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Ces patrons qui peinent à faire passer leur augmentation de salaire

Les AG 2015 ont été plutôt tendues au moment des votes sur les rémunérations des dirigeants.

Les AG 2015 ont été plutôt tendues au moment des votes sur les rémunérations des dirigeants. - AFP

Des rémunérations en forte hausse et de plus en plus d'actionnaires réticents à les voter. Ainsi peut se résumer la saison 2015 des assemblées générales des groupes du CAC 40. Pour le moment, les dirigeants parviennent à faire passer leurs augmentations. Mais la grogne pourrait prendre de l'ampleur l'an prochain.

"Je ne me fais pas de souci pour votre retraite, mais pour la mienne". Ainsi s'est indigné un petit porteur à l'occasion de l'assemblée générale annuelle de Nexans le 5 mai dernier. La discussion portait sur la retraite chapeau de Frédéric Vincent, le président du fabricant de câble dont la valeur en Bourse a chuté, et dont les actionnaires sont privés de dividendes cette année. Alors que, comme le montre une enquête de Factamedia et La Tribune, les rétributions des patrons ont explosé, les actionnaires n'ont pas entériné comme un seul homme ces hausses de primes, parachutes dorés et autre bonus des dirigeants du CAC 40 lors des dernières assemblées générales.

Pour la deuxième année consécutive, les porteurs de titres d'entreprises cotées avaient en effet à se prononcer sur la rémunération de l'année précédente des présidents de ces groupes. C'est ce qu'on appelle le Say on pay, une mesure instaurée en 2014 pour remplacer la loi de plafonnement du salaire des dirigeants promise par François Hollande, et finalement abandonnée (du moins dans le privé) au profit de cette sorte d'autorégulation

Dans ce cadre, un suffrage inférieur à 80% des voix s'apparente à un échec. Notamment parce que dans la majorité des grandes entreprises françaises, le capital de la société est contrôlé par les propriétaires et leurs alliés. Dès lors, plus de 20% de rejet est le signe d'une forte contestation. Or cette année, de grands noms ont largement dépassé ce taux.

ISS bien plus exigeante cette année

Chez Sanofi par exemple, le Golden Hello record d'Olivier Brandicourt n'a obtenu que 64% des voix. Franck Riboud chez Danone a subi un véritable affront, n'obtenant que 53% de votes positifs pour son package de 6 millions d’euros. Le plus mauvais score jusqu’ici. Au sein de Renault, Carlos Ghosn, dont la rémunération a plus que triplé, à 7 millions d'euros (sans compter ses émoluments pour son poste chez Nissan), n’a rassemblé que 58% des suffrages. Encore moins que les 64% de l'année dernière, qui était déjà un mauvais score.

Les actionnaires avaient également manifesté leur agacement chez Vinci (63%), Veolia (70,8%), Schneider Electric (71,9%), ou encore chez Safran qui reste sous les 70% pour la deuxième année consécutive: 66,8% en 2015, après 63,7% en 2014. 

Ce niveau de contestation ne constitue pas une surprise pour Pierre-Henri Leroy, le président du cabinet de conseil aux actionnaires Proxinvest. Il tient à la position d'Institutional Shareholder Services (ISS), une structure américaine concurrente de Proxinvest. D'habitude bien moins radicale que son équivalent français, ISS s'est montrée beaucoup plus ferme cette année dans ses recommandations.

En 2014, elle s'était satisfaite du niveau de rémunération des dirigeants dès lors qu'elle était présentée de manière transparente. Mais l'agence avait prévenu qu'en 2015, elle serait beaucoup plus regardante quant au lien entre bonus et performance. Et ça a fait mal, parce que l'agence a une puissance de feu considérable: "tous les Américains qui détiennent des parts dans les entreprises françaises suivent ses conseils", souligne Pierre-Henry Leroy. Ce qui représente selon lui 20% des votants en AG.

La démocratie actionnariale ne fonctionne pas

Pour autant, aucune des résolutions portant sur la rémunération n'a obtenu moins de 50% des voix, seuil en-dessous duquel elle est rejetée. Le président de Proxinvest explique ce phénomène par l'endogamie de l'actionnariat des grandes entreprises françaises, dont les actionnaires actifs, ceux qui assistent aux AG, "n'ont jamais été très énergétiques".

Il pointe également la mansuétude des investisseurs institutionnels. Ces professionnels de l'investissement, qu'ils soient des grandes banques, des assureurs, des fonds de pensions, ou des gérants bancaires "détiennent largement 80% des droits de vote des entreprises". Or bien souvent, ils suivent purement les directives des dirigeants.

"Patrons et investisseurs se rendent des services mutuels. Les premiers font le dos rond parce que leur carrière passe par les banques universelles et pourrait pâtir d'avoir déplu à tel émetteur. Les seconds, à l'heure où les revenus des établissements financiers sont devenus complètement aléatoires, ont intérêt à plaire aux dirigeants d'entreprise afin d'être sollicités lorsque ces sociétés envisageront des deals", explique Pierre-Henri Leroy.

C'est pourquoi la "démocratie actionnariale ne fonctionne que sur un cylindre: les indépendants", conclut le président du cabinet de conseil aux actionnaires. Mais ceux-là ne sont pas organisés, ils ne votent pas de manière coordonnée. "Les minoritaires ne deviennent un ensemble qui vote de la même façon que dès lors que la réputation de l'entreprise est mise en cause", souligne Christian Pousset, président du Cabinet de conseil en recrutement PeopletoPeople.

Des résolutions rejetées dès 2016?

A l'en croire, tant mieux. Car le Say on pay est une mauvaise solution à ses yeux. Elle relève du "populisme, en plein cœur d'une ère de sur-réaction, de sensibilité exacerbée". Il rapproche cette pratique de la téléréalité, "quand on vous demande de voter pour The Voice ou Top Chef, alors que le tournage de l'émission/les coulisses de l'entreprises, vous amènent à penser d'une certaine manière".

Quand bien même cette consultation des actionnaires n'est que formelle, Christian Pousset estime qu'un "vote inférieur à 50% en France serait de nature à donner une inflexion à la stratégie du dirigeant", dans la mesure où "le niveau de vote est le miroir de la bonne santé de la relation entre l'entreprise et ses différents publics".

La situation pourrait se présenter dès 2016, met en garde Pierre-Henri Leroy de Proxinvest. Et de rappeler l'exemple du patron de l'assureur britannique Aviva, Andrew Moss, qui a dû démissionner en 2012 après que 60% des actionnaires eurent désavoué son "package" de rémunération. 

Nina Godart
https://twitter.com/ninagodart Nina Godart Journaliste BFM Éco