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À l'heure du bilan, la libre installation des notaires s'enlise

Depuis janvier 2017, il y a eu 29 nominations pour 30.000 demandes.

Depuis janvier 2017, il y a eu 29 nominations pour 30.000 demandes. - Utr dragon - Wikimedia - CC

Deux ans après l'instauration d'une mesure d'ouverture à la concurrence des notaires par celui qui était alors ministre de l'Économie, Emmanuel Macron, seule une poignée d'entre eux ont pu s'installer en office, très loin des 1650 par an prévus.

Deux ans après la loi qui devait entrouvrir à la concurrence la profession très verrouillée de notaire, les nominations de nouveaux professionnels trainent en longueur, enlisées dans une procédure quelque peu kafkaïenne, au désespoir des jeunes candidats à la création d'offices.

Initiée par l'actuel président de la République alors qu'il était ministre de l'Économie, la loi pour la croissance et l'activité du 6 août 2015, dite "Macron", prévoyait l'installation de 1650 notaires d'ici 2018, contre une poignée par an jusqu'ici. Soit une augmentation du nombre de notaires en France de 20%. Or, près de deux ans plus tard, force est de constater que la réforme avance au ralenti.

Au 3 juillet, 29 nominations ont été publiées au Journal officiel et seuls trois nouveaux offices ont démarré leur activité, à Epernay (Marne), Cosne-sur-Loire (Nièvre) et Montargis (Loiret), indique à l'AFP le Conseil supérieur du notariat (CSN). Et, ce, en raison d'une très complexe procédure de tirage au sort, menée par le ministère de la Justice, lequel dit avoir nommé des notaires créant 68 offices dans 26 zones - la publication étant parfois longue à venir.

30.000 demandes tirées au sort au compte-gouttes

Pour les 1002 offices à créer au total, dans les 247 zones d'installation libre définies par l'Autorité de la concurrence, quelque 7000 notaires ont déposé près de 30.000 demandes. Enregistrées en 24 heures, celles-ci sont, depuis cinq mois tirées au sort au compte-gouttes, à la main, et font l'objet de longues vérifications. Avant même le tirage au sort, le contrôle de la recevabilité des demandes prend "deux à trois mois", indique le ministère de la Justice, puis une enquête d'honorabilité dure deux mois supplémentaires.

En outre, les nominations étant faites selon l'ordre du tirage au sort, un seul dossier n'ayant pas abouti bloque toutes les nominations d'une même zone. Or, ce n'est qu'une fois nommés que "les jeunes professionnels se mettent en recherche d'un financement et d'un local, ce qui peut prendre un peu de temps", affirme Didier Coiffard, le président du CSN. "Mais, à partir de juillet, on sera sur un rythme de 150 à 200 nominations par mois: la fin d'instruction des dossiers permettra à la Chancellerie de les publier", assure-t-il. "C'est quand même une sacrée usine à gaz".

"Manque de considération pour les nouveaux notaires"

Pour Jean-Charles Persico, porte-parole de l'association LIDN (Liberté d'installation des diplômés notaires), "ces délais interminables marquent le manque de considération de l'administration et des instances professionnelles pour les nouveaux notaires". Selon le ministère, le processus prendra fin en novembre.

Accusé à tort, "par la presse, de bloquer les nominations, ce qui est totalement faux", s'insurge Didier Coiffard, le CSN "n'a pas le choix, il doit accompagner ce mouvement de créations". "C'est l'intérêt de la profession et des Français, que tout se passe bien: il faut assurer correctement le service public de la sécurité juridique", poursuit-il. Chaque jeune nommé reçoit ainsi un "mot de bienvenue" et un "kit d'accueil", certaines chambres notariales leur proposent un "séminaire d'accueil" et parfois un tutorat.

"L'objectif de la loi a été détourné"

Le CSN a pourtant farouchement combattu la réforme, par crainte d'une trop forte concurrence pour les notaires en place: son recours devant le Conseil d'État est toujours en cours. Et ses réticences n'ont pas disparu: Didier Coiffard plaide pour une "évaluation de l'impact des installations" dans "18 mois à deux ans", avant la 2e vague de créations d'offices, prévue par la loi. Car, fait-il valoir, "il ne s'agit pas d'aller perturber gravement un service notarial qui fonctionne".

Dans le Var, Sylvie attend depuis 8 mois son tirage au sort, après avoir démissionné il y a un an de l'étude qui l'employait. "Toute ma vie personnelle est en suspens", dit-elle. "Et les notaires installés ont été autorisés à candidater" rappelle-t-elle, "c'est scandaleux, l'objectif de la loi a été détourné". "Si je ne suis pas tirée au sort, je sors du notariat, je fais autre chose", conclut Sylvie, écoeurée.

N.G. avec AFP