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L'intelligence artificielle, ou l'ascension des "boîtes noires" sur les marchés

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- - Johannes EISELE / AFP

L'intelligence artificielle s'immisce à toute vitesse dans la finance où les investisseurs recherchent toujours une longueur d'avance technologique.

Si les algorithmes et le courtage à haute fréquence règnent depuis dix ans sur les salles de marchés, l'intelligence artificielle va plus loin. Au lieu d'être programmées pour certaines opérations comme "vendre" si un titre tombe sous un seuil, ou "acheter" si une banque centrale abaisse ses taux, les logiciels d'"apprentissage automatique" croisent à toute vitesse des dizaines de bases de données gigantesques. Ils trouvent des tendances, des corrélations, émettent des modélisations, des prévisions... Et prennent seuls les décisions d'achat/vente. 

D'après le cabinet d'analyses Greenwich, plus de 50% des entreprises de marché auront mis en place des procédures d'intelligence artificielle d'ici deux ans. Les fonds d'investissement et gestionnaires de portefeuilles s'en servent pour mieux maîtriser leurs risques ou choisir quoi acheter, pour qui et quand.

Les banques l'utilisent pour la détection de fraudes et d'attaques informatiques, fixer le prix d'un produit, analyser le profil de clients qui ne "rentrent pas dans les cases" des octrois de prêts. C'est aussi un outil pour baisser leurs coûts, au moment où les taux d'intérêt négatifs compressent leurs marges.

Les régulateurs aussi ont recours à l'intelligence artificielle pour détecter de potentiels "événements catastrophiques sur les marchés comme les faillites en cascade de 2008", explique la CFTC, l'autorité américaine des contrats à terme et options.

Un facteur de déstabilisation des marchés?

Dans un rapport, la Banque d'Angleterre reconnaît que le "machine learning" ne crée pas de nouveaux risques mais "peut en amplifier". De son côté, Vasar Dhar, professeur à l'université NYU Stern et gestionnaire d'un fonds spéculatif, soutient que le courtage automatisé est plus sûr que les transactions réalisées par les humains, plus susceptibles de paniquer, réagir aux effets de masse, etc. "Les humains ne prennent pas de bonnes décisions (...) à court terme les machines font mieux". Mais "quand tout le monde utilise les mêmes algorithmes et prend les mêmes positions, le marché peut devenir très déséquilibré", admet toutefois Vasar Dhar.

Autre problème avec des machines qui ne se trompent presque jamais: "quand il y a un humain qui supervise ce qu'elles font, il lui est très difficile de déceler une erreur", remarque Vasar Dhar, évoquant des avions qui se sont écrasés car l'équipage n'a pu déceler les failles du pilotage automatique.

Avec l'abondance de fausses informations sur internet, "il peut y avoir des mouvements de trading sur des informations non avérées", poursuit Thierry Philipponnat, de l'association Finance Watch.

Les professionnels de la finance gardent en mémoire le krach éclair de 2010 à la Bourse de New York, où le Dow Jones avait perdu plus de 9% en 10 minutes. Un épisode qui a mis en lumière le phénomène du courtage à haute fréquence, et les risques de manipulations de marché. Un courtier britannique a fini par être arrêté. De même en 2016, la livre avait perdu 12% en 2 minutes, entraînant de grosses pertes pour certaines entreprises. 

L'un des problèmes du "machine learning", c'est que ces programmes fonctionnent souvent en "boîtes noires" qui ne savent pas expliquer leur "raisonnement". L'un des enjeux du secteur est justement de le rendre intelligible auprès des clients et des régulateurs, les humains restant responsables devant la loi. Ceux qui restent du moins. Car comme dans les autres domaines de l'économie, le cabinet Greenwich constate que "des emplois ont été supprimés à cause de l'automatisation, avec des vétérans de la finance au rôle diminué ou remplacé" par des machines.

Sandrine Serais.avec AFP