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Pétrole: ce monceau de dettes qui fait peur aux marchés

Confronté à plus d'une centaine de milliards de dollars de dette, les pétroliers vont connaître une nouvelle phase de restructuration qui s'annonce très difficile.

Confronté à plus d'une centaine de milliards de dollars de dette, les pétroliers vont connaître une nouvelle phase de restructuration qui s'annonce très difficile. - AFP

Malgré la forte hausse des cours du brut ces dernières semaines, la phase complexe que vivent les grands groupes pétrolier est loin d’être terminée. Leur priorité? Gérer leur endettement, qui atteint des niveaux critiques, et commence à sérieusement inquiéter les investisseurs.

124 milliards de dollars… Du simple au double en deux ans seulement! Le chiffre donne le tournis aux investisseurs, et recommence à inquiéter. C’est le montant des dettes accumulées par les quatre plus grands pétroliers du monde, les américains ExxonMobil et Chevron, et les britanniques Shell et BP. Leur santé financière devient de plus en plus fragile.

Certes le prix du pétrole a connu de fortes hausses ces derniers temps, notamment en début d’année, propulsant à nouveau le baril autour des 50 dollars, niveau d’équilibre qui satisfait à peu près tout le monde, producteurs, industriels, et marchés financiers. Mais cette amélioration a eu tendance à occulter le principal: même si le chiffre d’affaires, les bénéfices et aussi les cours de bourse des pétroliers s’est amélioré, leur structure financière s’est paradoxalement beaucoup fragilisée, et a continué à se détériorer.

En effet, ces grands industriels sont très gourmands en cash. Il leur sert à alimenter leur activité régulière, leurs projets d’investissement et d’exploration (même si ces derniers se sont considérablement réduits ces dernières années), et aussi et surtout payer leurs dividendes, essentiels pour conserver un actionnariat stable.

Une double fragilité

Et au vu de la crise structurelle que le secteur a connu ces dernières années, les grandes majors ont beaucoup emprunté sur les marchés, afin de financer leurs besoins. Le contexte était propice: qui dit structure financière fragilisée dit plus grand risque pour l’investisseur, et donc plus de rendement. Même si du coup il leur fallait dépenser plus, ils pouvaient mettre de la dette sur le marché à bon prix, avec l’environnement actuel de taux bas ou négatifs.

Mais le résultat est que ces mastodontes sont doublement fragilisés: ils doivent poursuivre le rééquilibrage de leurs activités en fonction des cours actuels, tout en continuant à fournir du dividende, financer leurs investissements, tout en devant gérer une dette de plus en plus massive.

"Impossible pour ces groupes de maintenir leurs dividendes à leurs niveaux habituels avec un baril entre 50 et 60 dollars, c’est insoutenable", relève Michael Hulme, patron du fonds Matières Premières de Carmignac. En 2015, les grandes majors ont dû reverser l’intégralité de leurs profits pour payer leurs coupons. Du coup, l’essentiel de leur activité a été financé par… la dette.

Le service de la dette commence donc à peser très lourd. Sur le premier semestre, Shell a dû dépenser 1,2 milliard de dollars d’intérêts à ses détenteurs d’obligations, contre un peu plus de 700 millions seulement un an auparavant. Et ExxonMobil, au deuxième trimestre, a dû verser à ses actionnaires 3,1 milliards de dollars, après avoir engrangé sur la période… seulement 1,7 milliard de bénéfices!

Restructuration financière drastique

"Ils n’ont plus de quoi financer leurs objectifs de production pour cette année", estime Jonathan Waghorn, gérant chez Guinness Watkinson Asset Management. "Pour pouvoir financer leurs activités et gérer leur dette, pas de miracle. Les pétroliers vont devoir continuer à revendre des actifs, faire des appels au marché, augmenter leur capital et peut-être même du coup commencer à libeller leur dividende en actions. Ils ont trop besoin de cash."

Résultat: la période devrait rester très difficile pour les pétroliers pendant encore de nombreux mois et sans doute plusieurs années. Ils ne devront leur salut qu’à une poursuite de la hausse du baril et à une restructuration financière drastique, sous peine de très graves difficultés qui pourraient conduire à des faillites.

Antoine Larigaudrie