Zéro e-mail : une nouvelle stratégie qui va faire des émules ?

Il y a quelques mois, Atos annonçait vouloir remplacer la messagerie électronique par d'autres outils dans l'entreprise. Si cette stratégie a d'indéniables qualités, les difficultés ne manquent pas.

Nous sommes tous d’accord pour dire que l’e-mail est à la fois une invention magique et une calamité. Lequel d’entre nous n’a pas un jour craqué sous une avalanche de messages ? Ou éprouvé un soulagement paradoxal, mais bien réel, après un crash d’ordinateur et la perte d’informations ?
Il y a quelques jours, la Toile a remis au goût du jour l’initiative d’Atos d’éradiquer l’e-mail des outils professionnels d’ici trois ans. Après six mois, 20 % de leurs courriels ont d’ailleurs déjà disparu. Pour avoir reçu, lors de certaines expériences professionnelles, 300 messages électroniques en moyenne quotidiennement (sans compter les spams, mais avec quelques newsletters), l’exercice me paraît intéressant. Mais est-il réaliste, utile et constructif ?
D’autres initiatives plus anciennes et moins radicales
Il y a trois ans déjà, nous avions vu fleurir le « No E-mail Wednesday ». Un jour par semaine, aucun message électronique ne devait être échangé. L'objectif était de casser le rythme et de faire comprendre qu’il y a trop de courriels inutiles et, bien souvent, trop de gens en copie : au final, tout ceci nous vampirise la vie. Les utilisateurs devaient ainsi prendre conscience qu’il est possible de travailler sans messagerie électronique pour revenir à de vraies relations humaines et se parler en direct.
Le pari ne fut qu’à moitié gagné. De grandes sociétés, comme Intel ou Deloitte, ont apparemment laissé tomber tout en reconnaissant le bienfait de l’exercice : trop difficile à pratiquer. Mais cette courte période d’essai a donné du recul aux employés par rapport à l’outil, et a changé leur pratique. L’idée continue d’ailleurs de vivre. D’autre sociétés s’y essaient, comme Lanvin ces jours-ci.
Le choix difficile des outils pour remplacer l’email
Dans le cas d’une éradication complète de l’e-mail, il s’agit non seulement de prendre du recul par rapport à notre usage de la communication électronique, mais aussi d’opter pour d’autres outils supposés plus performants, en commençant par le réseau social d’entreprise avec plate-forme collaborative et messagerie instantanée.
J’ai joint (pas par e-mail !) un de mes contacts chez Atos. Selon ses dires, tout le monde voit le bénéfice de l’exercice, même si la mise en pratique est difficile. Première difficulté : les outils collaboratifs fonctionnent avec des notifications par courriel. Ensuite, il n’y a apparemment pas de plate-forme collective universelle suffisamment complète pour répondre à tous les besoins. Du coup, chez Atos, outre les projets IT stratégiques, chacun y va de son initiative pour tester des outils et traquer les bonnes pratiques, en créant, par exemple, un groupe de discussion sur Linkedin (ZEN pour Zero Email Network, bien trouvé).
Les précurseurs d'Atos
J’ai aussi joint mon ami Luis Suarez qui travaille depuis trois ans sans e-mail : c’est un des BluIQ d’IBM, évangéliste de l’entreprise 2.0. Pour lui, c’était une décision logique suivie à la loupe par beaucoup. Il écrit régulièrement sur le sujet sur son blog. L’agence de pub d’IBM lui a même fait tourner une vidéo (ici, sous-titrée en français).
Selon lui, Atos n’est pas le premier à tenter l’expérience, et il me cite par exemple Klick, une agence de marketing canadienne. D’autres s’y essaieraient, sans le crier sur les toits, parce que ce n’est pas si simple. D’ailleurs, la foule n’y croit pas (pas encore ?), comme on le voit dans le sondage de cet article : 75 % des personnes interrogées pensent que l’e-mail sera toujours là dans le futur.
