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Ce "Maestro des Taux" qui réclame 200 millions à son ex-employeur

Bill Gross, ex-patron de PIMCO, demande à son ancien fonds de lui verser 200 millions de dollars... Pour solder de tout compte une extraordinaire success-story qui a tourné au désastre.

Bill Gross, ex-patron de PIMCO, demande à son ancien fonds de lui verser 200 millions de dollars... Pour solder de tout compte une extraordinaire success-story qui a tourné au désastre. - Getty Images North America - AFP

L’affaire fait rire ou grincer des dents. Bill Gross, ex-patron vedette du géant de la gestion américain PIMCO, a décidé de se retourner contre le fonds qu’il a fondé. Et lui demander 200 millions de dollars de dédommagements pour "licenciement abusif".

Bill Gross n’est pas homme à laisser des affaires non-réglées derrière lui. Et surtout pas un contentieux qui l’a amené à quitter le fonds qu’il a créé en 1971, le géant de la gestion obligataire PIMCO.

Car Bill Gross a contribué à l’émergence et au succès de cette structure qui gère désormais 1500 milliards de dollars d’actifs, et qui n’a pour concurrent que l’autre supergéant du marché, Blackrock. Et malgré les revers qu’il a pu connaître à la tête de PIMCO, impossible pour ce personnage au sérieux égo de solder de tout compte un contentieux qui aura fait date dans l’histoire financière américaine.

La Success-Story de PIMCO

Car après un parcours sans faute, du haut du succès de son fonds obligataire (Total Return Bond Fund) qui a géré plusieurs centaines de milliards de dollars, la success-story a commencé à tourner au vinaigre en 2007, juste avant la crise qui a touché l’ensemble de la sphère financière.

A ce moment-là, les fonds gérés par Bill Gross sont dans une santé éclatante. Avec les premiers signes de la crise qui s’annoncent, tout le monde se replie sur l’obligataire comme valeur-refuge. PIMCO possède 2000 milliards d’actifs sous gestion. Et Bill Gross décide de désigner un co-PDG qui sera chargé de prendre sa succession.

Chute des taux directeurs et des rendements

C’est ainsi que Mohamed El-Erian prend ses fonctions aux côtés de Bill Gross, et devient chargé de la stratégie du géant de la gestion. Malheureusement, avec la montée en puissance et l’explosion de la crise financière, l’ensemble du monde de la finance est touché et Pimco n’échappe pas à la règle.

Et la stratégie du groupe étant articulée autour du fonds obligataire de Bill Gross, les rendements et les retours sur investissement commencent à chuter, en même temps que les taux d’intérêts des banques centrales, engagées à ce moment-là dans les fameuses politiques proactives dont elles tentent de sortir aujourd’hui.

Des clients qui se ruent vers la sortie

Chaque mois, le fonds de Bill Gross, le Total Return Bond Fund, signe les performances les plus calamiteuses du marché. Et subit du coup des retraits de capitaux gigantesques de la part des clients, plusieurs dizaines de milliards de dollars à chaque fois.

D’où l’émergence de tensions entre les deux hommes à propos de la stratégie à adopter, et les arbitrages à faire pour endiguer cette fuite de capitaux. Mais malgré des modifications dans la stratégie et dans les scénarios de marché, PIMCO se révèle incapable de déterminer et d’anticiper les orientations de politique monétaire, notamment de la FED, qui s’est lancée dans son plan de rachat d’actifs, le quantitative easing, qui va encore accroitre la pression sur les performances des fonds PIMCO.

Un violent conflit d’egos

Bill Gross et Mohamed El Erian se rejettent violemment la responsabilité du fiasco, et à partir de 2013, se livrent des règlements de comptes sur la place publique, dans la presse, avec un effet dévastateur sur la confiance des investisseurs, qui continuent à retirer leurs actifs.

Alors que Bill Gross veut laisser la stratégie du groupe telle qu’elle est, Mohamed El-Erian souhaite évoluer vers des obligations et des produits financiers plus risqués, pour compenser les mauvaises performances des fonds PIMCO. Ce qui accroît d’autant plus leurs divergences et leurs échanges de plus en plus violents.

Une réputation écornée

Sans compter l’image déplorable donnée à l’ensemble de la communauté financière, aux concurrents, et aux actionnaires de PIMCO, avec au premier rang d’entre eux, le géant allemand de l’assureur, Allianz.

Les actionnaires de PIMCO somment les deux hommes d’en finir avec leur conflit. Mais Mohamed El Erian décide de partir début 2014, échaudé par ces mois de conflit. Bill Gross pense avoir le champ libre pour rétablir la situation, mais PIMCO révèle en interne une sombre affaire d’écoutes illégales entre les deux hommes, qui va sceller son destin.

Quand le "Maestro" capitule

Préférant éviter un nouveau scandale qui finirait de faire fuir les derniers clients, le conseil de PIMCO et particulièrement Allianz, décident de pousser Bill Gross à la démission. Malgré sa ténacité et quelques semaines de résistance, il capitule en septembre 2014. Le "Maestro des taux" cela dit se sera vite reconverti.

Il a rejoint quasi-immédiatement un petit gestionnaire de fonds, Janus Capital, qui depuis son arrivée a engrangé 1 milliard de dollars d’actif et gagné 60% en bourse. On l’écoute comme un oracle sur les marchés, son dernier gros coup ayant été de conseiller de vendre en masse les bons d’état allemands en avril dernier, selon une expression restée célèbre, "Short of a Lifetime"... une occasion qui ne se présente qu'une fois dans une vie. 

Un des Gourous les plus écoutés

Les taux s’étaient effectivement largement tendus suite à ses déclarations, redorant son blason de gourou des marchés. Mais Bill Gross espère plus qu’une rédemption professionnelle. Il veut faire payer, et payer très cher son éviction du fonds qu’il a fondé, et à qui il a fait gagner tant de centaines de milliards, et être dédommagé des dégâts fait à sa réputation.

C’est pour cela qu’il intente un procès pour "licenciement abusif", considérant que son départ sur fond d’écoutes et de fuites a été forcé, grâce à des preuves et éléments fallacieux. Et il réclame pour cela 200 millions de dollars de dédommagement.

Une somme colossale, à la mesure des milliers de milliards de capitaux et de placements que Bill Gross aura attiré chez PIMCO, et à la hauteur de sa renommée. Mais l’affaire ressemble à un bien triste point d’orgue à cette histoire, pour une communauté financière, qui hésite entre rire jaune du toupet infernal de ce gestionnaire de génie, et s’indigner devant l’arrogance de l’homme, face au côté astronomique des dédommagements demandés.

Antoine Larigaudrie