BFM Patrimoine
Placements

Bientôt un hedge fund contrôlé par intelligence artificielle?

Bridgewater est le premier hedge fund mondial a expérimenter un fond entièrement informatique et automatisé.

Bridgewater est le premier hedge fund mondial a expérimenter un fond entièrement informatique et automatisé. - Rainier Ehrhardt - Getty Images North America - AFP

C’est une révolution qu’est sans doute en train de construire le fonds américain Bridgewater Associates. Pour la première fois le plus gros gérant de hedge fund du monde va mettre en place un fond entièrement dirigé par les algorithmes et l’informatique. Un cas d’école qui n’est pas sans légèrement inquiéter l’ensemble de la planète financière.

Ange ou démon ? Difficile de deviner quelle sorte de créature va émerger de l’imagination des responsables du fonds d’investissement Bridgewater. Pour la première fois, le groupe, riche de 165 milliards de dollars, va faire gérer un de ses fonds entièrement par ordinateur. Et ce dès le mois prochain.

Selon les révélations de l’agence Bloomberg, on va aller avec ce projet bien au-delà de ce qui a déjà été fait en matière de trading et de décision d’investissements informatisées. Jusque-là, le trading algorithmique et haute fréquences étaient surtout des outils au service d’une stratégie élaborée par des hommes.

De la "Machine rapide" à la "Machine qui pense"

Ces technologies, très gourmandes en investissements et en compétences, étaient largement remboursées par la rapidité qu’elle fournit aux investisseurs, en exécutant des opérations de marché multiples et complexes dans des délais qui se chiffrent en millisecondes. Mais l’homme restait au centre de l’élaboration de la stratégie.

Là, le concept est très différent. Bridgewater a recruté pour son projet 6 personnes, ingénieurs informaticiens et mathématiciens, qui vont travailler sous les ordres d’un David Fiorucci. Ce dernier a rejoint le fonds en 2012, après avoir été pendant longtemps chez IBM, où il était à la tête de l’équipe qui a conçu l’ordinateur Watson, dont l’objectif était d’affronter des humains au cours de jeux de réflexion.

L’ordinateur qui "apprend à apprendre"

Leur but : concevoir une intelligence artificielle qui va diriger et gérer le fonds qui va lui être confié. De A à Z. De l’élaboration de la stratégie à l’exécution des ordres. Pour ce faire, cette intelligence artificielle va être conçue de manière à créer ses propres algorithmes, qu’elle va élaborer en fonction de données historiques de marché, des probabilités statistiques, d’une logique prédictive hors du commun, et de sa capacité de réagir aux différentes configurations de tendance.

Bref, une machine sensée prendre la place du cerveau d’un trader, qui va "apprendre à apprendre", perfectionner ses scénarii toujours dans le but de maximiser les profits et d’améliorer ses performances.

Quand la machine fait mieux que l’homme

C’est le stade ultime de la technologie de trading qui est en train d’être développée. Depuis 15 ans la réflexion sur l’intelligence artificielle au service des marchés financiers est en plein boom, mais ces dernières années, on a assisté à une pause dans ce développement. La priorité a été mise sur la vitesse d’exécution. Mais au centre des décisions et des stratégies, il y avait toujours des scénarios de marché élaborés par les hommes.

Et justement, ces dernières années ont démontré que même les stratèges et les esprits les plus brillants de l’industrie des hedge funds, s’étaient cassé les dents sur un marché dont ils ont eu beaucoup de mal à interpréter les grandes orientations. Même s’il y a du mieux, les performances des fonds d’arbitrages déçoivent largement, et sous-performent les gestions indicielles les plus simples, qui se contentent de suivre le marché.

Flash Crash !

D’où l’idée de concevoir le système ultime : celui où c’est l’intelligence artificielle qui va être au cœur de la stratégie. De la réflexion à l’éxecution. Laisser l’ordinateur décider librement et lancer ses ordres tout seul.

Le projet de Bridgewater n’est pas sans un peu inquiéter la communauté financière. Elle a déjà été échaudée par le Flash Crash du 6 mai 2010, où à cause d’algorithmes de marché mal réglés, Wall Street connut une séance apocalyptique, avec une baisse de 9% (1.000 pts) du Dow Jones, et où certaines capitalisations boursières se sont retrouvées virtuellement anéanties.

Déséquilibres réguliers

Virtuellement car les choses sont rentrées dans l’ordre 30 minutes plus tard en cours de séance, et qu’après enquête les spécialistes ont pu déterminer que des ordres erronés avaient été passé en masse, et qu’un enchaînement de déréglages de formules mathématiques avaient provoqué des mouvements aberrants. L’esprit humain a dû venir à l’aide de l’ordinateur sur ce coup-là.

Régulièrement certains titres, indices ou produits financiers, sont agités de soubresauts souvent violents et soudains, et beaucoup y voient la main virtuelle des machines de trading. Ils n’ont pas tort, d’autant que les stratégies sont multiples. Soit des ordres multiples répétés simples, soit un programme chargé de "secouer le titre"», et lui faire exécuter un grand huit dont on peut exploiter la trajectoire pour envoyer pile le bon ordre au bon moment.

L’inquiétude d’Elon Musk

L’histoire boursière quotidienne est constellée de ce genre d’anomalies de marché, de plus en plus fréquentes d’autant que le trading algorithmique et automatique prend une place croissante dans les échanges boursiers, près de 80% des échanges quotidiens parfois. Mais à chaque fois, c’est l’homme qui décide et la machine qui exécute, dans un contexte où la volatilité, la possibilité de mouvements violents sur le marché, reste complexe à évaluer.

L’initiative de Bridgewater pose donc un problème quasi-philosophique. Il est d’ailleurs à noter que la dépêche de Bloomberg parlant de ce projet n’a pas fait grand bruit, jusqu’à ce qu’un certain Elon Musk la retweete sur son fil personnel sur Twitter.

Une première mondiale à suivre

Elon Musk, milliardaire américain de génie, inventeur de Paypal, fondateur de l’agence spatiale SpaceX ou du constructeur d’automobiles électriques hautes performances Tesla, fait du lobbying depuis des mois sur ce thème : l’humanité court un grand danger en sophistiquant l’intelligence artificielle au point qu’elle devient capable de penser, apprendre et décider elle-même.

Le fonds 100% automatique de Bridgewater sera donc une expérience fascinante suivie de très près. La "Machine qui pense" était jusqu’à présent un concept de science-fiction, avec des films comme Wargames, Terminator ou la série Person Of Interest… Il va falloir se faire à l’idée qu’à partir du mois prochain, une machine de trading qui réfléchit sera opérationnelle sur les marchés. En espérant un scénario moins effrayant.

Antoine Larigaudrie