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Délits d’initiés: premier procès des "Fuites de la Fed"

L’autorité financière américaine des produits dérivés (CFTC) et le Procureur de District de Manhattan viennent de lancer une enquête pour délit d’initié auprès d’un cabinet de conseil. Première procédure visant à en finir avec les fuites concernant les décisions de politique monétaire de la Réserve Fédérale.

Trop c’est trop. Des mois voire des années que Wall Street attendait que les autorités et que la justice réagissent, alors qu’à chaque grande décision de la Fed, certains traders visiblement bien informés arrivent à faire décaler le marché avant que les communiqués officiels ne tombent.

Mais cette fois les indélicats y sont semblent-ils allés un peu fort. Rien qu’il y a deux semaines, lors de la réunion de la Fed qui décida donc de laisser ses taux inchangés, plusieurs types d’acteurs de marché se sont manifestés au grand jour.

Sourires entendus à Wall Street

A 10 minutes seulement de la conférence de presse de la Fed, le marché obligataire a commencé à s’agiter, avec notamment les taux courts à 2 ans qui plongeaient de plusieurs points de base, allant clairement dans le sens de ce qui allait être annoncé, à savoir un maintien des taux à leurs niveaux actuel.

Dans tout Wall Street, des sourires entendus, des haussements d’épaules et des soupirs résignés face à des pratiques de marché observées très régulièrement. Oui, certains ont bien "des antennes", et les autorités boursières ont toujours laissé faire, où au pire mollement réagi.

Une affaire vieille de 3 ans

Là on a la première vraie enquête de haut niveau sur ce genre de pratique qui est lancée. Déjà par un tribunal craint et respecté, celui du District de Manhattan, souvent sollicité dans les affaires financières, avec la supervision des autorités de marché compétentes.

Elles ont décidé de revenir sur une affaire ancienne, qui date de 2012, mais qui est symptomatique de ce genre de manipulation de marché. A l’époque les investisseurs étaient à l’affût d’un type d’information crucial, le montant des actifs que la Fed allait racheter chaque mois dans le cadre de son programme de Quantitative Easing.

Des autorités jusque-là très laxistes

Et il faut savoir que la presse accréditée reçoit les documents détaillés de la FED, avec tous les détails techniques de sa politique, une heure avant la conférence de presse officielle. Donc une heure avant le verdict, plusieurs milliers de personnes sont potentiellement au courant, et en mesure de communiquer les informations-clé à des acteurs de marché, pour prendre position et anticiper ainsi illégalement ce qui va se passer.

Mais les autorités de marché ont jusque-là complètement renoncé à y faire quoi que ce soit. Il se trouve que l’affaire de 2012 était tellement évidente et grossière qu’elle a permis de débusquer la "taupe", à savoir la société de conseil Medley Global Advisors.

Cadre légal extrêmement flou

Cabinet de conseil financier, Medley conseille les fonds spéculatifs américains en matière de politique d’investissements en compilant des données macro et micro-économiques. Et c’est elle qui a été identifiée, en remontant les ordres de bourse et les contacts entre intervenants de marché et détenteurs des informations privilégiées.

Mais immédiatement les autorités vont devoir préciser les choses en matière de cadre légal. Car le flou règne sur ces affaires aux Etats-Unis, en plus de la difficulté intrinsèque à prouver de manière irréfutable une action de concert et un délit d’initié en tant que tel.

Droit financier ou droit de la presse ?

Car on peut s’étonner que la Fed communique des documents confidentiels à une société de conseil financiers. Mais comme il n’existe aucune réglementation précise concernant les récipiendaires, Medley Global Advisors s’est retrouvé au milieu des grands organes de presse à qui l’institution communique ses décisions à l’avance.

Et c’est toute la ligne de défense de Medley, se considérer légalement sous le régime des sociétés du secteur média et de la communication, soumises au respect de la protection des sources et à la confidentialité relative au droit de la presse.

Jurisprudence essentielle

Un casse-tête juridique à gérer pour la justice américaine qui, elle, va avancer les liens logiques entre Medley et les donneurs d’ordre sur les marchés. Et ainsi apporter les preuves du délit d’initié et du côté illégal de la divulgation de ces informations, en vue de générer des profits illicites.

La décision de justice sur cette affaire constituera en tout cas le premier cadre légal en termes d’affaires de délit d’initiés concernant les décisions de politique monétaire de la Fed. Sans doute l’occasion aussi de recadrer l’institution sur sa communication financière. Ce qui ne sera pas un luxe en matière de crédibilité, tant l’économie de l’hyperpuissance américaine en dépend.

Antoine Larigaudrie