BFM Business
Emploi

Les banques françaises emploient-elles trop de cadres ?

-

- - Shutterstock.com

Ces dernières années, les bac+5 ont représenté plus d’un tiers des embauches bancaires, contre moins de 10% pour les profils n’atteignant pas le profil bac+2.

Au sein des banques françaises, les cadres représentaient en moyenne un tiers des effectifs il y a dix ans. Ils en forment plus de la moitié aujourd’hui. Et les établissements qui en comptent 60% et plus ne sont pas rares. En France, les cadres ne représentent pourtant pas 20% de la population active. Comment expliquer qu’ils soient si nombreux dans les banques ? Et quelles conséquences ce phénomène peut-il entraîner ?

« La banque sera la sidérurgie de demain ! ». Cette célèbre et sombre prédiction, lancée dès les années 80 et qui pointait les importantes embauches dans la banque de détail intervenues au cours des deux décennies précédentes, ne s’est jamais réalisée. Elle n’a pas disparue néanmoins tant, dès que l’on parle des banques, le catastrophisme plait. Certains nous annoncent ainsi pour demain, avec la disparition des agences, les hécatombes depuis longtemps attendues.

Cette prédiction n’a jamais vraiment inquiété les banques cependant. Pour une raison simple : leurs pyramides des âges. Les recrues d’hier sont les retraités de demain. Et s’il est vrai que les réseaux d’agences ne peuvent que se restreindre, tandis que la digitalisation diminue les besoins en personnels, les départs en retraite devraient permettre d’ajuster les effectifs sans « casse » sociale. Les banques françaises ont d’ailleurs commencé à le faire depuis dix ans. Et avec 40% d’effectifs ayant plus de 45 ans, elles disposent encore de larges réserves d’ajustement.

Il y a pourtant un problème ! Depuis dix ans, les effectifs moyens de la banque de détail en France ont dans l’ensemble baissé de 5% (certaines enseignes sont bien au-dessus de ce chiffre). Pourtant, les charges salariales ont augmenté en moyenne de… 14,6% (par comparaison, le salaire réel moyen en France n’a augmenté que de 6% sur la même période). Cela tient en large partie au nombre de personnels qu’emploient les banques qui ont le statut de cadre. Ces dernières années, les bac+5 ont représenté plus d’un tiers des embauches bancaires, contre moins de 10% pour les profils n’atteignant pas le profil bac+2.

Pour rendre compte de cette situation, certains chiffres ne peuvent manquer de retenir l’attention. En 2013, le montant moyen d’un prêt immobilier pour les primo-accédants était de 130 000 €. En 2017, il atteignait 169 000 €. Or, les crédits à l’habitat représentent en moyenne de 50% à 60% des encours des banques de détail. Par ailleurs, les primo-accédants constituent le cœur de cible de ces dernières, puisque c’est à l’occasion de la souscription d’un premier crédit immobilier qu’elles gagnent leurs meilleurs clients. Il semble donc que les banques ont eu tendance à hisser leurs forces de vente au même niveau que celui dont disposent ceux qui, après dix ans d’un renchérissement continu des prix immobiliers, peuvent encore le plus facilement accéder au crédit hypothécaire. En 2007, les cadres et professions libérales représentaient 16% des primo-accédants, contre 24% en 2014. Et ce pourcentage ne cesse d’augmenter. En réponse, les chargés de clientèle des banques françaises sont, de loin, les plus diplômés d’Europe.

Bien entendu, les prix immobiliers ne suffisent pas seuls à expliquer ce phénomène. Ils contribuent néanmoins à une véritable gentryfication de la clientèle des banques et de leurs personnels. Or c’est un problème.

Sur le terrain, en effet, cette évolution se traduit d’abord par différentes frictions. On prend pour cible privilégiée une population qui est la plus encline à juger insuffisante la compétence des chargés de clientèle qu’on lui propose. Tandis que des profils de cadres sont eux-mêmes beaucoup plus exigeants. Dans les banques, les démissions occasionnent en moyenne désormais plus de départs que les retraites. Dans certains réseaux, le turnover dépasse un tiers des chargés de clientèle, tirant les salaires à la hausse.

Car, bien entendu, tout cela coûte cher. En France, le salaire moyen des cadres représente près du double du salaire moyen global. Et, selon l’Apec, la rémunération annuelle brute des cadres bancaires atteignait en moyenne 59 000 €, contre 52 000 € pour l’ensemble des cadres dans les activités de service en 2016. Ainsi, alors que l’automatisation et la digitalisation devraient réduire les charges d’exploitation, les banques voient dans le même temps leurs effectifs baisser et leur masse salariale augmenter. Dès lors, tandis que le produit net bancaire stagne depuis dix ans, les coefficients d’exploitation se dégradent (le coefficient moyen est passé de 68,4% à 72,7% en dix ans) et, dans l’ensemble, le ROE des banques françaises a été divisé par deux depuis 2005.

Toute la question est donc de savoir si la barre placée de plus en plus haut en matière de recrutements se traduira par la mise en valeur d’offres et de compétences nouvelles. Ou bien, si elle ne correspond qu’à un repli sur un cœur de cible de plus en plus exigeant. Le risque serait alors, pour les banques, de se focaliser sur des offres certes de qualité mais à la clientèle limitée et aux coûts élevés, tout en étant « challengées » par de nouveaux acteurs. Un peu comme cela s’est passé pour la sidérurgie…

Guillaume ALMERAS