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Energie

Nucléaire: un enjeu d'indépendance européenne

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- - Charly Triballeau/AFP

Le futur ministre de l’environnement doit prendre des décisions rapides sur le nucléaire, l’indépendance énergétique de l’Europe en dépend.

EDF ne devrait pas perdre un instant : dès que son nom sera connu, au début de la semaine, le nouveau ministre de l’énergie trouvera sur son bureau le dossier nucléaire, il est estampillé « urgent ». Les décisions doivent être prises dans les prochaines semaines parce qu’au-delà, les retards pris deviendraient irrémédiables. Même en prolongeant la durée de vie des centrales, EDF devra commercer à fermer massivement ses réacteurs en 2029-2030. Or il faut 10 ans entre le lancement des premières études et le raccordement au réseau pour construire un nouveau réacteur, les derniers mois de 2018 sont donc décisifs.

Effet de série

Pour presser le pas, EDF met en avant la question cruciale des compétences. La filière ne veut pas retrouver une situation comparable à celle des années 90, quand l’arrêt total de tous les projets a fait partir les professionnels les plus compétents et purement et simplement disparaître un certain nombre de compétences. Là encore le temps tourne, Flamanville se termine, les équipes d’EDF enchaîneront sur Hinkley point en Grande Bretagne pour au moins deux réacteurs, avec une fin de chantier prévue sur 2025, exactement quand commenceront les chantiers français si le feu vert est donné dans les prochains mois.

« L’effet de série est très important » ajoute Matthieu Courtecuisse le président fondateur du cabinet Sia Partners, « si l’on veut faire baisser les coûts de l’électricité nucléaire et maintenir sa compétitivité, il est fondamental d’enchaîner les chantiers ». Les décisions sur l’énergie sont toujours très complexes à prendre car elles n’ont d’effet que dans le temps long: « prendre une décision sur le nucléaire maintenant, c’est faire le pari qu’il n’y aura pas de rupture technologique décisive dans les 20 ans qui viennent » précise Matthieu Courtecuisse, « or c’est un pari que l’on peut raisonnablement tenter ».

D’abord parce que les efforts de recherche des grands énergéticiens sont assez réduits, leurs budgets (rapporté au chiffre d’affaire) sont trois fois moins importants que ceux de l’industrie automobile, par exemple. Surtout parce que les solutions qui pourraient émerger seront par nature incomplètes et que c’est notre indépendance énergétique qui serait alors menacée, dans un monde où les tensions géopolitique sont en train de se faire de plus en plus vives

Enjeux géopolitiques majeurs

« On ne peut plus rien attendre de l’éolien » dit Mathieu Courtecuisse, « même l’éolien en mer, il serait irresponsable de monter là-dessus une filière industrielle, les coûts semblent condamnés à rester beaucoup trop élevés. Les vraies ruptures viennent du solaire, mais en l’absence de solutions de stockage durable, le solaire doit être couplé à des centrales thermiques traditionnelles. On refuse évidemment de brûler à nouveau du charbon, on va donc se tourner vers le gaz, et là il faut être clair, cela veut dire devenir otage des équilibres stratégiques entre Russes et Américains ».

En ce moment Donald Trump met une pression considérable dans l’ensemble des négociations commerciales qu’il mène avec les européens pour les forcer à acheter le gaz de schistes américain. Les Allemands ne veulent pas en entendre parler, préfèrent poursuivre leur relation étroite avec les russes, « mais à quel prix politique ? » demande un expert, qui précise que les tensions actuelles, par exemple, entre la Turquie et les Etats-Unis viennent aussi de ce qu’Ankara continue à acheter du gaz iranien et ne veut visiblement pas y renoncer. A l’inverse, les sources d’approvisionnement d’uranium sont nombreuses, et sans parler des mines de l’ex-Areva au Niger, le Canada ou l’Australie, qui peuvent être des fournisseurs, sont depuis des décennies les régimes politiques les plus stables et les moins belliqueux de la planète.

Une ambition européenne

« Dans l’ensemble européen, le pôle nucléaire français apparaît comme un pôle de stabilité » ajoute Mathieu Courtecuisse, « les choix du gouvernement ou du président de la République dans les prochaines semaines engagent l’Europe entière, mais pour le savoir encore faudrait-il avoir un ministre de l’environnement qui accepte de se déplacer dans les réunions à Bruxelles, Nicolas Hulot s’y refusait ostensiblement. Plus simplement d’ailleurs, un ministre parlant anglais ce ne serait pas mal, mais les dégâts dans ce ministère sont considérables, plus aucune personne de qualité ne veut y travailler ».

Par sa décision unilatérale de stopper le nucléaire en Allemagne, Angela Merkel a considérablement fragilisé l’Europe de l’énergie. L’Allemagne brûle aujourd’hui du charbon et du gaz russe mais devra forcément renforcer ses solutions alternatives, dans ce cadre-là une stratégie franco-allemande serait évidemment très intéressante, même si elle semble aujourd’hui relever du vœu pieu.

Stéphane SOUMIER