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4ème opérateur mobile: le gendarme des télécoms désavoué

Le contrat d'itinérance de Free était contesté

Le contrat d'itinérance de Free était contesté - Eric Piermont AFP

L'Arcep a été condamnée par le Conseil d'Etat pour s'être refusée à intervenir dans le contrat d'itinérance passé entre Free et Orange.

Mise à jour: le Conseil d'Etat, dans une décision rendue vendredi 9 octobre disponible ci-dessous, a jugé que l'Arcep n'aurait pas dû se déclarer incompétente mais aurait dû répondre à Bouygues Telecom, et l'a condamnée à payer 3.000 euros d'amende. Mais la haute juridiction a rejeté toutes les autres demandes du plaignant, Bouygues Telecom. Notamment elle ne fixe aucun calendrier et n'ordonne pas à l'Arcep de "définir sous trois mois les modalités d'extinction de l'itinérance", comme l'espérait Bouygues Telecom. 

L'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) n'aurait pas dû éconduire Bouygues Telecom. C'est en tout cas l'opinion de Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public du Conseil d'Etat. La haute juridiction, qui va trancher la question d'ici quelques semaines, suit dans la plupart des cas l'avis du rapporteur public, et pourrait donc condamner le gendarme des télécoms. 

Objet du litige: la possibilité pour Free de louer le réseau d'Orange dans les zones que le quatrième opérateur mobile ne couvre pas encore -ce qu'on appelle l'itinérance dans le jargon du secteur. Ce contrat, conclu en 2011, expire en 2018.

Renvoyer la balle

En mars 2013, l'Autorité de la concurrence avait estimé que cette itinérance devait s'arrêter entre 2016 et 2018, et en tout cas ne pas être prolongée. Mais le gendarme de la concurrence avait rendu un avis purement consultatif, et renvoyé la balle à l'Arcep pour mettre en pratique cet avis. 

Mais le gendarme des télécoms -alors présidé par l'inflexible Jean-Ludovic Silicani- s'est refusé à agir, avançant un motif juridique. Il estimait n'avoir aucune base légale pour intervenir dans un contrat de droit privé conclu entre deux sociétés privées, à savoir Free et Orange. 

Martin Bouygues dézingue l'Arcep

Cette inaction a rendu furieux les deux concurrents, c'est-à-dire SFR et Bouygues Telecom. Martin Bouygues, premier actionnaire du 3ème opérateur, vitupérait ainsi en 2014 devant les députés: "le gouvernement a interrogé l’Autorité de la concurrence il y a bientôt deux ans. Que s’est-il passé depuis? Rien. Cet avis est resté lettre morte. Nous avons écrit à plusieurs reprises à l'Arcep pour l’interroger sur ses intentions. Savez-vous ce que fait l’Arcep lorsqu’une entreprise lui écrit pour connaître sa position sur un sujet aussi central que l’organisation du marché? Non seulement l'Arcep ne fait rien, mais elle ne répond même pas au courrier. Pas le moindre mot. Le silence total. Ce n’est pas acceptable! Il a fallu que nous déposions un recours pour recevoir enfin une réponse –et quelle réponse! L’Arcep se déclare incompétente sur l’itinérance et nous renvoie à l’Autorité de concurrence. On se moque du monde!"

Furieux, Bouygues Telecom a donc déposé mi-2014 devant le Conseil d'Etat une série de recours contre l'Arcep. Ce sont ces recours qui seront prochainement jugés. Mais l'affaire se présente mal pour l'Arcep. En effet, lundi 21 septembre, le rapporteur public Béatrice Bourgeois-Machureau a recommandé de donner raison à la filiale de Bouygues sur certains points.

Certes, le rapporteur public a admis que l'accord d'itinérance entre Free et Orange était bien un contrat de droit privé, protégé par les principes de la liberté du commerce et de l'industrie, et donc que l'Arcep ne pouvait le modifier ou y mettre fin.

Tort d'être incompétent

Mais le rapporteur public a estimé que l'Arcep possédait d'autres moyens d'agir, en utilisant ses pouvoirs de régulation générale. Bref, que l'Arcep avait eu tort de se déclarer totalement incompétente à agir.

Reste que Bouygues Telecom pourrait bien remporter une victoire à la Pyrrhus, ayant peu de conséquences pratiques. En effet, la toute récente loi Macron donne désormais à l'Arcep le pouvoir d'intervenir dans les contrats d'itinérance s'ils posent problème. Suite à cela, l'Arcep a donc mis en place un groupe de travail pour se pencher sur le contrat d'itinérance entre Free et Orange, mais aussi sur l'accord de partage de réseau entre SFR et Bouygues Telecom. Le régulateur promet d'aboutir à des décisions début 2016.

Décisions début 2016

Le rapporteur public, se basant sur la loi Macron, a donc estimé inutile de forcer l'Arcep à "définir sous trois mois les modalités d'extinction de l'itinérance", comme le réclamait Bouygues. 

A noter que Bouygues Telecom contestait aussi devant les juges du Palais Royal la méthode utilisée par l'Arcep pour vérifier que Free remplissait bien ses engagements de couverture. Mais le rapporteur public n'a pas trouvé de fondement juridique pour condamner l'Arcep.

Interrogé, Free s'est refusé à tout commentaire, tandis Bouygues Telecom n'a pas répondu, et que l'Arcep déclarait: "ce contentieux concerne le passé, et l'Arcep est désormais au travail pour préparer avenir"

Jamal Henni