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Marché obligataire: le cap des tempêtes

Le marché obligataire allemand a connu sa séance la plus turbulente depuis des années hier, provoquant une forte baisse du marché actions. L'indice DAX a perdu 3.2% en clôture.

Le marché obligataire allemand a connu sa séance la plus turbulente depuis des années hier, provoquant une forte baisse du marché actions. L'indice DAX a perdu 3.2% en clôture. - Daniel Roland - AFP

Journée incroyable hier sur le marché des dettes d’état. C’est notamment du côté de l’Allemagne, locomotive économique et valeur sûre de la zone euro, que se cristallisent les doutes sur l’évolution des taux.

Confusion totale. C’est le mot qui revient le plus en ce moment pour qualifier ce qui se passe sur le marché obligataire européen. On avait la conviction que des turbulences étaient à venir ces prochaines semaines, mais le phénomène a pris très vite corps, et prend de plus en plus la forme d’un défi lancé à la BCE sur son programme de soutien à l’économie.

Hier 29 avril, phénomène assez rare pour être souligné, le rendement de l’obligation du Trésor Allemand, du Bund à 10 ans, est passé du simple au double en une journée. Certes on partait de très bas, à 0,14%, c’est bien là tout le problème, mais on a terminé la journée à 0,28%, occasionnant de fortes tensions sur l’ensemble des autres emprunts d’état, et une belle pagaille sur les marchés actions, l'indice DAX perdant 3,2% en clôture.

Quand la dette allemande ne trouve pas preneur

L’origine, au matin, est à trouver au sein d’une opération de refinancement pourtant banale et routinière : l’Allemagne a mis sur le marché pour 4 milliards d’euros d’emprunts à 5 ans, avec un rendement légèrement négatif de 0,07%. Jusque-là rien d’anormal puisque cette configuration de marché, exceptionnelle, est voulue par la BCE, et que tous les investisseurs y ont trouvé intérêt.

Le seul hic, c’est que cette opération n’a pas été souscrite entièrement. 3,6 milliards d’euros levés. Du coup sa valeur a largement baissé, entraînant une hausse de son rendement, et dans le sillage une hausse de tous les taux de la zone.

Actifs et acheteurs : d’un extrême à l’autre

Une confusion extrême, entraînée par un marché très peu liquide, très peu d’intervenants, et des taux si bas que le moindre mouvement provoque des déséquilibres majeurs. Aussi bien sur le même marché que sur celui des changes et des actions comme c’était le cas hier et ces derniers jours.

Il y a quelques semaines, le marché craignait qu’il n’y ait pas assez d’actifs à racheter, hier il y en avait trop, et on était en panne d’acheteurs, tout simplement ! Et pour un actif, la dette allemande, considéré comme ultra-sûr.

Un défi des grands gérants à la BCE

Au même moment, plusieurs grands intervenants et observateurs du marché obligataire, en particulier Bill Gross, ancien patron du géant américain de la gestion Pimco, déclarait que le niveau actuel des taux allemands justifiait de lancer une grosse correction sur le marché. A savoir, vendre, vendre et vendre les Bunds allemands.

Un véritable défi lancé au mécanisme mis en place depuis plusieurs mois sur le marché obligataire. Certes on se retrouvait avec des taux planchers, voire négatifs, mais chacun y trouvait son compte, avec une BCE toujours en dernier soutien, et des marchés plutôt satisfaites de pouvoir jouer les écarts de taux, tout en gardant une prédilection pour les actions européennes, actif plus rémunérateur.

Euro et dollar : tendance inversées

Mais ce sont finalement les grands gérants qui ont décidé de mettre la pression : pourquoi continuer à jouer le jeu d’un marché volontairement déréglé, alors qu’au milieu de cette tendance devenue extrêmement volatile, il y a moyen de jouer de gros coups en pariant de toutes petites variations des taux ?

D’autant qu’une autre réaction concrète de ces phénomènes et de provoquer une remontée de l’euro ! La hausse des taux provoque une amélioration soudaine de la rémunération de la monnaie, phénomène accentué par la baisse du dollar à court terme (pour cause de panne de croissance aux Etats-Unis).

Protéger les mécanismes de marché

Donc on se retrouve exactement face à un scénario diamétralement opposé aux prévisions de ces derniers mois ! A savoir des taux qui devaient rester bas, voire négatifs, et un euro qui devait continuer à se déprécier face à la devise américaine.

Mais la volatilité actuelle rend le moindre déséquilibre positivement explosif, et on pourrait se retrouver au milieu d’un face-à-face épique entre BCE et grands intervenants du marché, un bras de fer avec au cœur de toute cela l’équilibre même du marché qui sert avant tout aux états à se refinancer.

Une vraie problématique de crédibilité qui risque d’être le sujet principal des réflexions de la BCE sur son action future, sa précision et son timing. Et si ce genre de coups de tabac se confirme, le message devra être fort et clair, sauvegarder les mécanismes existants pour résister à la pression, en trouvant les bons arguments pour le faire.

Antoine Larigaudrie