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Les marchés financiers en panne de valeurs refuges?

Mario Draghi, Président de la BCE. La baisse des taux provoquée par l'action monétaire de la banque centrale provoque un casse-tête inédit.

Mario Draghi, Président de la BCE. La baisse des taux provoquée par l'action monétaire de la banque centrale provoque un casse-tête inédit. - Daniel Roland - AFP

Politiques pro-actives des grandes banques centrales, chute des taux partout dans le monde, désintérêt pour l’or, forte hausse du franc suisse…  la hiérarchie des traditionnelles valeurs sûres du marché est totalement chamboulée. Mais cela veut-il dire que les investisseurs les ont pour autant mises de côté ?

Du risque, encore plus de risque, toujours plus de risque… Les investisseurs ne jurent en ce moment que par les actions, et particulièrement les actions européennes. Dans l’environnement actuel, c’est le seul actif digne d’intérêt en matière de perspectives et de rendement, pour des investisseurs toujours en quête à ce niveau-là.

Un investisseur avisé ne mettant jamais ses œufs dans le même panier, il est aussi important de blinder ses portefeuilles d’investissement avec des valeurs-refuge, des valeurs sûres, qu’il sera toujours temps de renforcer en cas de coup dur, car l’environnement actuel, même s’il incite à prendre plus de risque, reste instable.

Verser une prime pour prêter de l’argent…

Et justement, la demande pour des valeurs-refuges ne manque pas. Cela ne fait d’ailleurs qu’accroître le phénomène actuel de baisse des taux et de baisse de rendement des actifs réputés sûr.

C’est déjà le cas depuis un long moment sur les rendements des emprunts d’état, dont beaucoup tombent en territoire négatif sur les échéances les plus courtes. Allemagne, Finlande, Pays Bas, Danemark et Autriche servent des taux négatifs sur 5 ans. Il faut verser une prime pour leur prêter de l’argent.

Les obligations privées elles aussi concernées

Mais cela ne retient pas les investisseurs au contraire, qui n’hésitent pas à payer cette prime pour acheter ces obligations ! Chaque mise sur le marché est généralement très largement souscrite.

Pareil pour les obligations des entreprises les mieux notées. Nestlé emprunte à taux négatifs sur 5 ans. Pareil pour le pétrolier Shell. Et lors de sa dernière opération de refinancement, GDF-Suez a émis pour la première fois des emprunts à taux nuls à 2 ans… et avec un rendement de 1,5% sur 20 ans, alors que le bon du trésor Français sur la même échéance est à peine un peu en dessous à 1,2% de rendement ! Le tout encore une fois avec une demande fournie.

Devoir payer pour laisser son argent dormir…

Rappelons qu’un actif au rendement faible voire négatif n’est pas de l’argent perdu. En jouant sur les écarts de taux de différents types d’actifs, les investisseurs peuvent y trouver des sources de bénéfices. Une sorte de carry-trade, d’arbitrage multiple et permanent.

Pareil pour les placements monétaires, qui ne rapportent plus rien au vu des taux. Même les grandes banques font payer des frais supplémentaires à leurs gros clients pour laisser dormir leur argent. C’est le cas chez JPMorgan, et d’autres grandes banques vont s’y mettre, imitant les mécanismes traditionnels des banques centrales. 

Or et franc suisse mis de côté

Restent deux types de valeurs-refuges que le marché pour le coup a mis de côté. Déjà l’or qui ne bouge plus du côté des 1.200 dollars depuis quelques mois, très dépendant des actions des grandes banques centrales, et marché très peu liquide pour le moment. De plus traditionnellement l’or est un placement contre l’inflation, or l’inflation on n’en a tellement pas en ce moment que les banques centrales cherchent à en créer par tous les moyens.

Autre valeur refuge par excellence, le franc suisse, mais cette devise va mettre dans doute plusieurs mois avant de se stabiliser, après l’extraordinaire décision de la Banque Nationale Suisse de le laisser flotter librement face à l’euro.

Forte demande pour les produits qui rapportent peu… ou rien.

Donc nous voilà face à une situation de marché inédite. Encore une. On en est arrivé à un tel point de relativisme monétaire partout dans le monde, que la demande est croissante pour des produits qui rapportent de moins en moins. Pire, moins ils sont rentables, plus ils sont demandés !

Et face à la baisse continue des rendements, les grandes banques centrales et particulièrement la BCE pourraient faire face à un problème de taille. Les Etats face à la baisse continue des taux d’intérêts émettent du coup moins de dette… puisque leurs besoins en financement de marché se réduisent mathématiquement. C’est le cas déjà aux Etats Unis, et du côté de l’Europe la question va se poser. L’Allemagne n’empruntera pas sur les marchés cette année.

Vers la panne sèche ?

Si la BCE arrive à maintenir les taux à ces niveaux, c’est grâce à la perspective de ses rachats d’obligations. Plus un titre de dette voit sa valeur augmenter, plus son rendement baisse. Mais y aura-t-il au final assez d’actifs de qualité sur le marché pour que cette politique soit efficace ? La Scor elle-même affirme qu’à cause des nouvelles normes comptables Solvency II, le secteur de l’assurance, gros détenteur de dette d’état, n’a plus aucun intérêt à la vendre à la BCE.

On se retrouve donc en situation de rupture de stock d’actifs au rendement peu attractif ! Avec des investisseurs capables de payer des primes pour des obligations qui ne rapportent rien, et des clients capables de payer des commissions aux banques pour y laisser dormir leur argent.

Casse-tête majeur

Un déséquilibre de marché majeur, sous forme de casse-tête à régler pour les autorités monétaires internationales. C’est le résultat de politiques expérimentales et jamais vues à l’échelon mondial pour soutenir l’économie.

Un effet secondaire dont pas grand monde n’est capable de déterminer d’éventuelles conséquences néfastes, à part estimer que tout ceci constitue la plus énorme bulle spéculative obligataire jamais formée.

Antoine Larigaudrie