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Christophe Barraud : Ce qu'anticipe le meilleur prévisionniste du monde pour 2019

vendredi 18 janvier 2019 à 18h13
Christophe Barraud, meilleur prévisionniste du monde

(BFM Bourse) - Récemment élu meilleur prévisionniste au monde sur les statistiques américaines par Bloomberg - ainsi que sur la zone euro et la Chine - le chef économiste et stratégiste chez Market Securities Christophe Barraud nous livre ses prévisions pour 2019.

Ralentissement de la croissance mondiale, faiblesse des chiffres en zone euro, en Chine et bientôt aux États-Unis, Brexit, guerre commerciale, shutdown... Les incertitudes économiques et politiques ne manquent pas. Ce qui n'incite pas Christophe Barraud à l'optimisme pour l'année 2019. Le point zone par zone avec le chef économiste et stratégiste de Market Securities, qui vient d'être élu meilleur prévisionniste au monde sur les statistiques américaines pour la 7e année consécutive [2012-2018] par Bloomberg, pour la 4e fois d'affilée sur la zone euro [2015-2018] et pour la 2e fois sur la Chine [2017-2018]

BFM Bourse : Dans quelle mesure le "shutdown" va-t-il peser sur la croissance américaine en 2019?

Christophe Barraud, chef économiste et stratégiste de Market Securities : On (Market Securities, ndlr) vise une croissance de 2,4% en 2019 aux États-Unis, légèrement en-dessous du consensus à 2,5 - 2,6%, et on est très proche de revoir encore cette prévision à la baisse à cause du "shutdown". La fermeture des administrations était limitée au début mais là, ça commence à toucher les aéroports, le fret et il y a des délais dans l'arrivée des importations, ce qui va se ressentir sur les statistiques commerciales. Et puis il n'y a pas vraiment d'issue en vue, c'est un peu le problème. Au niveau macro, 800.000 personnes ne touchent plus leur salaire donc ne dépensent plus, ce n'est pas une bonne nouvelle en matière de consommation des ménages. D'autant que le climat du début du mois de janvier, avec des températures en-dessous des normales saisonnières, peut aussi affecter la consommation. Ce qui est sûr, c'est que ces chiffres ne seront pas bons du tout. Les ventes au détail sont bloquées aussi à cause du shutdown. Donc on n'a pas de chiffres officiels. Pareil pour les dépenses des ménages, on n'a que les résultats des entreprises dans le "retail" pour nous donner une idée...

Et plus spécifiquement pour le premier trimestre ?

Christophe Barraud : C'est délicat de faire une estimation du PIB du premier trimestre. Avant le shutdown, des pans de l'économie US étaient épargnés. Là, le Bureau of Labor Statistics n'est pas soumis aux différentes fermetures d'administrations. Nous aurons les chiffres du mois de janvier le 1er février prochain mais l'impact des 800.000 personnages au chômage technique sur l'économie américaine sera très négatif. Le mois de janvier va vraiment être très compliqué. Le seul point positif, c'est que la consommation est plutôt résiliente, comme le montrent les chiffres de crédits à la consommation des banques (notamment Bank of America) qui ont publié leurs résultats cette semaine. Ça vient corroborer l'idée que la baisse du prix de l'essence a permis aux ménages de reporter leur consommation sur d'autres choses.

En revanche, le marché immobilier américain semble fortement ralentir...

Christophe Barraud : Oui, c'est le gros point négatif que laissent suggérer les derniers indicateurs. Le chiffre des ventes de maisons sera publié la semaine prochaine pour le mois de décembre et ce sera la première statistique directement impactée par les hausses des taux en novembre. Je pense qu'ils seront catastrophiques. Il n'y a qu'à voir les chiffres de Wells Fargo sur les volumes de prêts hypothécaires qui ont chuté de près de 30% entre le T4 2017 et le T4 2018... Sur les ventes de maisons, les chiffres sont attendus en baisse mensuelle de 0,9% mais je ne serais pas étonné que ce soit plutôt autour des -6%.

Du côté du Vieux Continent, faut-il s'attendre aussi à un ralentissement ?

