BFM Business
Culture loisirs

A 57 millions, le Petit Prince peut-il être un dessin animé rentable?

Un film qui a mis dix ans à naître

Un film qui a mis dix ans à naître - Paramount

Entretien avec Dimitri Rassam, producteur de ce dessin animé qui sort en salles mercredi 29 juillet. C'est le film français le plus cher de l'année.

BFM Business: pourquoi vous êtes vous lancé dans l'adaptation du roman de Saint Exupéry?

Dimitri Rassam: mon associé Aton Soumache et moi-même avions été approchés il y a dix ans par des gens qui tentaient de monter une adaptation, mais butaient sur la complexité des droits. Nous avons attrapé le virus à notre tour. Le déclic a été la rencontre avec Mark Osborne, le réalisateur de Kung Fu Panda, qui a une passion sincère pour le projet. Au final, la prospection des financements a duré cinq ans, le bouclage du financement un an, la fabrication trois ans, et la sortie un an.

Un tel délai -10 ans, tout de même- n'est-il pas très long? 
C'est ce qu'on peut penser a priori, mais en réalité c'est normal, vu le budget à réunir.

Comment le budget de 57 millions d'euros a-t-il été réuni? 

Le film a été vendu avant sa sortie à des distributeurs dans le monde entier. Cela s'est fait en plusieurs étapes. Warner a par exemple avancé 9 millions d'euros pour sortir le film en Allemagne et au Japon. Dans le reste du monde, les droits ont été prévendus à Orange et Wild Bunch, qui ont avancé respectivement 10 et 3,3 millions d'euros, puis ont recoupé cet investissement lorsque nous avons trouvé des distributeurs dans tous ces pays.

En France, le film a aussi été prévendu à Canal Plus et M6, qui ont apporté respectivement 1 et 2 millions d'euros. Un fonds a aussi apporté 2 millions d'euros en capital.

Quant à ma société, elle n'a réalisé aucune marge sur ce projet. Les frais généraux engagés, le salaire du producteur..., soit 4 millions d'euros au total, ont été intégralement mis en participation, c'est-à-dire convertis en droits sur le film. 

Enfin, et non des moindres, nous avons bénéficié d'importants crédit d'impôts (18 millions d'euros) du Canada. En effet, une grande partie de la fabrication a eu lieu au Québec, ce qui nous a permis de toucher le crédit d'impôt canadien, mais nous a fait perdre le crédit d'impôt français. Toutefois, ce n'est pas une co-production canadienne, c'est bel et bien une production française, produite depuis la France. Mark Osborne s'est installé ici trois ans...

Arriverez-vous à rentabiliser un tel budget?

Des films comme le Prénom ou Papa ou maman peuvent très bien être amortis sur le seul marché français. Mais c'est impossible pour Le Petit Prince, vu son budget. D'où notre volonté de concevoir le film dès le départ pour le marché mondial. Dans les 57 millions d'euros de budget, 90% sont venus de l'étranger, et la France n'a apporté que 6 millions -soit à peu près son poids dans le marché mondial. Dès lors, le projet devient tout de suite très raisonnable. Sur le seul marché français, notre point mort est même plus bas que pour un film français au budget moyen.

Quelle est la stratégie de sortie en salles?

Les dates de sortie ont été adaptées en fonction des marchés locaux. Le film sort d'abord en France le 29 juillet, puis à l'automne dans la plupart des pays, notamment en toute fin d'année aux Etats-Unis.

Dans l'Hexagone, le film sort sur plus de 650 copies, et c'est la plus grosse sortie de l'année pour Paramount, avec des frais de sortie de 3 millions d'euros. Au Japon, Warner va dépenser 14 millions de dollars en promotion pour une sortie prévue fin novembre.

Quel est votre prochain film d'animation? 

Playmobil. Le film rentre en fabrication pour une sortie fin 2018 ou début 2019. Le budget est de 75 millions de dollars a été bouclé, notamment grâce à Pathé et Wild Bunch. Précisons que ces chiffres ne concernent que le premier Playmobil, car nous voulons créer une franchise et en produire plusieurs...

