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Moi, Emmanuel Ledieu, citoyen français et policier allemand

Emmanuel Ledieu, 28 ans, a profité voici 10 ans de l'ouverture des rangs de la police  à tous les citoyens européens.

Emmanuel Ledieu, 28 ans, a profité voici 10 ans de l'ouverture des rangs de la police à tous les citoyens européens. - Berlin Polizei

Menace terroriste oblige, en Allemagne, la police renforce ses effectifs. Et, à la différence de ses voisins, elle peut recruter des non-Allemands. Tout citoyen européen peut devenir policier. Portrait de l'un d'entre eux, un Breton attaché à sa nationalité française mais fier d'être CRS à Berlin.

Le 23 avril prochain, Emmanuel Ledieu ira voter. Comme encore beaucoup de Français, il ne sait pas encore pour qui. Mais il a déjà exclu un certain nombre de noms. Pas question pour lui d’accorder son suffrage à un candidat favorable à la sortie de la France de l’Union européenne. En cas de Frexit, il se retrouverait sans emploi ou contraint de changer de nationalité. Car Emmanuel Ledieu fait partie de ces citoyens européens engagés dans les rangs de la police allemande.

Berlinois de naissance, Breton d’origine, il a été recruté voici bientôt 10 ans par la police de Berlin. Il est donc, à ce titre, fonctionnaire à vie. À condition de toujours répondre à l’une des exigences de son employeur: être un ressortissant de l’Union européenne. Son employeur, c’est la ville-État de Berlin, l’une des trois métropoles allemandes à avoir le statut de Land et donc à disposer de sa propre police. La capitale allemande emploie ainsi 16.500 fonctionnaires disposant de pouvoirs identiques à ceux de la police fédérale.

Parmi les 300.000 policiers recensés en Allemagne, Emmanuel Ledieu n’est pas le seul Européen non-allemand. Ils sont une cinquantaine au sein de la police fédérale sur un effectif légèrement supérieur à 33.000. Les compatriotes d’Emmanuel Ledieu ne sont néanmoins pas légion. "Mes collègues me surnomment le Français" glisse-t-il en souriant.

"Je pensais que c’était possible en France"

Emmanuel Ledieu est entré dans la police un peu par hasard. Il avait 18 ans. Ses parents, Berlinois d’adoption -sa mère travaillait pour l’ambassade, son père pour les forces françaises- rentraient à Paris. Lui voulait rester dans sa ville natale. "J’aimais Berlin et je l’aime toujours" insiste-t-il. Pressé de travailler, il découvre sur un prospectus que la police recrute des Allemands mais aussi des citoyens européens (voir encadré ci-dessous). "Au début cela ne m’a pas vraiment surpris. Je pensais que c’était aussi possible en France. Mais, plus tard, en discutant avec des amis je me suis rendu compte que cela n’était pas du tout le cas".

L’examen permettant d’intégrer l’académie de police est assez simple pour qui maîtrise la langue allemande. La profession est ouverte à tout titulaire de l’équivalent allemand du BEPC. Emmanuel Ledieu, qui a fait ses études au lycée français de Berlin, est bachelier. Il passe sans problème l’examen. "Après deux ans et demi de formation rémunérée, j’ai été affecté à l’équivalent d’une compagnie de CRS" explique-t-il.

Dix ans après avoir intégré la police, Emmanuel Ledieu a grimpé les échelons. Son grade actuel équivaut, en France, à celui de brigadier-chef ou de major. Il est le responsable médical de la compagnie. "Match de foot ou manif du 1er mai, quand on est CRS, on fait un peu de tout à Berlin. Nous sommes aussi chargés de faire les contrôles de vitesse sur la voie publique" note-t-il. Mais il ne s’en plaint pas. Sa paie lui permet de vivre correctement dans une capitale où le coût de la vie est nettement inférieur à celui de Paris. Une fois ses impôts et sa mutuelle payés, ce célibataire sans enfant dispose d’un peu plus de 2.000 euros par mois. Et une fois à la retraite –à laquelle ses aînés ont droit à leurs 62 ans- ses revenus équivaudront à 75% de son salaire de fin de carrière.

Il invite d'autres Français à faire comme lui

Par curiosité, Emmanuel Ledieu s’est renseigné sur les conditions de travail de ses collègues français. Côté salaire, il est moins bien loti avec une paie inférieure de 10% à ancienneté équivalente. Mais Berlin est réputée payer moins bien ses policiers que l’État fédéral ou d’autres Länder. De plus, s’il porte son uniforme et son arme, il peut voyager gratuitement dans tous les transports en commun, y compris les ICE, l’équivalent allemand des TGV. Il a également le droit à six semaines de congés payés. "Nous avons aussi un équivalent de RTT puisque nos heures sup peuvent être transformées en jours de repos complémentaires" insiste-t-il.

Emmanuel Ledieu conseille-t-il aux Français de marcher sur ses traces? "Entrer dans la police de la Sarre, cela peut être intéressant pour un frontalier. On peut même rentrer chez soi le soir. Mais il faut avoir un bon niveau d’allemand" répond-il. L’image de la police est également meilleure outre-Rhin. "J’étais un peu étonné de voir les standing ovations pour les CRS après les attentats et que deux jours après, ils reprenaient des caillasses. En Allemagne, c’est ni l’un ni l’autre".

Quant aux opportunités, elles ne font que croître. Confrontés au risque terroriste, les différents services de police allemands ont globalement revu à la hausse leurs recrutements. Rien que pour la police fédérale, le nombre de postes à pourvoir sur l’année est passé de 2350 en 2016 à 2700 cette année. Et la police de Berlin a programmé pour cette année 1314 embauches, soit une hausse de 24,5%. Un niveau intensif de recrutement appelé à se poursuivre en 2018 où d’ores et déjà 1224 recrutements sont planifiés. Au point que les citoyens européens vivant dans la capitale sont clairement incités par les autorités locales à s’engager dans la police. Emmanuel Ledieu ne sera peut-être plus demain le seul policier berlinois à être tiraillé si, d’aventure, le Herta Berlin affronte le Stade Rennais à l’Olympiastadium. 

L'exception allemande

"Les États membres de l'Union européenne sont autorisés à réserver certains emplois de la fonction publique à leurs ressortissants". Voilà ce qu’on peut lire dans les textes européens régissant la libre-circulation des personnes au sein de l’UE. Ainsi, en France, depuis 2003, tout citoyen de l’Union européenne peut intégrer la fonction publique française à l’exception de l’armée, de la police, de la magistrature, de la diplomatie et de l’administration fiscale. Ce principe qui exclut les non-nationaux des fonctions régaliennes prévaut dans la grande majorité des États membres de l’UE. C’est le cas chez nos voisins, en Belgique et même au Luxembourg, où les étrangers représentent 47% de la population.

Au niveau fédéral, la police allemande a ouvert ses rangs à tous les ressortissants européens à partir de 1993. Mais elle fait quasiment cavalier seul avec, pour un temps désormais limité, le Royaume-Uni où les citoyens du Commonwealth sont eux aussi autorisés à postuler. Outre-Rhin, les policiers ne portent aucun insigne aux couleurs nationales sur leur uniforme. Et il leur est uniquement demandé de s’engager à respecter les règles constitutionnelles du Land dans lequel ils exercent. À noter que la Bavière fait bande à part. Pour entrer dans sa police, il faut impérativement être Allemand.

Pierre Kupferman
https://twitter.com/PierreKupferman Pierre Kupferman Rédacteur en chef BFM Éco