe Rouvière, ex-DSI de Belami, ?" un groupe opérant dans le secteur des salons qui emploie environ 200 personnes ?" n'a pas décidé de l'heure de son départ. ' En 2004, j'ai été pris dans une vague de licenciements économiques. Ce qui tombait plutôt bien, car je n'étais plus à l'aise dans mes fonctions et nourrissais d'autres projets. ' Poussés doucement vers la sortie ou emportés par un mælstrom économique, ces trois DSI se sont vus, aux portes de leurs entreprises, confrontés à la question existentielle : ' et maintenant, que faire ? '
Rebondir oui, mais où ?
Fort d'une expérience professionnelle réussie, Régis Langlois a imaginé continuer dans l'informatique : ' J'ai cherché pendant trois ou quatre mois, mais je me suis vite rendu compte que ce n'était pas la peine de continuer, indique-t-il. Il y avait peu d'offres et une forte demande. Et mon profil ne correspondait pas. Trop vieux, trop cher, trop... ' La tentation a également été grande de créer son propre emploi dans le même secteur. Mais, après des années d'exercice dans un cadre structurant, il n'est pas si facile de se retrouver seul face à soi-même. ' Je suis passé par différentes étapes. Un licenciement génère beaucoup de découragement. Quand l'idée de créer quelque chose s'est imposée, c'était stressant mais plaisant. ' Et puis, la tentation de réaliser ce que l'on a différé depuis des années est devenue pressante. ' J'ai saisi l'occasion de quitter la région parisienne ', indique Régis Langlois.Cet ' arrêt d'activité ' a permis à Dominique Ladiray de souffler un peu et de reprendre contact avec la vie de famille. ' J'en ai profité pour courir les salons et conférences, voir mes enfants et être là à leur retour de l'école. ' Une période de décompression et de maturation : ' Je me suis cherché trois ou quatre mois, pour conclure que ma vie était ailleurs, dans un autre métier. '
Du projet enfoui en soi à l'idée soudaine
La grande et première décision, teintée de passion, semble donc être de changer de terrain de jeu. Et ce choix ne semble pas trop difficile. ' Je m'étais beaucoup investi dans l'aménagement de ma maison et je pensais pleurer en la quittant, se rappelle Régis Langlois. Eh bien non ! Partir avec un projet motivant compensait ce départ. ' Même satisfaction chez Dominique Ladiray : ' En cherchant une maison, l'idée de créer un gîte m'a illuminé tant elle correspondait à mon état d'esprit. ' Philippe Rouvière, pour sa part, a changé de vie sans pour autant déménager. Il demeure sur Paris, surtout pour rester proche de ses associés : ' J'imagine pouvoir partir en province, où nos agences ont un fort potentiel, mais ce sera dans un second temps. 'Prendre un nouveau départ exige cependant une base financière solide. Entre d'importantes indemnités de départ, des économies ou la vente d'un bien immobilier, ces DSI pouvaient se reposer sur un matelas financier rassurant. Même s'il leur a fallu négocier avec les banques et accepter une réduction notable de leur train de vie.Une fois prise la décision de quitter la DSI, reste à forger le projet. Intéressé, et rassuré, par la formule de la franchise, Régis Langlois se voyait plutôt à la tête d'un pressing. Mais la lecture de la presse l'a convaincu de l'insuffisance du chiffre d'affaires potentiel. L'idée du commerce de l'occasion lui est alors venue, et il a ' opté pour la brocante pour des raisons de philosophie personnelle. ' Une activité qu'il exerce désormais depuis dix ans dans le cadre de la franchise Troc de l'Ile. Dominique Ladiray imaginait vendre des produits du terroir dans la Drôme. Mais c'est en visitant des maisons pour héberger sa famille que l'idée du gîte a jailli : ' Trois gîtes, deux piscines et douze hectares de terrain. J'ai trouvé la perle rare au bout de soixante visites. 'Enfouie dans l'esprit du futur créateur, l'idée fondatrice n'apparaît parfois clairement qu'à l'occasion du changement de situation. ' Je voyais autour de moi des gens embarrassés par des problèmes de PC. Mes amis m'appelaient dès qu'ils rencontraient un bug. Petit à petit, j'en suis arrivé à la conclusion qu'il y avait un marché à prendre ', raconte Philippe Rouvière. Quelle que soit la façon dont le projet vient à l'esprit, un pas très important reste à franchir avec l'élaboration d'un plan de développement économique qui tiendra la route. Et là, l'expérience acquise en entreprise dans des fonctions de direction prend toute son importance.
