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Fusions-acquisitions: un record américain de mauvais présage?

Avec, entre autres, l'acquisition de Time Warner Cable, le câblo-opérateur américain Charter est le principal artisan de ces chiffres record en matière de fusions-acquisitions

Avec, entre autres, l'acquisition de Time Warner Cable, le câblo-opérateur américain Charter est le principal artisan de ces chiffres record en matière de fusions-acquisitions - Andrew Burton - Getty Images North America - AFP

Encore un chiffre-choc pour l’économie américaine: sur le seul mois de mai, 243 milliards de dollars d’opérations de fusions-acquisitions ont été annoncées, selon le cabinet Dealogic. Un record absolu, dont le montant n’est pas sans susciter quelques inquiétudes du côté de la communauté financière.

243 milliards de dollars. Le chiffre donne le tournis à plus d’un titre. C’est déjà le record absolu d’opérations de rachats annoncées sur un seul mois aux Etats-Unis, avec en plus un très sérieux client en première ligne, le câblo-opérateur Charter.

Après la tentative malheureuse d’Altice, la holding de contrôle de Numéricable-SFR, c’est en effet Charter qui a annoncé la reprise de son concurrent Time Warner Cable, après avoir déjà déboursé plusieurs dizaines de milliards de dollars pour racheter un autre concurrent, Brighthouse. 

Charter se taille ainsi la part du lion du record de 243 milliards de dollars enregistrés en mai, avec une enveloppe totale de 90 milliards de dollars. Il devient par là-même le géant de la restructuration du câble aux Etats-Unis.

Du jamais vu depuis la Bulle Internet

Le mois de mai aura été aussi marqué par une autre transaction spectaculaire: le rachat de Broadcom, le spécialiste des puces programmables, par Intel, pour 40 milliards de dollars. Une opération ultra-structurante elle aussi, car elle consacrer Intel comme un des leaders du marché des composants pour objets autonomes et connectés, un marché en pleine expansion.

C’est la plus grosse opération de ce genre pour le secteur des semi-conducteurs, un montant historique, et c’est aussi une fusion-acquisition d’une taille jamais vue depuis les grands deals de l’époque de la bulle internet de 1999-2000.

Partir à l’offensive ou choyer l’actionnaire ?

Une frénésie d’acquisitions, un vrai état d’esprit offensif, dont paradoxalement manquait un peu l’économie américaine ces derniers mois. C’est d’ailleurs, coïncidence, ce que critique la banque d’affaires Goldman Sachs dans sa dernière note, conseillant aux grands patrons américains de "racheter des entreprises, plutôt que de racheter leurs propres actions", et ainsi de créer de la véritable valeur sur le long terme, en prenant plus de risques.

Un vrai problème quand on sait que les entreprises américaines conservent des ressources de cash considérables, et qu’elles ont l’intention de reverser 1000 milliards de dollars à leurs actionnaires sur l’ensemble de l’année 2015.

Des records mais pas de vague

Malgré tout, on le voit, les deux phénomènes semblent, comme des illusions d’optiques, issues d’une mauvaise mise au point. Oui, les montants des fusions-acquisitions sur le seul mois de mai sont considérables, mais ils ne concernent déjà que quelques opérations spectaculaires dans des secteurs où un petit nombre de géants très puissants ont décidé de restructurer leur propre marché.

On ne peut pas à proprement parler de phénomène de masse qui touche l’ensemble de l’économie américaine. Si la tendance s’en tient là, on s’oriente sans doute vers une année record en matière de fusions-acquisitions, avec des opérations géantes lancées par de gros groupes.

Conditions de marché exceptionnelles

Et en cela, même une légère modification de la politique des taux de la Fed, un léger relèvement, comme l'institution américaine le prévoit d'ici à la fin de l’année, n’y changera pas grand-chose, si on parle d’opérations de plusieurs dizaines de milliards de dollars. 

En revanche si ce genre d’opération géante est possible c’est avant tout grâce aux conditions de marché actuelles. Un marché inondé de liquidités et soutenu par des banques centrales proactives, qui incitent à la prise de risque et à l’investissement.

Signe annonciateur de catastrophes à venir ?

Et en cela, la coïncidence des dates historiques des derniers records en matière de fusions-acquisitions aux Etats Unis a de quoi inquiéter. Car le dernier record absolu datait de mai 2007, et le précédent de janvier 2000.

Deux périodes qui furent quelques semaines ou quelques mois plus tard suivies par deux crises financières majeures. 2015 sera-t-elle l’année où l’exception va confirmer la règle ? Pour l’instant cette coïncidence de plus s’ajoute à un faisceau d’indices qui devrait pousser les investisseurs à la plus grande prudence dans les prochains mois, au milieu d’une conjoncture toujours extraordinairement complexe.

Antoine Larigaudrie