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Glencore lutte pour sa survie

Glencore, jadis supergéant incontesté des matières premières, a perdu 90% en bourse depuis son introduction en 2011, et pourrait lutter dans les semaines à venir pour sa survie.

Glencore, jadis supergéant incontesté des matières premières, a perdu 90% en bourse depuis son introduction en 2011, et pourrait lutter dans les semaines à venir pour sa survie. - René Schwietzke - Flickr - CC

Glencore est-il en train de tomber sous les yeux du monde de la finance ? Avec 30% de baisse sur la séance d’hier, le supergéant du trading de matières premières n’était plus que l’ombre de lui-même. Mais il s'envole de 20% ce mardi.

L’équation paraît impossible. Arriver à redresser sa situation financière, avec une dette de plus de 30 milliards d’euros, une valorisation estimée autour des 15 milliards, et des cours des matières premières pris dans une spirale infernale qui ne semble pas près de s’arrêter.

Pourtant, le géant suisse du négoce des matières premières, assure ce mardi ne pas avoir de "problèmes de solvabilité" alors que fusent les rumeurs de retrait de la cote dans les cercles financiers. "Nous avons des flux de trésorerie positifs, une bonne liquidité et absolument aucun problème de solvabilité", a indiqué le groupe suisse dans un communiqué, insistant sur le fait que son activité restait "solide" à la fois "sur le plan opérationnel et financier".

Si l'action prend 20% après ces annonces, la baisse a été vertigineuse depuis son introduction en bourse en 2011 : -90%. Une capitalisation quasiment anéantie, et une communauté financière extrêmement pessimiste, toujours prompte à châtier les anciennes idoles.

L’Empire des matières premières

Car Glencore a été, et reste un empire financier sans doute unique dans le monde financier. Un courtier géant incontournable dans le monde des "commodities", des matières premières, achetant et vendant partout dans le monde minerai de fer, cuivre, or, pétrole ou encore charbon.

Un empire dont l’histoire commence en 1974 avec sa fondation par un sulfureux homme d’affaires Marc Rich. Sulfureux car impliqué dans des affaires de commerce illégal avec des pays sous embargos, notamment l’Iran, un sujet avec lequel la justice américaine plaisante rarement.

Histoire trouble et sulfureuse

Mais Marc Rich s’en est toujours tiré, et l’histoire de son groupe, Glencore, est intimement liée à l’ensemble des problématiques géostratégiques à travers le monde.

Présent partout, et notamment dans les pays riches en filons de matières premières, le groupe a continuellement été mis en cause dans des affaires réelles ou supposées de trafic divers, de corruption à haut niveau, notamment en Afrique et en Amérique Latine.

Valorisations astronomiques

Un empire tentaculaire parfait. L’ensemble des acteurs des filières minières, producteurs, transformateurs, industries métallurgiques, transporteurs, pétroliers… tout le monde était obligé de passer par Glencore à un moment ou un autre pour s’approvisionner.

Le parachèvement de cette success-story fut d’une part l’introduction en bourse de Glencore. Avec des investisseurs et des analystes extatiques, valorisant le groupe à plus d’une centaine de milliards de dollars de capitalisation.

La machine parfaite

Mais l’apogée est atteinte avec le rachat d’XStrata en 2012, au prix d’une haletante bataille boursière qui dura des semaines. Glencore l’emporta pour un peu plus de 30 milliards d’euros, avec comme objectif principal de s’emparer des très nombreuses mines du groupe suisse.

Le supergéant devenait ainsi la machine parfaite : le producteur-transformateur-marchand. Avec un contrôle absolu sur sa production, son process industriel et ainsi totalement libre de déterminer ses prix finaux. Une apogée qui n’aura duré que quelques semaines…

Le début de la fin du "Super-Cycle"

Car comme un symbole, c’est pile à ce moment-là que les prix des matières premières ont commencé leur descente aux enfers. Crainte de voir la croissance mondiale et la demande industrielle flancher, notamment du côté de la Chine, désordres monétaires divers… autant de facteurs qui ont commencé à faire décrocher le prix de toutes les matières premières.

Pétrole en tête, avec un prix du baril qui sur l’année écoulée a été divisé par deux. Mais tout le reste a suivi, or, minerais de fer, cuivre, sans parler du charbon, dont les cours se sont écroulés de 80% en 12 mois.

Etat critique

Autant de denrées qui constituent le cœur de métier, le flux sanguin de l’empire Glencore. Et face à une dette difficilement soutenable, impossible de ne pas réagir. Le coup de grâce fut ces derniers jours une note de la banque Investec, estimant que la viabilité même de Glencore était désormais en question.

Le groupe a tenté de rassurer, s’estimant capable de vendre rapidement certains actifs, notamment des mines (rachetées pourtant à prix d’or en 2012 avec XStrata). Mais impossible d’imaginer que cela se passe sans casse, et surtout sans d’énormes provisions à passer sur les comptes, tant ces actifs ont dû se déprécier en seulement 3 ans.

Un monde en pleine mutation

Une gigantesque restructuration va être nécessaire, et peut-être même un changement radical de physionomie de Glencore, dans un secteur en plein mouvement et en pleine restructuration à marche forcée, face à la baisse des cours.

Certains aciéristes, comme l’allemand Saltzgitter, imaginent déjà des fusions entre métallurgiste de métiers différents, pour mutualiser les ressources et les process industriels.

Défi vital

Le spécialiste américain Alcoa n’exclue plus de se séparer en plusieurs entités distinctes pour créer de la valeur. Bref aucun scénario n’est exclu, même les plus radicaux, pour faire face à ce nouvel environnement.

L’Empire Glencore est donc au pied d’un mur immense pour éviter la déchéance. Se transformer à vitesse accélérée, ou mourir. Avec la défiance des marchés et une dette considérable comme handicap principaux. Un défi de taille macro-économique dont Glencore sera soit l’architecte… soit la première victime majeure.

Antoine Larigaudrie