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À Monaco, une cyber-monnaie pourrait faire concurrence à l'euro

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- - Valéry Hache - AFP

L'été dernier, une cyber-monnaie a vu le jour dans la principauté. Elle est soutenue par des entreprises monégasques et des start-up. Et des élus ont déposé une proposition de loi pour encadrer la blockchain servant à sécuriser cette devise.

Les crypto-monnaies peuvent-elles devenir une monnaie alternative en parallèle des monnaies traditionnelles? Si de nombreux experts de la finance en doutent, Warren Buffett en tête, des États étudient la question. En Europe, l'Estonie envisage déjà de créer un bitcoin indexé sur l'euro. La France a nommé un "Monsieur Bitcoin" pour étudier la question et partage avec l'Allemagne l'idée de réguler cette cyber-économie. Mais, discrètement, Monaco avance aussi à sa façon sur la question. Fin décembre, des députés ont déposé une proposition de loi sur la blockchain. Et, l'été dernier, un Français a créé le Monoeci (ex-MonacoCoin). Cette cyber-monnaie à l'accent monégasque est soutenue par des acteurs économiques de la Principauté.

Elle a été créée par Sébastien Icard, un développeur de Menton. Au départ son avenir n'était pas assuré. Elle a même failli disparaître aussi vite qu’elle est apparue. "Nous l’avions appelé MonacoCoin, mais peu après son lancement, les autorités monégasques nous sont tombées dessus. La Principauté n'a pas apprécié que j’utilise le nom de Monaco qui est déposé", a-t-il confié à BFMBusiness.com. "Après cette entrée en matière un peu vive, ils ont compris que le but n’était pas d'utiliser ce nom pour faire de la spéculation, mais de créer une véritable monnaie alternative qui pourrait les intéresser". Le préalable a été de trouver un nouveau nom. MonacoCoin devient Monoeci, nom latin de la principauté.

Sébastien Icard et Dimitri Jeangérard sont les cofondateurs de Monoeci (ex-MonacoCoin), une crypto-monnaie qu'ils souhaitent développer à Monaco
Sébastien Icard et Dimitri Jeangérard sont les cofondateurs de Monoeci (ex-MonacoCoin), une crypto-monnaie qu'ils souhaitent développer à Monaco © P.Samama/BFMBusiness

Aujourd’hui, Monoeci dispose de 1300 serveurs dans le monde entier, notamment en Corée du Sud, d’une puissance de calcul de plus de 50 To. Sa valeur vient de dépasser les huit dollars, soit 20 fois plus que lors de sa création en août dernier.

S'inspirer de la Maison du Bitcoin

Sébastien Icard a mis quelques années pour développer cette valeur en parallèle de son emploi de directeur technique d’un hôtel de Menton. Il s'est formé tout seul en étudiant les lignes de codes des autres crypto-monnaies et en partageant ses travaux sur les réseaux spécialisés. C’est en recevant un message de Dimitri Jeangérard, un étudiant en business international qui investit depuis quelques temps dans le Bitcoin, que cette aventure prend un tournant décisif. "Je suis de la région donc le nom [MonocoCoin à l'époque, NDLR] m’a attiré, mais pas seulement. Le code était très bien fait au point que j'ai cru qu'il avait été écrit par un expert asiatique qui sont les meilleurs du monde dans ce domaine", raconte Dimitri. "J'ai donc écrit en anglais au développeur pour lui proposer de traduire sa plateforme en français". Surprise, ces passionnés de la blockchain habitent à quelques kilomètres l’un de l’autre.

Ils se rencontrent et créent une association dans le but de faire sortir la crypto-monnaie des clichés liés à la spéculation pour créer une valeur stable, accessible et même utilisable dans la vie de tous les jours pour consommer. Il est même question de créer des distributeurs de billets pour retirer de l’argent liquide depuis un compte en crypto-monnaie.