La multiplication des outils fait parfois passer à la trappe les échanges « in real life »
Il y a quelques mois, le directeur général d'une start up avec laquelle je travaillais s'inquiétait du fait que ses employés ne se connaissaient pas, tout en travaillant dans le même open space. Ils préféraient échanger par messagerie instantanée ou textos plutôt que de se lever pour aller parler IRL (In Real Life).
Il déplorait aussi qu’il soit problématique de remonter la trace de décisions, car les échanges se déroulaient sur trois ou quatre messageries instantanées (Skype, MSN…) et autant de réseaux sociaux (Facebook en tête) dans une joyeuse anarchie. A leur décharge, l’âge moyen des employés n’était que de 23 ans, et un effectif de 70 employés ne justifiait pas une plate-forme collaborative interne, ce qui ne les empêchait pas d’avoir une croissance à deux chiffres de leur chiffre d’affaire.
Les bienfaits d’une stratégie d’entreprise
Si, maintenant, je chausse mes bésicles d’anthropologue du changement, la stratégie d’Atos a des qualités. Elle est simple et compréhensible, tout en étant ambitieuse et un poil provocatrice. L’ennemi est facile à identifier, ce qui est une bouffée d’air en ces temps de crise et d’incertitude majeure. Elle peut donc soulever les foules, être un catalyseur, créer un engouement. Elle s’insère bien dans la mission SSII d’Atos qui travaille sur les RSE (réseaux sociaux d’entreprise) et s’intègre à la vision « accélérer le progrès en unifiant personnes, business et technologie » (un poil plus abstrait, je vous l’accorde). Enfin, cette stratégie bénéficie d’un sponsor qui a commencé à pratiquer avant les autres, et qui ne lâchera pas en route vu son tempérament : Thierry Breton.
Mais n'oublions pas les difficultés
Côté difficultés, on s’attaque à un usage proche de l’addiction selon certains psychologues. En moyenne, un utilisateur professionnel vérifie de 40 à 50 fois par heure ses e-mails. Cela s’appelle de la distraction chronique et entraîne une impossibilité à se concentrer. Du coup, c’est comme si votre patron vous demandait d’arrêter de fumer : mieux vaut être profondément convaincu de l’intérêt de la démarche, être accompagné et guidé sur la marche à suivre. Tout le monde n’a pas la pugnacité ni la conviction d’un Breton ou d’un Suarez.
Gageons, en cas de succès, que les employés d’Atos auront gagné en curiosité et en autonomie par rapport à l’information ; et que cela enclenchera pour de bon un esprit d’intelligence collective.
N.B. : Pour préparer cet article, j’ai échangé via Linkedin avec Luis et Stéphane (d’Atos), que je remercie tous les deux à l’occasion, mais... échangé huit courriels avec Marie, mon éditrice de 01net. Ce n’est pas gagné.
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somanos
C'est sur la base de ce même constat que j'ai quitté mon travail, il y a dix mois, pour développer un outil destiné à répondre cette problématique, avec la conviction qu'il n'y pas de bons artisans sans les bons outils et inversement.
Le projet est en cours d'achèvement. Convaincu également que l'e-mail a de beaux jours devant lui, je ne propose pas de le supprimer totalement mais de lui donner une priorité moindre, même avec une ergonomie repensée...
La philosophie est de transposer ce que nous faisons dans la vraie vie : un chirurgien n'a pas qu'un seul scalpel sur son plateau, un photographe n'a pas qu'un seul boîtier ou un seul objectif dans sa sacoche, etc.
