BFM Patrimoine
Placements

Danone, Renault, Vivendi… Quand les actionnaires minoritaires se rebellent

Les actionnaires minoritaires ont exprimé un niveau de contestation historique aux assemblées générales 2015.

Les actionnaires minoritaires ont exprimé un niveau de contestation historique aux assemblées générales 2015. - Thierry Ehrmann - Flickr - CC

La contestation des actionnaires minoritaires a atteint un niveau record au sein des assemblées générales des entreprises françaises en 2015. Un phénomène masqué par le contrôle renforcé des majoritaires.

La saison 2015 des AG aura été exceptionnelle du point de vue de la contestation. Elle a atteint un record, à 6,36% dans les sociétés du CAC 40, note Proxinvest, qui a rendu ce jeudi son rapport annuel. Ce taux ne paraît pas énorme. Pourtant, dans un pays où le capital des sociétés est verrouillé par les dirigeants et leurs alliés, il l'est. Et si les règles du jeu n'avaient pas changé avec la loi Florange, cette opposition aurait dépassé les 10% dans les entreprises du CAC 40, et même 13% dans celles du SBF 120, selon le cabinet.

La loi Florange, trouvaille d'Arnaud Montebourg pour éviter la fermeture de sites industriels en France, a instauré des droits de vote double pour les actionnaires qui détiennent des titres -gratuits ou non- depuis plus de deux ans. Sauf si l'entreprise vote une résolution contraire. Peu probable: ceux qui auraient les moyens de faire passer une telle résolution sont justement ceux à qui bénéficient ces droits de vote doubles. De 57,5% de sociétés ainsi protégées en 2014, on est passé à 72,5% en 2015.

Une rébellion mise en sourdine

La mesure agace profondément le cabinet français de conseil aux actionnaires. Fervent partisan du "une action, une voix", seule méthode pour garantir la démocratie actionnariale selon lui, il montre dans son rapport comment ces droits de vote double ont muselé une dissidence qui a pourtant atteint des sommets. Proxinvest estime en outre qu'elle nuit à l'image des entreprises françaises aux yeux des investisseurs étrangers.

Le cabinet a évalué ce qui se serait passé si seuls les actionnaires minoritaires avaient voté aux AG. Le contraste avec le résultat effectif est saisissant. Le nombre de résolutions rejetées, 64 sur 6.595, qui est déjà un record absolu, aurait dû être bien plus important. En neutralisant le vote majoritaire, 21 autres propositions auraient recueilli moins que le seuil requis pour être entérinées. Soit "probablement le taux de contestation le plus élevé au monde", selon Loïc Dessaint, le directeur général de Proxinvest. Voici les exemples les plus marquants.

> DANONE - La rémunération de Riboud ne serait pas passée

Chez Danone, plusieurs groupes d'investisseurs américains se sont opposés à la rémunération de Franck Riboud, PDG jusqu'au 30 septembre 2014. De toutes les entreprises du CAC 40, c'est celle-ci qui a rencontré la plus forte contestation à ce titre, avec seulement 53%. Au sein du géant de l'agroalimentaire, les droits de vote doubles ont cours depuis longtemps. Sans eux, la résolution aurait obtenu 46% des voix, soit moins que les 50% nécessaires. Et même si ce vote n'est que consultatif, l'image aurait été tellement mauvaise que le conseil aurait dû réagir d'une manière ou d'une autre.

Graphique: à gauche, le vote réel de la rémunération de Franck Riboud, à droite, l'estimation de Proxinvest en retranchant le vote des actionnaires de contrôle

> RENAULT - Carlos Ghosn n'aurait pas reçu 7,2 millions

58,33% de votes positifs pour les généreux émoluments de Carlos Ghosn chez Renault. C'est peu, mais ça passe. Cette fois, les droits de vote double ne sont pas en cause. Ils n'ont pas encore cours, et l'Etat, actionnaire incontournable du constructeur, essaie justement de les instaurer par la force, et ainsi imposer un peu plus de frugalité au patron brésilien dès 2016. Cette année, la petite marge qui a permis au PDG de l'alliance Renault Nissan de toucher ses 7,2 millions d'euros vient du vote des étrangers, puisque tous les Français ont voté contre, selon Proxinvest. L'institut avance une explication: dans la brochure de convocation à l'Assemblée générale, le montant du pactole n'était pas précisé. Il fallait fouiller dans les arcanes des documents financiers pour le trouver. De même, il n'était écrit nulle part que cette manne s'ajoutait à celle que verse Nissan au dirigeant de l'alliance. Du coup, les actionnaires hors Hexagone "ont peut-être voté sans savoir", se demande Loïc Dessaint.

> GAMELOFT - Bolloré n'en aurait fait qu'une bouchée

Le groupe a imposé à ses actionnaires une augmentation de capital que Proxinvest assimile à un dispositif anti-OPA. Elle est passée à 68%, alors que le taux d'approbation n'aurait été que de 61% sans droits de vote double, or le seuil d'adoption est des deux tiers des voix pour ce type de résolution. La famille Guillemot espérait ainsi renforcer son contrôle sur la société. Une manœuvre qui n'aura pas éteint les appétits de Vincent Bolloré. En octobre 2015, Vivendi annonçait détenir plus de 17% du capital de la société, quand les Guillemot n'en détiennent que 15% (et 11,5% d'Ubisoft, l'autre fleuron des jeux vidéos français, détenu par la même famille). Une prise de contrôle "rampante", s'insurgent les fondateurs.

Graphique: à gauche, le vote réel de l'augmentation de capital, à droite, le vote des actionnaires minoritaires uniquement

> VIVENDI - Bolloré aurait dû verser des dividendes

Pour ne pas appliquer la loi Florange, les minoritaires, dont Phitrust, un fond français, ont soumis une résolution lors de la dernière AG de Vivendi. Du coup, Vincent Bolloré, qui tenait beaucoup à obtenir ses droits de vote renforcés à bon compte, a été obligé de monter au capital. Sa participation est passée de 12 à 14,5%. La proposition de conserver le "une action, une voix" n'a donc été approuvée qu'à 43,3%. Ce qui veut dire que tous les actionnaires, hors bénéficiaires des droits de vote double, ont voté pour.

D'une pierre deux coups, Vincent Bolloré a ailleurs évité de céder à une autre revendication, cette fois de PSAM, un fonds activiste américain renommé, qui réclamait des dividendes plus élevés. Une requête justifiée aux yeux de Proxinvest du fait de la trésorerie confortable accumulée par Vivendi après plusieurs cessions d'ampleur (Maroc Télécom, SFR…). L'entreprise disposerait d'un montant de cash équivalent à la moitié de la valeur de l'intégralité de ses actifs. Une situation très rare.

Nina Godart
https://twitter.com/ninagodart Nina Godart Journaliste BFM Éco