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Geely, ce constructeur automobile chinois qui fait trembler l’Allemagne

Un modèle Geely au dernier salon de Shanghai (Chine) en avril 2017.

Un modèle Geely au dernier salon de Shanghai (Chine) en avril 2017. - STR / AFP

Il y a 10 jours, le PDG du numéro 1 chinois de l’automobile Li Shufu révélait avoir acquis près de 10% du capital de Daimler. Depuis cette date, le gouvernement allemand se mobilise pour éviter de voir leur technologie partir en Chine.

Son nom ne vous dit certainement rien. Pourtant Li Shufu est devenu en un peu plus d’une semaine, l’un des industriels les plus en vue, mais aussi les plus controversés d’Allemagne. Il est vrai qu’en acquérant 9,69 % du capital de Daimler, un des pionniers de l’automobile, le patron du constructeur chinois Geely avait fort peu de chance de passer incognito. Depuis il suscite outre-Rhin au mieux des interrogations, au pire de fortes réticences. Avec cette opération, le milliardaire parti de rien dans les années 80 est en effet devenu le premier actionnaire de Daimler.

La ministre de l'économie allemande se dit très attentive

Grâce à un chèque de 7,3 milliards d’euros, pris sur ses fonds personnels, Li Shufu a fait de Geely le numéro 1 du pack d’actionnaires de Daimler. Le constructeur automobile chinois double ainsi le fonds public koweïtien et ses 6,8% du capital du groupe allemand. Huit ans après avoir racheté le suédois Volvo, en pleine crise économique, Li Shufu a ainsi réussi ce que personne n’avait vu venir. Et surtout pas le gouvernement allemand. En début de semaine, la ministre de l’Économie, Brigitte Zypries, estimait ainsi que le gouvernement devait "rester particulièrement attentif. Si une entreprise concurrente devait rentrer au conseil de surveillance de Daimler, cela pourrait poser problème".

La ministre allemande de l'Économie a par ailleurs suggéré un durcissement des règles pour les investisseurs étrangers en Allemagne après la montée surprise du chinois Geely dans le capital du constructeur Daimler, dans un entretien à l'hebdomadaire Der Spiegel. "Nous devons toujours adapter notre droit en matière d'économie extérieure aux nouvelles évolutions, y compris le seuil à partir duquel (le gouvernement) peut examiner" une prise de participation, a déclaré la sociale-démocrate Brigitte Zypries.

"C'est déroutant", selon Carlos Ghosn

Geely n'a en effet bien loin du petit vendeur de pièces de réfrigérateur de ses débuts. "Beaucoup d’observateurs ont été surpris de voir Geely amasser ainsi discrètement une prise de participation aussi importante, relate une consultante. Et il est encore bien trop tôt pour savoir ce que le constructeur chinois compte en faire".

Même Carlos Ghosn, partenaire en affaire et proche de Dieter Zetsche, le PDG de Daimler, s’interrogeait le vendredi 2 mars sur BFM Business. "Une stratégie un peu étonnante. C'est déroutant", relevait le PDG de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi. "L’objectif de Geely est d’intégrer le Top 10 mondial", résume dans une note le cabinet spécialiste de la data Inovev.

De l'électroménager à la voiture électrique

Geely est né en 1986, mais ne deviendra un constructeur automobile qu’en 1998, à la sortie de sa première voiture. Vingt ans plus tard, Geely est aujourd’hui le 1er constructeur chinois à capitaux privés, un ovni dans le paysage de l’Empire du Milieu, dominé par de grands acteurs publics comme Great Wall, BAIC ou BYD, tous deux alliés stratégiques de Daimler dans le pays. Et un acteur prépondérant: Geely a vendu 805.000 voitures en Chine en 2017.

"Geely a profité d’une gamme de voitures correspondant mieux à la demande de la clientèle chinoise que celle de Changan, trop connotée entrée de gamme, et a bénéficié de l’apport des voitures Volvo qui commencent à se vendre correctement sur le marché chinois, même si Mercedes, BMW et Audi sont encore hors de portée", souligne Inovev.

Devenir premier actionnaire de Daimler marque un nouveau coup de maître de Li Shufu dans cette décennie après le rachat de Volvo en 2010.

"Geely n’a pas de partenaire localement, contrairement aux autres constructeurs chinois, explique Frédéric Fréry, professeur de stratégie à l’ESCP. Ils sont donc dans une logique d’achat, car ils n’ont pas naturellement cet accès aux technologies des constructeurs occidentaux comme les autres groupes chinois. Ils ont de l’argent, alors ils rachètent".

À la recherche de technologie

Tous les observateurs s’accordent: si Geely est devenu le 1er constructeur automobile chinois privé, c’est grâce à l’apport de Volvo, racheté en 2010, tant en termes de qualité que de sécurité. Une fois ce positionnement acquis, Geely passe à l’étape suivante. Pour répondre aux exigences du gouvernement chinois, Volvo ne produira plus que des modèles électrifiés à partir de 2019, et dévoilera la semaine prochaine au salon automobile de Genève (Suisse) la Polestar 1, la première voiture de sa marque dédiée à l’électrique.

"Daimler n’a certes pas la gamme de BMW, ni l’hybride de Volkswagen, mais il a beaucoup d’atout, notamment dans la voiture autonome, poursuit Frédéric Fréry de l'ESCP. Il manquait aussi à Daimler un bloc d’actionnaires solide, il n’y avait pas juqu’à présent de longévité de l’actionnariat, comme avec la famille Quandt chez BMW, ou les Piëch et Porsche chez Volkswagen. Geely a aussi profité de cette faiblesse. Il ne pouvait investir ni chez BMW, ni VW, mais il pourra tout de même s’emparer de la technologie allemande".

Et c'est ce qui inquiète le gouvernement allemand qui étudie de près la prise de participation non sollicitée de Li Shufu. Comme tous les grands milliardaires du pays, Li Shufu est proche du gouvernement chinois. Il siégera d’ailleurs la semaine prochaine à l’Assemblée Nationale Populaire, avec tous les hauts dignitaires du régime. Dieter Zetsche sera lui présent mardi prochain au salon de Genève. Les questions sur son nouveau premier actionnaire ne devraient pas manquer.

A gauche, Li Shufu présente un modèle un de ses modèlesaux premiers ministres chinois et belge Li Keqiang et Charles Michel.
A gauche, Li Shufu présente un modèle un de ses modèlesaux premiers ministres chinois et belge Li Keqiang et Charles Michel. © NICOLAS MAETERLINCK / BELGA / AFP
Pauline Ducamp