Je ne cherche pas à abuser de cet espace pour faire de la promotion, mais toute personne intéressée peut trouver mes coordonnées en allant sur la page d'accueil de l'outil, pas encore rendue publique : drumee.com
Attention, il faudra recopier à la main l'adresse e-mail, c'est une image, histoire de ne pas la laisser à portée des premiers robots venus et de me retrouver submergé par des spams ;) -
Cécile Demailly
@RSI_lambda Je ne sais pas, le zéro papier a bien marché dans certaines entreprises ... Toute transformation d'entreprise a un cycle de vie,un démarrage très 'technique' (avec guidelines, encouragements top-down,accompagnement etc.) puis une phase d'adoption plus adaptative (les troupes se l'approprient, la déclinent etc.), les deux phases se recouvrant en partie. Puis on passe à autre chose. D'ou des défis différents à chaque phase - si l'objectif est vraiment porté, s'il est cohérent avec la culture et la mission de l'entreprise, s'il n'est pas noyé dans la multitude, ou contredit par d'autres, la première phase pourrait marcher. Mais je comprends votre malaise si on devait prendre un Zero-quelque-chose au pied de la lettre. J'y penserai plus comme un leitmotiv, comme par exemple le zéro défaut qui en fait était (est?) un objectif en ppm (parts per million).
Au passage, je suis tombée sur cet article de l'expansion: Trêve d'emails après le boulot pour les salariés de Volkswagen http://bit.ly/w16tMy - une autre approche du problème email. -
Cécile Demailly
@RSI_lambda merci pour ces deux bonnes idées; mais plutôt que des règles, j'appellerais ça des bonnes pratiques, à encourager, à échanger. Laissons à chacun le choix de mettre en oeuvre celles qui lui conviennent, car les besoins pro et les tempéraments sont différents. D'autres bonnes idées/pratiques ?
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RSI_lambda
+1 pour l'éducation. J'irai même jusqu'à dire 'revoir la philosophie'.
On voit que la simplicité est en train de faire un retour en force (cf. succès des tablettes par exemple) et quelques règles de vie permettraient peut-être de diminuer le flux d'emails. Deux exemples simples :
- ne pas dépasser 5 lignes dans le corps du texte : outre la concision synonyme d'efficacité, on s'aperçoit très vite qu'un mail long prend plus de temps pour diffuser une information qu'un coup de fil ou une réunion à l'improviste. De plus, en face à face et au téléphone, le ton de la voix permet de faire passer des informations sensibles dans de bonnes conditions
- réserver une plage horaire dans son planning pour la consultation et le traitement : les correspondants finissent par s'habituer à ce qu'on ne soit pas en permanence scotché devant son client de messagerie -
RSI_lambda
Les stratégies de type 'Zéro qqchose' seront toujours un échec. On a vu le résultat avec le mythe du 'zéro papier' qui a vécu.
IMHO, le seul moyen est d'avoir une approche raisonnable (diminuer ses emails de 25% par exemple) en mettant en place, après étude fonctionnelle des flux existants, des solutions de remplacement : tchat interne pour les emails de 'conversation' intercollègues (genre : on mange où ce midi ? regarde la photo de mon petit dernier ...), Extranet avec les clients (suivi des projets, échanges traçables de documents signés numériquement, plannings partagés, datarooms ...) et ainsi de suite.
Mais il est clair qu'il va falloir s'atteler à la tâche rapidement car de plus en plus de clients se plaignent d'être noyés sous les emails au point de ne même plus les lire.
Peut-être est-ce ça le zéro email ;-) -
Cécile Demailly
@canalwaggis merci pour votre retour; c'est vrai que la piste de l'éducation comportementale est à prendre en compte ... plus que des règles (faire ci, ne pas faire ça), ce serait (ré)apprendre à prendre du recul. Ce qu'on ne fait pas parce qu'on n'a pas le temps, parce qu'on croule sous les emails, etc. A travailler autant dans l'état d'esprit et la culture d'entreprise que pour chacun dans le stress journalier. Pas facile - une bonne résolution pour 2012?
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canalwaggis
Tout d'abord bonne année à tous,
Concernant l'article tout est dit, remplacer le mal par un autre ne servira à rien ! D'autant plus que la mission première de ces logiciels est, par définition, la communication (!) et pour cela, tout le monde devra parler le même langage ! Donc oui, le problème se situe bien devant le clavier et oui le mail aura encore de très beau jour devant lui... Faudra juste un jour se donner les moyens pour apprendre à s'en servir ...de façon rationnel... Education comportementale ?
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