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Dettes souveraines: entrée dans une zone de fortes turbulences

Le "Flash Crash" d'octobre dernier sur le marché obligataire américain est une menace prise très au sérieux par la FED.

Le "Flash Crash" d'octobre dernier sur le marché obligataire américain est une menace prise très au sérieux par la FED. - Scott Olson - Getty Images North America - AFP

Environnement de taux négatifs, politiques de rachat de la BCE et de la banque centrale japonaise, le marché obligataire donne des signes inquiétants. Certains grands acteurs prévoient l’hypothèse d’une panne sèche d’actifs pure et simple, et la FED met en garde contre des chocs de marché spectaculaires.

Le marché obligataire peut-il et va-t-il tenir le coup dans cet environnement totalement expérimental qu’ont instauré les banques centrales pour soutenir l’économie mondiale ? Question cruciale posée par un nombre croissant d’intervenants au milieu d’une configuration de marché totalement inédite, une série d’aberrations à laquelle les grands intervenants de marché se sont fait sans problèmes.

En gros, on se retrouve dans un climat de marché où plus personne ne peut perdre. Les taux tombent à des planchers historiques ? Cela fortifie le marché actions et fait grimper le niveau des valorisations boursières. Et ce mouvement, rien ne semble vouloir l’arrêter, au vu des positions prises notamment via les ETF, les instruments de suivi de tendance, qui atteignent des niveaux historiques sur l’Europe et le Japon.

Ne pas penser et acheter la tendance

Les taux deviennent négatifs ? On est obligé de payer des primes pour acheter de la dette souveraine ? Pas grave, la BCE reprend tout. Sélectivement, mais elle reprend. Quitte à elle aussi payer, avec un taux légèrement négatif ! Sans oublier qu’on peut aussi tirer des profits des petits jeux d’arbitrages entre taux sur des obligations de durées similaires. Une sorte de petit "carry-trade".

Donc si on fait la moyenne, les investisseurs sont finalement orientés vers un choix simple, acheter les indices actions européens. Et arbitrer autour du marché obligataire en se disant que tout tiendra parce que tout le monde a un cruel besoin que ça tienne.

Chiffrage du risque ?

Mais quid des risques ? Certes on a avant tout un problème en ce qui concerne leur évaluation. Le contexte singulier de marché l’explique, mais est-il véritablement normal que les taux à 10 ans espagnols et italiens se retrouvent désormais largement inférieurs à ceux des bons du trésor américains ?

Ces chiffres reflètent-ils pleinement une réalité économique et monétaire quantifiable ? Là autant dire que le marché ne cherche pas trop à se poser de questions, et préfère continuer à jouer un scénario qui devrait se poursuivre pendant un bon moment…

La FED en première ligne

Mais jusqu’à quand ? La première menace, la vraie grosse épée de Damoclès, c’est la future remontée des taux de la Réserve Fédérale américaine. Une décision qui s’annonce tellement cruciale, même si dans un premier temps elle ne devrait se résumer qu’à 0,25% de relèvement, que la FED se donne toutes les précautions et tout le temps de le faire.

Surtout qu’on a pu le voir, l’Amérique connaît des petits accrocs dans sa reprise économique, et se soucie de l’impact de cette future décision sur l’économie mondiale, tout en essayant de faire en sorte que le dollar fort ne devienne pas une menace trop importante pour les entreprises américaines.

Panne sèche sur l’obligataire ?

Cela dit ce signal interviendra. Et même si beaucoup d’intervenants sur le marché ont déjà exclu toute intervention cette année, la prise de cette décision va sans doute provoquer un vrai choc sur le marché.

Pourquoi donc ? Parce qu’avec les dizaines de milliards d’euros de programmes de rachats de dette, notamment décidés par la BCE et la Banque du Japon, on risque bien de se retrouver en panne sèche d’obligation à racheter. Certes les banques en possèdent encore un confortable matelas, mais vu l’ampleur des programmes, la question se pose. D’autant que certains pays, notamment l’Allemagne, concernée au premier chef, n’ont plus besoin de se refinancer autant qu’avant.

Moins de volumes, plus de volatilité

L’agence Moody’s y répond d’ailleurs, en estimant que désormais, vu les montants engagés, en estimant qu’avant la fin de l’année il n’y aura mathématiquement plus assez d’obligations sur le marché pour tenir les programmes entamés. Donc un marché en panne sèche, de moins en moins liquide, et donc de plus en plus volatile.

Cette forte baisse des volumes sur le marché obligataire, on le constate tous les jours, BNP Paribas et HSBC étant les banques les plus actives à avertir de ce risque. D’autant que selon la dernière, plus les banques centrales vont être demandeuses, moins les banques auprès de qui elles achètent ces obligations vont vouloir vendre. D’autant que c’est la profitabilité des activités de crédit des banques qui est directement mise à mal par ce fonctionnement de marché, et sans doute pur une très longue période.

Risque de "Flash Crashes" à répétition

Ce qui dans un marché sans assez de liquidités va donner une volatilité qui peut potentiellement atteindre des niveaux fous. Un actif racheté en masse dont le taux baisse, se retrouvant d’un coup recherché et rare… Comment évaluer objectivement son prix et son rendement ? Le marché risque de se faire des nœuds au cerveau qui pourraient dans ces conditions prendre la forme d’un énorme coup de tabac.

Le pire c’est que le phénomène s’est déjà produit par le passé. C’était le 15 octobre 2014, à Wall Street, sur le marché des bons du trésor américain, réputé pourtant le plus liquide et le plus large du monde !

Une fois tous les milliards d’années

En une fraction de seconde, le taux du T-Bond à 10 ans a perdu 33 points de base d’un coup avant d’effacer ses gains. Pour s’amuser, des spécialistes des mathématiques de la FED ont calculé qu’avec la moyenne habituelle des mouvements de marché sur la courbe de taux, un phénomène d’une telle violence et d’une telle amplitude ne peut arriver qu’une fois tous les milliards d’années !

Un épisode de marché spectaculaire mais sans conséquence grave, sans doute provoqué par le recours de plus en plus fréquent au trading à haute fréquence, automatisé et de plus en plus rapide.

Malgré tout la FED met en garde. Ce genre d’aberration de marché n’est nullement anodin. Il est le fruit d’un contexte global de marché tellement inhabituel et aberrant dans son fonctionnement que des phénomènes du genre vont se reproduire, surtout si la liquidité décroit sur certaines zones, provoquant des mouvements violents et irrationnels.

Eviter un choc de dimension nucléaire

Et autant ce phénomène touche quotidiennement les marchés actions, créant de la fausse liquidité et des aberrations de marché vite réparées, on ne plaisante plus avec des produits qui servent aux Etats pour se financer. Il en va de leur sécurité.

La FED demande donc aux intervenants de marché de se discipliner pour éviter un évènement qui pourrait prendre l’allure d’un krach financier, dont on saisit mal la dimension et les effets dévastateurs potentiels.

Antoine Larigaudrie