BFM Patrimoine
Placements

Cette baisse du dollar qui prend le marché totalement à contre-pied

La baisse actuelle du dollar sort complètement du scénario de marché prévu pour 2016.

La baisse actuelle du dollar sort complètement du scénario de marché prévu pour 2016. - ADEK BERRY / AFP

C'est un très curieux mouvement qui touche les marchés financiers depuis mercredi. La devise américaine a chuté sur un plus bas de 7 semaines, alors qu’au milieu de marchés toujours aussi volatils, sa montée constituait au contraire finalement la seule certitude.

"Il est sûr que ce n’était pas exactement prévu" reconnaît un analyste du marché des changes ce jeudi. Il est vrai qu’on restait sur le scénario d’un dollar qui allait continuer à grimper tranquillement et progressivement, avec toujours en tête un objectif de parité avec l’euro, comme le projetait Goldman Sachs ou d’autres banques d’affaires.

Eh bien pas du tout. Le dollar a chuté sur un plus bas de quasiment 2 mois contre les principales monnaies du monde, avec même un euro qui monte au-dessus d’1,11! Un mouvement de court terme, certes, mais qui signe un retournement de tendance inattendu dans un marché où tout le monde a pris le pli inverse. 

Des statistiques mitigées

Pourquoi ce coup de faiblesse du dollar? Tout d'abord à cause d’indicateurs économiques décevants. Mercredi, l’indice ISM non-manufacturier (indice des directeurs d’achats des services) a montré un trou d’air dans les perspectives du secteur tertiaire sur le mois de janvier.

Rien d’alarmant pour le moment, car la tendance reste plutôt robuste. Mais surtout, le vent semble définitivement tourner en matière de politique de taux d’intérêts du côté de la Réserve Fédérale. Et les taux de la FED, c’est la rémunération, le rendement de la devise américaine.

Et une FED plus indécise

Depuis décembre dernier et le premier relèvement des Fed Funds, les responsables sont clairs: le cycle est enclenché et la banque centrale va poursuivre graduellement sa politique de normalisation. Le vice-président de la FED, Stanley Fischer, précisait dernièrement sa feuille de route, à savoir quatre relèvements cette année, pour terminer 2016 au-delà de 1%. Mais le discours est sans doute en train de changer.

Lors de sa dernière réunion de politique monétaire, la FED a admis que les turbulences actuelles de marché étaient un risque à prendre en considération et à évaluer précisément.

Les banques américaines à la peine

Ensuite, le président de la FED de New York, William Dudley, a admis mercredi que le durcissement de la politique monétaire de la Réserve Fédérale entraînait dès à présent des conditions de marché plus compliquées, notamment pour le circuit financier et les banques. D’ailleurs, ces dernières souffrent en bourse, avec un indice KBW qui a même atteint un plus bas de 2 ans en séance mercredi.

Enfin, le sentiment est partagé par une majorité grandissante d’experts de marché. JPMorgan par exemple, est la première banque d’affaires à douter que la FED puisse poursuivre son programme de hausse de taux cette année. Elle le dit dans une note publiée hier, notant un environnement économique global beaucoup plus instable.

Avertissement sans frais

"Même si la situation des banques n’est absolument pas la même que lors de la crise financière de 2008", dit JPMorgan. "La FED doit immédiatement arrêter son processus de normalisation des taux. Elle a commis une erreur en ne justifiant ses décisions que par ses inquiétudes sur la croissance et l’inflation. Si elle continue malgré tout, nous aurons une récession aux États-Unis", avertit la banque.

Résultat, beaucoup doutent désormais de la capacité de la FED à poursuivre sur la lancée, le risque économique étant maintenant trop grand du côté de l’économie américaine, sans même parler du dollar fort, qui grignote de plus en plus d’activité potentielle pour les entreprises américaines.

Seul effet positif: le pétrole

D’où cette baisse du dollar, assez spectaculaire, d’autant plus qu’elle sort complètement des scénarios bien huilés des spécialistes de marché depuis l’année dernière. Son seul effet positif étant de faire remonter les prix du pétrole, par un effet technique et mécanique. 

Les prix étant libellés en dollar, toute baisse de la monnaie de référence provoque indirectement une hausse de la valeur économique du brut pour ceux qui le payent avec une devise étrangère.

Risque de révision complète des prévisions 

Il n'y a aucun effet sur l’offre et la demande fondamentale, mais comme ce sont les cours du pétrole qui dictent la tendance du marché actions en ce moment, ce sera bénéfique pour les indices à court terme.

En tout cas, si ce phénomène de baisse du dollar sort de son caractère ponctuel, et s’inscrit sensiblement dans la durée, ce sera toute l’année 2016 qui sera à réécrire en matière de prévisions, tant la force croissante de la devise américaine était considérée comme seule certitude.

Antoine Larigaudrie