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Pourquoi Dick Costolo quitte Twitter

Dick Costolo, l'homme qui a "fait" Twitter, laisse un groupe en panne de croissance, avec des incertitudes lourdes quant à sa stratégie à venir. Le titre a gagné 10% après l'annonce de son départ.

Dick Costolo, l'homme qui a "fait" Twitter, laisse un groupe en panne de croissance, avec des incertitudes lourdes quant à sa stratégie à venir. Le titre a gagné 10% après l'annonce de son départ. - Steve Jennings - Getty Images North America - AFP

Twitter lui doit tout: son modèle économique, sa structure de management et sa stratégie. Dick Costolo a donné sa démission jeudi. Mais malgré le concert de louanges qui enrobe l'annonce de son départ, l'ex-patron paie sans doute la panne de croissance du réseau qu’il a façonné.

Forcément, le départ d'un patron de grande entreprise suscite des commentaire. Mais quand il s'agit de celui de Twitter, c'est l'avalanche de réactions, précisément sur le réseau social à l'oiseau bleu. Un déluge de compliments et de messages de sympathie. Le Président de Twitter lui-même, Jack Dorsey, a chanté les louanges de son directeur général sortant en moins de 140 caractères.

Thank you for everything @dickc! You're a selfless leader who's built an amazing team and company #proud https://t.co/52z4TIYIUh
— Jack (@jack) 11 Juin 2015

Le concerné, Dick Costolo s’est d'ailleurs étonné, de manière un peu ironique, d'un tel battage. "Je suis enfin dans les tendances du jour recensées par Twitter !", s'exclame-t-il sur le réseau. 

La tonalité des messages est tellement positive qu'on se demanderait presque pourquoi l’artisan d’une vraie success story de l’internet s’en va ainsi. Lui, pourtant réputé si bon stratège et si bon manager, laissant Twitter orphelin en pleine période d'ébullition dans la high-tech américaine

Derrière les amabilités, Dick Costolo paye en réalité le prix d’une stratégie qui n’a pas tenu toutes ses promesses. Car à côté des croissances vertigineuses de valorisations des Instagram ou Snapchat, de l'autodépassement perpétuel de Facebook, Twitter est toujours resté à la traîne. Le réseau peine à faire grossir le nombre de ses abonnés, et à accroître sa rentabilité.

Certes, en moins de trois ans, le nombre d’usagers réguliers de Twitter a triplé, passant de 100 à 300 millions. Mais le taux de croissance est en ralentissement continu. Rien à voir avec la progression de Facebook, qui compte désormais plus d’1 milliard d’utilisateurs actifs. D'où la déception. Car au moment de son introduction en bourse en 2013, Wall Street pariait sur des taux de croissance comparables, et croyait que l'oiseau bleu allait devenir un véritable concurrent du plus grand réseau social du monde.

Perspectives et rentabilité faibles

Côté finances, malgré des revenus conséquents -480 millions de dollars prévus pour le trimestre à venir- la rentabilité laisse à désirer avec un bénéfice (hors investissements, dépréciations, impôts, etc…) de seulement 100 millions à prévoir sur la même période. Une marge très faible pour une entreprise qui vit sur un modèle totalement dématérialisé.

La plupart des analystes jugent d’ailleurs que le titre se paye très cher. Pour preuve, l'action Twitter, qui a grimpé jusqu’à 70 dollars dans les semaines qui ont suivi son IPO, a ensuite stagné autour des 30 pendant des mois. un niveau autour duquel il navigue encore aujourd’hui.

Signe très parlant, et forcément peu flatteur: après l'annonce du départ de Dick Costolo, et malgré les commentaires élogieux, le titre Twitter s’est envolé de plus de 10% en transactions électroniques, après la clôture de Wall Street.

Un modèle en question

Le principal problème de Twitter, selon la communauté financière, ne serait-il pas en définitive ce qui constitue son succès? En d'autres termes, être un réseau social basé sur l’écrit, une sorte de "Facebook simplifié", très influent dans tout un tas de domaines, avec un fort taux de pénétration, n'empêche-t-il pas Twitter de devenir un média de masse? 

Moins de fonctions, un côté moins "complet" que Facebook, une interopérabilité faible avec d’autres applications: Twitter n’est pas un écosystème. Il a donc moins de ramifications, moins de chances de trouver un modèle rentable, d’élargir la base des twittos ou de les pousser à des usages nouveaux. 

Autre point faible de Twitter: sa clientèle stable, finalement plus captive qu’autre chose, peu réceptive à un changement de modèle ou à des ruptures. Des utilisateurs difficile à convertir en support de business, allergique au marketing et aux outils de publicité.

Snoop Dogg candidat à la présidence !

Après le départ de Dick Costolo, vers quel avenir se dirige Twitter? Les analystes sont extrêmement divisés à ce sujet. Nombre d'entre eux pensent que si le groupe poursuit sur son modèle actuel, les perspectives de croissance, de recettes et de bénéfices vont rester faibles.

Le groupe aurait tout intérêt à jouer une rupture stratégique. Difficile à imaginer, parce qu'encore une fois, il doit veiller à conserver son portefeuille d’utilisateurs. Reste à voir si Twitter, qui annonce un processus de recrutement mondial aidé de chasseurs de tête, trouvera un nouveau directeur général aux idées novatrices, à même de surprendre et d'orienter le réseau social différemment. Quelqu'un de plus crédible que le rappeur Snoop Dogg, qui a fait acte de candidature! 

Google en embuscade ?

Plus sérieusement, un autre scénario agite les investisseurs. Si le modèle même de Twitter le condamne à une croissance faible, mais qu’il faut le conserver pour ne pas faire fuir l’usager, pourquoi ne pas imaginer une offre de rachat par un groupe qui n'a pas besoin d'une machine à cash? Un gros acteur de l’internet au sein duquel le réseau social s'intégrerait facilement, et dont le savoir-faire en matière de monétisation de la pub sur internet permettrait une meilleure monétisation de l'audience. Des mots un peu alambiqués pour dire que le tout Wall Street rêve du scénario d’une reprise de Twitter par Google... Une piste plausible au moins du point de vue pécunier: le géant qui pèse plus de 300 milliards de dollars ne ferait qu'une bouchée du réseau social valorisé une trentaine de milliards.

Antoine Larigaudrie