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Quand la crise des émergents secoue la planète Rugby

Les frères Du Plessis (ici au plaquage contre l'Argentine), superstars des Spingboks, font partie de la dizaine de joueurs Sud-Africains recrutés par le club de rugby de Montpellier cette saison.

Les frères Du Plessis (ici au plaquage contre l'Argentine), superstars des Spingboks, font partie de la dizaine de joueurs Sud-Africains recrutés par le club de rugby de Montpellier cette saison. - Juan Mabromata - AFP

Croissance en panne, monnaies affaiblies, les pays émergents connaissent une vraie phase de faiblesse aux conséquences multiples et souvent singulières. Un exemple frappant, l’exode massif des joueurs de rugby de l’hémisphère Sud vers les championnats européens, notamment en France.

Les supporters et les responsables du club de Montpellier vont devoir se mettre rapidement à l’Afrikaans. Le recrutement de l’équipe du MHR (actuellement deuxième du TOP14) est sans doute le plus prestigieux et le plus massif de l’année. Rien de moins qu’une dizaine de joueurs en provenance d’Afrique du Sud, tous passés par l’équipe nationale, les célèbres et redoutés Springboks, actuellement en compétition pour la Coupe du Monde en Angleterre.

Parmi eux, les frères DuPlessis, Bismarck et Jannie, fers de lance de la mêlée Bok (141 sélections à eux deux). Ou encore François Steyn, arrière de génie sélectionné 53 fois en équipe nationale, déjà passé par le championnat français, où il a officié quelque temps dans le club francilien du Racing.

Un phénomène qui prend de l’ampleur

Les joueurs sud-africains viennent depuis longtemps tester le Top 14, championnat le plus riche et le plus relevé du monde, avec un budget de 283 millions d’euros cette année et des clubs riches en moyenne d’une vingtaine de millions d’euros chacun.

Ces dernières années plusieurs stars du championnat sud-africain sont venues se frotter au Top 14, avec le passage remarqué dans le club de Toulon de Bakkies Botha, légendaire deuxième ligne désormais retraité, 87 sélections chez les Boks, rejoint aussi par Bryan Habana, meilleur marqueur d’essais de l’histoire de la Coupe du Monde de Rugby, qui reste encore aujourd’hui une des pièces maîtresses de l’effectif toulonnais.

Défiance économique sans précédent

Mais le phénomène prend une ampleur jamais vue. Et impossible d’y voir autre chose que des impératifs économiques. Le championnat sud-africain, et le super-championnat des clubs de l’hémisphère sud, le Super 15, est organisé sous la forme de franchises, liées à de grands partenaires commerciaux, leur assurant une vraie stabilité financière et de la visibilité sur le long terme.

Mais ce modèle pourtant réputé et rentable se trouve confronté à une situation totalement imprévue: une panne totale de croissance simultanée de toutes les économies émergentes, ainsi qu’une vague de désinvestissement jamais observée.

L’Afrique du Sud dans la tourmente

En Afrique du Sud par exemple, la croissance encore florissante il y a 5-6 ans, avec une moyenne de 3% par an, est en phase de ralentissement, avec un inquiétant coup de frein ces derniers mois. En 2014, elle n’aura été que d’1,5%, et elle s’affiche même en repli d’1,3% au deuxième trimestre de cette année.

Ralentissement industriel, chute des cours des matières premières, pourtant cruciales pour l’activité du pays, largement exportateur de produits miniers, et inquiétudes quant à la solidité des finances publiques. Résultat, une forte baisse de la monnaie locale, le rand, qui signe l’une des pires performances au monde toutes monnaies confondues face au dollar, à -20%. Or même si les finances des clubs sont plutôt honorables, un problème subsiste : la rémunération des joueurs.

Monnaie forte et gros salaires

lls sont donc tentés pour beaucoup de partir en Europe, et notamment en France, pour être rémunérés en euros, une monnaie forte, qui plus est dans un championnat où les joueurs sont payés en moyenne 2 fois plus qu’en Afrique du Sud, 3 ou 4 pour les plus doués et les superstars, et ce malgré les règles de fair-play financier et de limitation des salaires (Salary Cap).

A titre d’exemple, Gio Aplon, arrière des Springboks fort de 18 sélections, n’a pas hésité à quitter les Stormers, le prestigieux club du Cap, pour poser ses valises au FC Grenoble, promu en Top 14 il y a seulement 3 ans ! Les spécialistes du championnat français estiment qu’il y est payé environ 2 ou 3 fois plus qu’aux Stormers.

Quand l’économie bouscule les règles

Une situation qui commence à rebattre les cartes du monde du rugby. Puisqu’une règle traditionnelle de l’hémisphère sud prévoit que chaque joueur qui part jouer dans un championnat de l’hémisphère nord, renonce de fait à porter les couleurs de son équipe nationale.

Règle désormais caduque, au vu du nombre de joueurs-clé qui partent chaque année tenter leur chance en Europe. Ce qui explique aussi, par exemple, que les équipes du Top 14 ont beaucoup de mal à jouer à leur meilleur niveau en période de grandes compétitions internationales, où leur effectif souffre de l’absence des retenus.

L’Australie et la Nouvelle-Zélande aussi touchées

Bref un casse-tête à gérer de part et d’autres, mais dont la source reste un vrai problème économique. Car si l’Afrique du Sud connaît une situation difficile, cela commence aussi à être le cas du côté de l’Australie ou encore de la Nouvelle-Zélande dans le sillage. Ralentissement économique, dépréciation de la monnaie… les clubs de ces pays vont connaître le même problème dans les années à venir si la situation persiste.

Certains joueurs-vedettes australiens commencent à venir en Europe, après Matt Giteau et Drew Mitchell à Toulon, c’est Will Genia, sans doute le meilleur demi de mêlée du monde qui a signé au Stade Français.

Adapation nécessaire

Et le Racing 92 n’est pas en reste avec la signature de l’ouvreur All Black Dan Carter, qui devient le joueur le mieux payé du monde avec 2 millions d’euros par an, sans compter l’arrivée d’une autre superstar, Ma’a Nonu à Toulon.

On n’est donc sans doute qu’au début d’une nouvelle phase d’internationalisation du rugby, et elle aura encore une fois des raisons proprement économiques, obligeant la sphère sportive à s’adapter et accepter de nouvelles réalités.

Antoine Larigaudrie