BFM Patrimoine
Placements

Quand le marché goûte à nouveau aux dérivés de crédit 

Des voitures Peugeot et Citroën en transit sur le port espagnol de Vigo. PSA scelle le grand retour du financement auto par les produits dérivés.

Des voitures Peugeot et Citroën en transit sur le port espagnol de Vigo. PSA scelle le grand retour du financement auto par les produits dérivés. - Miguel Riopa - AFP

Avec discrétion, Peugeot a signé il y a quelques jours un retour marquant dans le secteur des produits dérivés de crédit. Le marché semble décidemment retrouver un appétit d’ogre pour les actifs à risque, même ceux qui faisaient trembler l’économie mondiale il y a encore quelques années.

Titrisation. Le mot semait la panique sur les marchés il y a encore quelques années puisqu'il s'agit du risque transformé en produits financiers, dont se sont repus sans discernement les banques, hedge funds et autres institutions financières, et qui a fini par les faire exploser en vol. La faillite de la banque Lehman Brothers en 2008 n’est qu’un exemple parmi d’autres.

Au cœur de ce qui a fait trembler la planète financière pendant plusieurs années, ces fameux produits, aux initiales barbares, ABS, MBS, CMBS… des produits financiers issus de créances financières, parfois immobilières, parfois automobiles, assemblées, repackagées et revendues avec la promesse de fameux rendements.

Onde de choc encore sensible

Le problème principal étant que les rendements promis étaient tellement alléchants que les investisseurs en ont oublié les fondamentaux : des créances souvent fragiles, la situation floue de solvabilité des emprunteurs, et une solidité financière de l’actif proprement inquantifiable.

Une bulle a explosé, la toxicité et l’illiquidité de la grande majorité de ces produits a été démontrée, leur valeur s’est effondrée, et certains d’entre eux ont même dû être placé dans des "structures de défaisance", des "Bad Banks" comme on les a surnommé. Certaines existent toujours, pour isoler ces actifs des comptes des banques qui les possédaient, en attendant que le contexte s’améliore un peu et qu’elles puissent enfin s’en débarrasser.

Quand Peugeot relance le marché de la titrisation

La page est désormais tournée et bien tournée. L’opération annoncée par Peugeot il y a quelques jours prouve bien que la pilule est désormais passée, et que les marchés sont prêts de nouveau à investir dans ce genre de produits.

C’est en Espagne que le constructeur a noué, via sa filiale bancaire PSA Banque, un important partenariat avec Santander et CA-CIB en matière de crédit. Le but, transformer les crédits auto de ses clients espagnols en titres financiers, et les vendre. Titrisation, transfert du risque. A l’origine ces produits financiers devaient même être revendus (et repris à coup sûr) à la BCE !

"Créances de qualité"

Mais après une rapide étude de marché, Peugeot s’est rendu compte qu’il y avait à nouveau des investisseurs privés qui étaient prêts à racheter ce type de dérivés de crédit. Pourtant, rien de plus risqué sur le papier… Puisqu’au moins, un produit du même type adossé à des créances immobilières peut éventuellement utiliser la valeur de l’actif immobilier pour être liquidée. La valeur d’une automobile, elle, tombe comme une pierre au fil du temps.

Mais les investisseurs en question n’ont eu aucune hésitation. Les 668 millions d’euros d’ABS sont tous partis, il y avait même de la demande pour un peu plus, le taux de souscription a été d’1,75 fois. Peugeot qui souligne la qualité des créances sur lesquelles sont gagés les produits en question, dotés d’un rendement fixe de 0,6%.

Le marché déraille-t-il dans l'évaluation des risques?

En grossissant le trait, voici la morale de l’histoire : un constructeur automobile, passé à deux doigts de la cessation de paiement il y a quelques années, a mis sur le marché, dans un pays qui sort d’une crise économique sans précédent, des produits financiers qui terrifiaient tout le monde il y a encore peu de temps, indexés sur des crédits auto, secteur qui sort lui aussi d’une crise structurelle. Et tout a trouvé preneur sans problèmes.

Certes, le contexte monétaire mondial fait que les investisseurs cherchent des actifs de plus en plus rémunérateurs, actions, obligations à haut rendement, et désormais de nouveaux dérivés de crédit… phénomène d’ailleurs encouragé par certaines banques centrales, dont la Banque de France, qui conseillent de revenir à la titrisation pour gérer le crédit immobilier.

Mais avec le recul historique, il y a sans doute de très sérieuses questions à se poser sur l’évaluation du facteur risque, dans une conjoncture économique encore relativement instable. Questions que le marché a décidé de ne plus se poser pour le moment. Jusqu'à quand ?

Antoine Larigaudrie