L'équipe sera en grande partie la même que Le Petit Prince. Et nous allons capitaliser sur l'expérience acquise en merchandising, en distribution en salles... Mais, après Le Petit Prince, la question de savoir si nous pouvons produire un projet de cette ampleur ne se pose plus. Dans l'animation, une politique de long terme est indispensable, car cela coûte très cher, et la barrière à l'entrée est donc très élevée.

Et vos projets hors animation?

Nous allons tourner début 2016 une suite à Papa ou maman. Nous développons aussi un projet sur Saint Exupéry d'un budget de près de 80 millions de dollars qui sera tourné en 2016.

Au total, nous visons un volume de production de 100 millions d'euros par an, avec trois à quatre films, et autant de séries d'animation pour la télévision.

Allez-vous déménager à Hollywood?

Je ne quitte absolument pas la France. Je suis très fier des films franco-français que j'ai produits comme Le Prénom ou Papa ou maman, et nous allons même en produire plus qu'avant.

Mais je vais en effet passer plus de temps à Hollywood. Car notre destin se construit à l'international, qui représente déjà 80% de notre activité. Et l'international, c'est notamment Hollywood. Et nos concurrents sont des mastodontes hollywoodiens. Je veux me mesurer à eux. Je ne veux pas m'interdire d'être dans cette catégorie là. Dit autrement, l'élite du basket, c'est quand même la NBA.

Regardez Luc Besson, qui réussit très bien à l'international et joue dans la cour des majors hollywoodiennes. C'est un entrepreneur qui a réussi aux Etats-Unis, ce qui admirable.

Reniez-vos le modèle français du financement du cinéma?

Pas du tout. C'est le meilleur système au monde. Il n'est pas question de le remettre en cause. Nous n'aurions jamais existé sans lui, et Le Petit Prince ne se serait jamais fait. S'il s'écroulait, nous ne produirions plus que des comédies grand public comme en Italie.

Mais ce système nous favorise presque trop. La profession se repose peut être un peu trop dessus, conduisant à certains excès. La France finit par ressembler un peu trop à une réserve d'indiens.

Le problème est que ce système infantilise le producteur: il permet de beaucoup réduire beaucoup les risques. Mais je pense que le risque ne doit pas être totalement éliminé, car cela revient à tuer l'ambition. Un film qui couvre juste son budget n'a, en réalité, pas marché. Je pense que le producteur doit décider de ce qu'il fait, des risques qu'il prend, puis les assumer. C'est lui le responsable de l'équilibre économique du projet.

C'est pour cela que j'ai trouvé hors sujet la polémique sur le salaire des acteurs. Le producteur est responsable des cachets octroyés, et personne ne le force. Au contraire, les producteurs se battent pour faire les films de Dany Boon, et sont très contents de lui verser un cachet important.

Il faut comprendre que prendre des risques ne signifie pas dilapider de l'argent n'importe comment. Mon approche est celle d'un entrepreneur et pas d'un saltimbanque. Et c'est ce que j'essaie de faire comprendre aux investisseurs extérieurs au secteur.

Les plus gros budgets du cinéma français depuis 2006 (budgets prévisionnels en euros)

Astérix aux jeux olympiques (2006): 78 millions 

Arthur et la guerre des deux mondes (2008): 69 millions

Arthur et la vengeance de Maltazard (2008): 63 millions

Astérix et Obélix: au service de Sa Majesté (2011): 61 millions

Le Petit Prince (2013): 60 millions

Babylon AD (2007): 51 millions

Taken 3 (2014): 51 millions

Océans (2008): 49 millions

Lucy (2013): 49 millions

Sur la piste du Marsupilami (2010): 39 millions

Or noir (2011): 39 millions

From Paris with love (2008): 38 millions

Taken 2 (2011): 37 millions

La belle et la bête (2013) 34 millions

Pourquoi j'ai pas mangé mon père? (2012): 32 millions

Source : CNC

Jamal Henni