La découverte du vrai client
Avoir été DSI confère des atouts mais, comme l'exprime très clairement Régis Langlois : ' Etre chef d'entreprise n'est pas la même chose que diriger un service. Là, vous êtes seul responsable, et de tout. ' Parallèlement à la recherche d'un financement, le DSI doit rédiger son business plan, ce qui suppose de comprendre les finesses et particularités de son nouveau métier. ' J'ai rencontré beaucoup de franchisés qui m'ont fait partager leurs expériences ', précise Régis Langlois. Le cadre général de l'activité étant plus ou moins maîtrisé et décrit dans le plan, il faut encore compléter ce document avec des chiffres prévisionnels crédibles, sinon précis. ' Maîtriser Excel m'a servi à créer trois tableaux importants : ventes, coûts et charges ', souligne Dominique Ladiray.Ces indispensables préalables ne préparent pas à la relation directe avec le client. Un domaine où s'arrête généralement l'expérience acquise. Le DSI n'est pas formé à la vente directe, ou, comme le dit Régis Langlois, ' aux relations commerçantes '. L'entreprise moderne considère les utilisateurs des services informatiques comme des clients, mais il s'agit de clients internes et captifs. Même s'ils se montrent très exigeants, il existe toujours un moyen de ne pas répondre exactement et immédiatement à leurs demandes sans que cela n'ait d'influence directe et immédiate sur la pérennité de la DSI.
Une dure vie d'entrepreneur
En endossant le rôle de chef d'entreprise, le DSI se frotte à un tout autre consommateur, le client qui paie. ' Dans mon activité de brocante, les gens arrivent tous ensemble sur le coup de 18 h pour garer leur camionnette et décharger leurs meubles. Si vous n'avez pas anticipé en dégageant des places de parking et en libérant des espaces pour le stockage, c'est la catastrophe ', rapporte Régis Langlois. Et le constat vaut pour le service à domicile aux particuliers. ' Les clients demandent une solution immédiate, difficilement compatible avec la disponibilité de nos équipes. Ensuite, il reste à leur faire accepter qu'une erreur commise en deux clics de souris exigera deux ou trois heures de maintenance pour la réparer. Avec une facture en rapport ', détaille Philippe Rouvière. Même dans une perspective de détente et de bon temps, la relation n'est pas de tout repos. ' Tout le monde entend profiter des week-ends du mois de mai pour se reposer à la campagne. Et ma capacité d'hébergement n'est malheureusement pas extensible ! ', soupire Dominique Ladiray.La découverte de la vie d'entrepreneur n'a rien d'une sinécure, notamment au démarrage de l'activité. ' J'ai passé les deux premières années le nez dans le guidon ', se souvient Régis Langlois. Et le démarrage peut durer plus que prévu, sans qu'une pause soit possible : ' Notre succès passe nécessairement par la croissance, c'est-à-dire par l'ouverture régulière de nouvelles agences. Et la concurrence nous oblige à rester sur la brèche ', développe Philippe Rouvière. Mais il existe des satisfactions parfois inattendues : ' Je me suis découvert une fierté pour le développement d'entreprise. ' Dans son domaine des Baumes, près de Hauterives, Dominique Ladiray se régale : ' Les gens que je rencontre sont détendus et je profite de leur bien-être. Que vouloir de plus ? 'Bien installés dans leur activité, ou encore neufs dans leurs habits de chef d'entreprise, les trois ex-DSI l'affirment, unanimes : il ne faut pas hésiter à se lancer. ' Je n'ai eu aucun problème, et encore moins de regrets, à passer de cadre supérieur à homme à tout faire ', témoigne Dominique Ladiray. Régis Langlois surprend par un contre-pied : ' Je remercie encore le directeur général de m'avoir licencié, de m'avoir donné cette chance. ' Philippe Rouvière ne demeure pas en reste : ' Il faut remettre la vie professionnelle dans une perspective longue. Un poste subi, même bien rémunéré, ne profite pas longtemps. 'Bien sûr, repartir de zéro dans une activité nouvelle présente des risques, et doit s'inscrire dans une démarche compatible avec le cadre familial. ' Mes enfants étaient grands, ce n'était donc plus un problème ', tempère Régis Langlois. Et l'obligation de discuter de ce projet sert à l'affiner, à en percevoir les forces et faiblesses. Les proches apportent leur point de vue, parfois sans concession. ' Ce choix de vie a été validé à l'unanimité en famille, après de longues soirées de discussion ', se remémore Dominique Ladiray.
Reconvertis et ravis de leur bilan
Heureux, les trois ex-DSI se montrent très expansifs dès qu'il s'agit de donner des pistes à ceux que l'aventure démange. Sur la question de la capacité à gérer, Régis Langlois se fait affirmatif : ' Pour la taille de mon affaire (elle emploie huit salariés sur une surface de 1 400 m2 ?" NDLR), mon expérience convenait tout à fait. ' Pour Dominique Ladiray, le désir de réussir se conjugue aux réflexes acquis : ' Tout me paraît naturel, comme si d'en avoir rêvé m'avait donné les compétences. ' Et d'analyser : ' Je n'ai pas fait appel aux structures spécialisées, mon expérience m'a suffi. Et je n'ai que quelques pour cent d'écart avec mes prévisions. ' Un avis partagé par Philippe Rouvière, très pragmatique : ' Que ce soit pour la société qui vous emploie ou pour vous, les objectifs changent peu. Le but reste que le ratio coûts-gains soit dans le vert. ' Et aux candidats au grand saut, il glisse : ' Le plus difficile, en fait, est d'être sûr que l'on en a vraiment envie. '