Christophe Barraud : Oui, notre prévision est également en-deçà du consensus en Europe. On vise 1,4% de croissance pour 2019 quand la BCE en vise 1,7% et le consensus s'établit à 1,5%. Pour rappel, on était à 2,4% en 2017 et le consensus attendu pour 2018 est à 1,9%. Mais il y a encore des chances que la croissance tombe à 1,8%. En France, le quatrième trimestre sera faible à cause des "gilets jaunes" et en Italie c'est pareil, la croissance sera proche de 0%. Globalement, je pense qu'on va finir 2018 en-dessous des estimations. Si on fait 0,2% au 4e trimestre pour la zone euro, ce sera déjà pas mal... (NDLR : la BCE espère 0,4%).

Le début d'année 2019 risque également d'être compliqué entre le Brexit, le mouvement des "gilets jaunes", le commerce extérieur qui se tasse (une mauvaise nouvelle pour l'Allemagne notamment) et les élections européennes. Tous ces événements peuvent entraîner un ralentissement sur la première partie de l'année et empêcher l'économie de repartir avant le début du deuxième semestre 2019.

Quel est l'impact du mouvement social des gilets jaunes sur le PIB en France?

Christophe Barraud : Par rapport aux gilets jaunes, les chiffres sur les soldes ont été publiés cette semaine et font état d'une chute de la fréquentation de plus de 4% samedi dernier en rythme annuel, selon le conseil national des centres commerciaux. On comprend bien que sur deux mois (novembre et décembre), ça a beaucoup joué. L'insee, la Banque de France et le gouvernement sont un peu trop optimistes sur l'estimation de l'impact, misant sur 0,1 ou 0,2% de croissance au T4 alors qu'on sera plus proche de 0% en rythme trimestriel je pense. Le pire, c'est que comme le ralentissement économique est global et synchronisé, on ne peut pas se rattraper sur les exportations. La consommation est également affectée par les incertitudes sur les entreprises liées de près ou de loin au Brexit. L'EPU (pour "Economic Policy Uncertainty Index", qui mesure le niveau d'incertitude lié à la conduite de la politique économique) est au plafond dans toutes les zones.

L'hypothèse d'un "hard Brexit" vous paraît-elle crédible ?

Christophe Barraud : Sur le Brexit, la problématique, c'est qu'il n'y a pour l'instant pas de période de transition. En cas de "no deal", dans l'état actuel des choses, on ne pourrait plus faire décoller un avion britannique du sol européen à partir du 29 mars (NDLR : si aucun accord de retrait n'est entériné avant cette date là c'est le scénario du "no-deal" et le Royaume-Uni sera considéré comme un État tiers dès le 30 mars), et c'est un exemple parmi beaucoup d'autres. Très sincèrement, je pense que c’est le plus gros risque macroéconomique de l’année !

La guerre commerciale, vous pouvez trouver un accord à un moment ou à un autre, les États-Unis commencent à en souffrir donc ils infléchissent leur position, on se dit que les deux vont étendre la trêve ou trouver un accord, cette guerre oppose deux personnes qui peuvent s’entendre. Le problème du Brexit, c'est que l’Europe doit garder une posture, et le Royaume Uni aussi. L’Europe a fait le maximum et ne peut pas aller plus loin avant les élections européennes.

La seule sortie démocratique de cette situation, ce serait de faire revoter les gens là-dessus. Ou alors, il faut peut-être aller au bout du "hard Brexit" puis refaire un référendum après avoir étendu la période de transition. Mais repousser la décision définitive ne fait qu'augmenter l'incertitude... Et un mouvement de contestation social n'est pas à exclure non plus. Le deuxième vote pourrait porter seulement sur le deal en soi mais, le problème, c'est qu'il s'agit de questions extrêmement complexes. En tout cas, s'il y a un nouveau report, il faudra ajuster les prévisions à la baisse.

Les bonnes nouvelles pourraient-elles finalement venir d'Asie ?

