Vous avez dit ' ressources ' ?
Plus un jour sans pouvoir lire un article traitant des ressources de l'entreprise, sans en entendre parler : tantôt précieuses, tantôt rares, tantôt indisponibles... Tout y passe. S'intéresserait-on au cours des matières
premières ? A la raréfaction des réserves pétrolières ? A la découverte d'un nouveau gisement gazier ? Aux stocks de café ? Pas du tout. Sans que cela ne choque plus personne, c'est aujourd'hui la façon la plus habituelle de
définir, sans distinction, employés, salariés, collaborateurs, ingénieurs, ou informaticiens. C'est selon. Apparue au début des années 90, cette dérive de langage a été si mollement critiquée qu'elle semble aujourd'hui tout à fait légitime. Comment
a-t-on pu arriver à cette extrémité ?
(2) Voir notamment Du contre-pouvoir, par Miguel Benasayag et Diego Sztulwark ; éditions La Découverte ; 2000.
(3) Voir aussi La Dissociété, par Jacques Généreux ; éditions du Seuil ; 2006.* directeur général de Neos-SDI (www.neos-sdi.com). Il a une expérience de plus de douze ans dans la création et le développement de SSII spécialisées dans les nouvelles technologies.
Réfléchir sans relâche à l'évolution de l'ingénieur
' Tout a été pensé. L'important, c'est d'y penser à nouveau ', disait Goethe. A y regarder de plus près, on se rend compte que cette ' largesse ' ?" a priori inconséquente ?" est en fait lourde de sens. Et il faut peu de temps pour comprendre qu'elle participe d'une réflexion plus générale, pilier de l'idéologie néolibérale, louant l'' individu(1) ' aux dépens de la ' personne(2) '. Appliqué au monde de l'entreprise, ce besoin systématique de privilégier le terme de ' ressources ' pour évoquer ses ' forces vives ' est, lui aussi, riche de sous-entendus.C'est d'abord laisser à penser l'idée d'une ' sérialisation(3) ' des salariés : identiques, dissociés, malléables, et parfaitement interchangeables. C'est aussi les considérer comme seules ' ressources productives '. C'est croire encore que de vieux modèles industriels (taylorisme) soient transposables à l'activité de services (informatiques). Certains rétorqueront qu'un tel modèle est gage d'extraordinaires réussites industrielles, et citeront sans difficulté quatre ou cinq exemples d'entreprises au parcours fulgurant. Cette conception n'est simplement pas la mienne.Je crois, pour ma part, aux compétences et à l'expérience propres à chacun des collaborateurs qui m'entourent. Je suis attaché à la notion d'équipe, savamment composée (alliant expertise, empathie, et émulation, aspiration à évoluer, direction juste et efficace). Et cela dans l'idée de mener au mieux chaque projet client.Suivant la même aspiration, il me semble primordial de considérer chaque ingénieur, chaque informaticien non seulement pour ce qu'il est, mais aussi pour ce vers quoi il tend. Autrement dit, ne pas se satisfaire de ses seules compétences utiles pour remplir une mission, mais réfléchir sans relâche à sa progression et à son évolution (suivant ses désirs, ses attentes, ses faiblesses, ses besoins de formation...). Cela dans le seul souci de respecter et de prendre en compte autant d'ingénieurs ou d'informaticiens en devenir que recèle l'entreprise.Sans doute me reprochera-t-on une approche quelque peu déconnectée du réel ; à l'heure où les services achats des grands groupes deviennent (trop) souvent nos interlocuteurs privilégiés ; à l'heure où ces derniers ne jurent (quasi) exclusivement que par les prix, sans réfléchir sur les qualités de conseil et d'exécution des hommes proposés ; à l'heure où tout semble négociable. Pourtant, a-t-on déjà vu un patient discuter des tarifs avec le chirurgien s'apprêtant à l'opérer à c?"ur ouvert ?Oui, un autre modèle aurait sans doute favorisé un développement plus rapide de l'entreprise que je dirige. Peu importe. Je ne veux pas adopter des schémas que je ne partage pas. Même si je les vois appliqués dans bon nombre de sociétés sur ce marché (et ailleurs !). Non définitivement, je ne peux accepter cette idée d'' individu-ressource ' tant elle rejette, dans sa définition même, toute relation, toute interaction, tout lien social, et tout ' devenir '. Tant, en fait, elle tend à renier tout travailleur tel qu'il est.Vos idées : carteblanche@01informatique.presse.fr(1) Individu : étymologiquement d' indivis ', qui ne peut plus être divisé.(2) Voir notamment Du contre-pouvoir, par Miguel Benasayag et Diego Sztulwark ; éditions La Découverte ; 2000.
(3) Voir aussi La Dissociété, par Jacques Généreux ; éditions du Seuil ; 2006.* directeur général de Neos-SDI (www.neos-sdi.com). Il a une expérience de plus de douze ans dans la création et le développement de SSII spécialisées dans les nouvelles technologies.
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