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Marché obligataire: le choc des Titans qui ébranle la Zone Euro

Bill Gross, l'emblématique ancien patron du fonds géant Pimco, et l'un des acteurs majeurs de ces turbulences de marché, où se jouent tout de même les capacités de financement des états de la Zone Euro

Bill Gross, l'emblématique ancien patron du fonds géant Pimco, et l'un des acteurs majeurs de ces turbulences de marché, où se jouent tout de même les capacités de financement des états de la Zone Euro - Getty Images North America - AFP

Les marchés de dette souveraine sont à nouveau affecté par des turbulences spectaculaires. Avec, en arrière-plan, la BCE à l’offensive pour soutenir l’économie et d’énormes fonds de gestion qui se livrent une bataille sans merci. Décryptage.

"Il ne faut absolument pas sous-estimer que ce qui est en train de se passer sur les marchés obligataires, on assiste en 10 minutes à des mouvements qui mettaient des semaines à se produire il y a quelques années", insiste David Buik, un grand banquier de la City de Londres. Une situation d’autant plus complexe que ce marché de la dette est celui qui sert aux états souverains pour couvrir leurs besoins en financement.

De sorte que, même si, sur un plus long terme on reste sur des taux historiquement bas, il n’est en rien anodin de voir, par exemple, la dette allemande à 10 ans, le Bund, passer de 0.5% a quasiment 1% en séance hier... Alors qu’il y a 40 jours, son taux était quasi-nul.

Une violence rarement observée

De même pour les taux d’intérêt français à 10 ans, qui ont vu leur rendement tripler en quelques semaines, passant de 0.4 à 1.2% au plus haut hier, sans parler des dettes des pays périphériques, d’Europe du Sud, Espagne et Italie, désormais au-dessus des 2%.

Il ne faut pas oublier que ces mouvements brutaux font grimper dans les mêmes proportions le coût de financement, à la fois pour les Etats et les entreprises puisque le niveau auquel elle peuvent emprunter dépend de l'évolution des taux souverains.

Un marché peu liquide

Cette volatilité spectaculaire, jamais observée depuis au moins 1998, constitue un phénomène complexe à analyser sur la forme et sur le fond. Mais globalement tout tourne autour de la politique de rachats d’actifs de la Banque Centrale Européenne, le Quantitative Easing, mis en place pour stimuler l’économie européenne.

En gros depuis quelques mois on se retrouve avec une Banque Centrale qui s'impose comme le plus gros intervenant du marché. Elle rachète à tour de bras de la dette, notamment allemande, au secteur financier, afin d’alléger ses bilans et de faire en sorte qu’ils prêtent plus à l’économie réelle, tout en maintenant les taux les plus bas possibles.

Le défi du secteur financier

Mais en face, le secteur financier, cheville ouvrière de la circulation de l’argent, a besoin de taux un minimum élevés pour pouvoir continuer à faire circuler les capitaux, en conservant de la marge. S’organise donc une lutte d’influence forte sur les marchés, entre la BCE et les banques, pour déterminer le niveau d’équilibre adéquat pour les taux d’intérêt. Une sorte de bras de fer permanent.

Et au milieu de ce marché obligataire saturé par les opérations de rachat de la BCE, il ne reste plus que de ridicules volumes pour échanger des titres de dettes européens. Et qui dit moins de volumes et moins d’obligations sur le marché, dit plus de chance d’avoir des secousses et des mouvements brusque à la moindre impulsion de tendance. Voilà pourquoi il va falloir s'habituer à la volatilité, comme le disait encore Mario Draghi il y a quelques jours, lors de la réunion de la BCE qu’il préside. Une volatilité et des tendances alimentées aussi par des indicateurs économiques qui redeviennent plutôt corrects.

Quand Bill Gross et Blackrock s’en mêlent…

Mais l’affaire se corse avec le jeu d’influence que se livrent deux supergéants également impliqués sur le marché obligataire, et qui appartiennent à un monde plus obscur mais extrêmement influents, celui des géant de la gestion. Avec en première ligne l’homme d’affaires Bill Gross, ex-patron du géant de la gestion américain Pimco, et Blackrock, autre supergéant du secteur, fort de 4.500 milliards d’actifs sous gestion (2 fois le PIB de la France). Deux poids extra-lourd qui font la pluie et le beau temps sur le marché.

Le 21 avril dernier, le taux de la dette allemande était quasiment nul, à peine 0.1%, et toute la communauté financière attendait tranquillement qu’il passe en territoire négatif. Et soudain Bill Gross fait une déclaration fracassante: "Avec un taux à ce niveau, on a une occasion de vendre en masse de la dette allemande qui ne se voit qu’une fois dans une vie".

Flambée des taux allemands

Il ne faut pas oublier que sur le marché obligataire, les mécanismes de marché sont inverses à ceux du marché actions. Si la valeur de l’obligation baisse, son rendement augmente, traduisant un risque plus élevé. Au contraire, plus une obligation a un cours élevé, plus son rendement est faible. Au point qu’il peut même être nul, voire négatif: dans ce dernier cas cela signifie qu'il faudra verser une prime plus ou moins importante pour acheter les titres de dette concernés. Ce fut le cas notamment pour les bons du trésor suisse à 10 ans dernièrement mais aussi certains titres de dette à court termes allemands et français.

Le résultat des déclarations de Bill Gross ce 21 avril ne se sont pas fait attendre. Tout le marché a suivi, provoquant une brusque flambé des taux allemands. Et en 40 jours seulement, le rendement du Bund est passé de 0.05% au plus bas, à quasiment 1% hier! Le phénomène reste minime sur une optique de long terme, qui est toujours privilégiée quand on parle de taux d’intérêt, mais absolument spectaculaire à court terme.

Un mal pour un bien

Une forte hausse qui a été dans un premier temps accueillie par des turbulences sur le marché actions, mais que la communauté financière a applaudi en définitive, en pensant qu’on était justement dans un processus d’ajustement qui permettrait de fixer un niveau de taux acceptable pour tout le monde.

Reste que la violence du mouvement, accrue par le manque de profondeur du marché, déstabilise en définitive tout le monde. Et complique singulièrement la tâche de la BCE, qui a en charge de garantir la stabilité de la Zone Euro.

Le bras de fer se poursuit

Mais voilà que l’autre grande superpuissance de la gestion, l’américain Blackrock, estime désormais qu’aux alentours de 1% de rendement, l’occasion est unique pour revenir à l’achat sur les obligations allemandes ! Il parie ainsi sur une hausse de leur valeur et une baisse de leur rendement. Le directeur de la gestion de Blackrock indique donc qu’il va accroître ses positions sur le Bund allemand en dépit des 2 ou 3 semaines de turbulences à venir. Car Blackrock estime que sur une optique de long terme, on ne peut qu’y gagner. Et vu la puissance de feu de l’institution financière, le marché va sans doute réfléchir.

D’où cette impression d’un jeu d’échecs de puissances macro-économiques joué par des mastodontes de la gestion, au milieu d’un marché complexe animé par la BCE... et où l’enjeu final est quand même la solidité de la Zone Euro. Un véritable défi de crédibilité qui risque de se prolonger encore pendant plusieurs mois.

Antoine Larigaudrie