Christophe Barraud : Sur la Chine, on est en ligne avec le consensus, voire un tout petit peu plus optimiste. Les prochains chiffres risquent d’être décevants mais on observe un certain nombre de signaux positifs : les investissements publics repartent à la hausse alors que leur rythme de croissance avait touché un plus bas en août avant de rebondir et toucher un plus haut depuis 4 mois en novembre. Pékin accélère clairement la dépense publique à travers les dépenses d’infrastructures et de transports, via des émissions d’obligations. Et depuis le début du mois d'août, le gouvernement a mis en place des mesures monétaires et fiscales qui commencent à être appliquées pour relancer l’économie chinoise.

Sur la consommation, le programme de réduction d'impôts est entré en vigueur début janvier. La fiscalité sur TPE-PME devrait être revue à la baisse lors du prochain congrès du parti communiste qui veille à les défendre parce qu'elles créent beaucoup d'emplois. Alors les prochains chiffres ne seront pas forcément très bons mais ça devrait s’améliorer par la suite. D'après nos prévisions, la croissance chinoise va toucher son plancher au T1 puis sera stable au T2 avant de remonter. Pour le quatrième trimestre 2018, les chiffres seront publiés lundi et le consensus est à 6,4%.

Plus généralement, à quoi faut-il s'attendre en 2019 pour l'économie mondiale ?

Christophe Barraud : Ce que nous voyons, c’est un ralentissement économique mondial en 2019. Plus précisément, le consensus prévoit une croissance entre 3,5 et 3,6% en 2019 et je suis actuellement un peu en-dessous, à 3,4%. L'économie ralentit à la fois dans les pays développés et émergents. Ce qui est positif, c'est que des politiques fiscales plus accommodantes sont en train d'être mises en place (Chine, Canada) et d'autres pays comme la France ou l'Italie disposent d'une marge de manœuvre sur cette question. Le gouvernement japonais a également décidé, mi-décembre dernier, d'accorder des avantages fiscaux pour l'achat de voitures neuves ou de logements.

La partie négative, c'est qu'on assiste à une normalisation de l'investissement public mondial par rapport à 2018 parce que tous les pays exportateurs de matières premières ou de métaux qui ont profité d'une normalisation positive depuis 2016 ont connu une déconvenue fin 2018. De plus, l'environnement du commerce mondial est très incertain. D'autant que Donald Trump veut ouvrir deux nouveaux fronts commerciaux, un avec l'Europe sur l'automobile (un rapport doit être remis mi-février à la Maison Blanche, il devrait préconiser des tarifs douaniers de 20 à 25% sur les véhicules européens) et l'agriculture, un sujet qui constitue une ligne rouge pour l'Europe et pourrait donc mener à une situation conflictuelle. L'autre front qu'il veut ouvrir, c'est encore sur l'automobile mais avec le Japon. Les discussions sur ce sujet devaient s'intensifier mais elles ont été mises entre parenthèses à cause du shutdown.

Quel est l'impact de la guerre commerciale ?

Christophe Barraud : Depuis le début de la guerre commerciale sino-américaine, les tarifs douaniers supplémentaires se sont appliqués à plus de 400 milliards de dollars de produits, dont 250 milliards pour la Chine, entre 40 et 50 milliards pour l'acier et l'aluminium et autant pour les mesures de réciprocité. En tout, le commerce mondial représente 12.000 milliards de dollars donc ça correspond à seulement 3% du total mais il s'agit souvent de produits qui entrent en compte dans la chaîne de valeur ajoutée, ce qui grippe la machine. En 2017, le commerce mondial de biens et services avait connu une grosse accélération (+5,4% selon les données de la Banque mondiale). Pour 2018, ils sont à 3,8% mais je pense que, là encore, ce sera légèrement en-dessous. Et pour 2019, je le vois tomber sous les 3% alors qu'ils anticipent encore 3,6%.

Quel sera l'élément clé à surveiller en 2019 ?

Christophe Barraud : La clé, ce sera le Brexit. En cas de "hard Brexit", l'économie britannique entrerait automatiquement en récession et entraînerait avec elle celle de la zone euro. Puis l'ensemble du spectre, et notamment les États-Unis, suivra.

Propos recueillis par Quentin Soubranne - ©2024 BFM Bourse
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