BFM Business
Emploi

Plafonner les indemnités prud'homales: une autorisation de "licencier sans motif"?

Conseil des prud'hommes de Paris en 2006.

Conseil des prud'hommes de Paris en 2006. - François Guillot - AFP

Les syndicats et avocats dénoncent le plafonnement des indemnités prud'homales pour licenciements abusifs. Ce dispositif figurera pourtant dans la loi El Khomri qui sera présentée en conseil des ministres le 9 mars.

Le plafonnement des indemnités prud'homales pour licenciements abusifs est au cœur des débats. Défendu par le gouvernement et le patronat au nom de l'emploi, il est vu par syndicats et avocats comme une entaille aux droits des salariés, voire une autorisation de "licencier sans motif". Ce plafonnement, retoqué une première fois par le Conseil constitutionnel dans le cadre de la loi Macron votée à l'été 2015, doit revenir via la loi de la ministre du Travail, Myriam El Khomri. Elle sera présentée en conseil des ministres le 9 mars.

La ministre avait précisé début janvier que sa version pourrait prendre en compte "l'âge et l'ancienneté". Selon le Parisien publié mercredi, seul le critère de l'ancienneté serait retenu, avec un plafond de 15 mois de salaire pour au moins 20 ans d'ancienneté, une information non confirmée par le ministère. La version El Khomri "sera bien pire pour les salariés que celle de Macron", basée sur l'ancienneté du salarié et la taille de l'entreprise, s'inquiète un secrétaire confédéral CFDT en charge du dossier. Elle risque de "limiter les recours aux salariés ayant des anciennetés longues", selon Me Thomas Roussineau, spécialisé dans le droit du travail.

Les indemnités proportionnelles à l'ancienneté

Actuellement, les indemnités sont fixées librement en fonction du préjudice subi, mais aussi de l'âge, l'ancienneté, la taille de l'entreprise, les difficultés éprouvées à trouver un emploi. Seule contrainte, un salarié de plus de deux ans d'expérience dans une société de plus de dix salariés doit percevoir une indemnité d'au moins six mois de salaire. Traditionnellement, les indemnités sont proportionnelles à l'ancienneté: par exemple, 12 ans d'ancienneté équivalent à environ 12 mois de salaires, 30 années à 30 mois, selon les avocats. L'indemnité maximale prévue par la loi Macron pouvait aller jusqu'à 27 mois (salariés de plus de 10 ans d'ancienneté dans une entreprise de plus de 300 salariés). Le minimum était fixé à 3 mois (salarié avec moins de deux ans d'ancienneté dans une entreprise de moins de 20 salariés).

Mais le critère de la taille de l'entreprise a été invalidé, le conseil constitutionnel considérant qu'il n'avait aucun lien avec le préjudice subi, rendant caduc tout le dispositif. Avec le futur dispositif, "si les plafonds d'indemnités sont trop bas, les syndicats vont s'opposer", menace la source CFDT. Le patronat, qui considère le montant des dommages et intérêts comme un frein à l'emploi, a d'ores et déjà avancé ses pions. Le patron du Medef, Pierre Gattaz, suggère un plafond de 6 à 10 mois de salaire, toutes entreprises confondues, car c'est "un niveau acceptable pour les TPE et les PME". L'argument de l'emploi est entendu par le gouvernement, qui compte, avec le plafonnement, permettre aux chefs d'entreprises d'avoir une meilleure "visibilité" dans un contexte de chômage record.

"Encourager les comportements abusifs"

Des voix se sont élevées dès l'été 2015 contre le plafond. Il "est de nature à encourager les comportements abusifs, en délivrant aux employeurs peu scrupuleux une forme d'autorisation de licencier sans motif", ont estimé une centaine de chercheurs (économistes sociologues, juristes) dans une tribune publiée par Le Monde. Et "dire que l'abaissement du coût du licenciement abusif encouragerait l'embauche et réduirait le chômage est tout simplement faux" car le chômage "s'explique essentiellement par le manque d'activité économique", selon eux. Pour Didier Porte, secrétaire confédéral chargé du dossier à FO, la création d'un barème répond à la "tactique patronale d'évitement du juge" et consisterait à "réduire les droits des salariés". "Le plafonnement enlève l'autonomie de jugement du juge, sa marge d'appréciation", or "chaque dossier est individuel". FO réfléchit déjà à une "réponse juridique", notamment une plainte à la Cour de justice européenne.

De son côté, le syndicat des avocats de France souligne que ce plafonnement intervient alors que l'État "ne fait rien" pour réduire les délais "déraisonnables" aux prud'hommes. Près de 300 salariés poursuivent l'État pour "déni de justice" à cause de ces délais, certains ayant dû patienter cinq ans avant de voir une décision rendue. Un décret d'application de la réforme de la procédure prud'homale, censée réduire ces délais entre autres et dont la publication était prévue pour fin 2015, est toujours attendu. En cours d'examen en Conseil d'État, il sera publié "prochainement", promet Myriam El Khomri.

D. L. avec AFP