Ils parlent du projet à des amis monégasques. L’équipe de Monoeci se renforce. Sébastien et Dimitri sont rejoints par Boris Fedoroff, président du club de e-Sport monégasque qui organise des rencontres et récompense les gagnants en Monoeci. Puis par Jean-Albert Vergnaud, organisateur d'évènements à Monaco qui veut créer un salon de la crypto-monnaie et une agence du Monoeci à l'image de la Maison du Bitcoin qui a été créée à Paris. "Philippe Rodriguez, l'un des spécialistes français de la blockchain, a accepté de nous aider à monter ce projet", précise Émile Josselin, ancien membre du cabinet d'Axelle Lemaire, qui vient de rejoindre l'équipe.

Des transactions sécurisées dans la blockchain

Des discussions sont également en cours avec des entreprises parmi lesquelles une agence immobilière, un concessionnaire auto, une société de vente et location de yacht et même une brasserie locale. "Pour beaucoup, les crypto-monnaies ne sont que des valeurs spéculatives dont il faut se méfier. Nous voulons lui donner du sens auprès du grand public", indique Sébastien Icard.

Gaspard Milazzo, CEO de Yacht Brocker, partage cette vision. Pour lui, la blockchain peut faciliter le business. "Nous avons des clients dans le monde entier et sommes soumis aux heures d’ouverture des banques donc, quand un client nous transfère son paiement en dollars mais aussi parfois dans la devise de son pays, il faut attendre quelques jours pour recevoir ce montant. Et tant que la somme n’est pas perçue, le bateau ne peut quitter le port. Les crypto-monnaies sont transférables en un clic et la blockchain sécurise les transactions", estime Gaspard Milazzo. Quant à Lorenzo Faggionato, dirigeant d’une société immobilière monégasque, le projet peut moderniser l'économie locale. "Il faut se tenir prêt à accueillir ces innovations, même si elles vont mettre du temps à s'imposer pour les transactions immobilières à cause du montant des transactions". Par contre, pour Auto Concept, le concessionnaire Volkswagen de la Principauté, les choses pourraient être plus simples.

Pour ces entreprises, il ne s'agit tout de même pas de se précipiter. Ils veulent que le système soit encadré légalement et éviter les fluctuation extravagante comme le Bitcoin en connaît. "Il ne faudrait surtout pas attirer des spéculateurs ou des fonds illicites, le Monoeci n'a pas vocation a servir de plateforme de blanchiment", précise Sébastien Icard. La Principauté est en effet sorti de la liste noire des pays mis à l'index et il ne s'agit pas d'y revenir.

Créer une Autorité Monégasque des Blockchains

C'est justement le but de plusieurs élus monégasques qui, sous la houlette de Thierry Poyet, conseiller national de Monaco (l’équivalent d’un député en France), ont déposé une proposition de loi pour encadrer la blockchain. Ce texte qui a été présenté fin décembre 2017 à surtout vocation à créer un socle pour une nouvelle économie qui pourrait moderniser profondément l'économie monégasque. Le texte a été présenté fin décembre. Le gouvernement n’a pas encore officiellement accepté d’en faire un projet, mais il partage l'idée de faire de Monaco un territoire d’innovation. En novembre dernier l'État Monégasque s'est associé à Xavier Niel pour créer l'incubateur MonacoTech. "Cet incubateur est un succès. Il soutient de nombreux projets dont certains sont liés à la blockchain, nous n’allons quand même pas laisser ces start-up quitter notre territoire lorsque leur projet sera lancé", réagit Thierry Poyet qui a aussi lancé l'association World of Blockchain. Parmi les pépites incubées à MonacoTech, Hyve qui, comme l'a dévoilé MonacoMatin, a créé un service de billetterie dans la blockchain pour éviter les contrefaçons et faciliter les transactions.

Les choses ne sont pas gagnées pour autant. Aux yeux du grand-public, la blockchain et les crypto-monnaies sont encore obscures et ont une réputation sulfureuse. "Beaucoup pensent encore que la blockchain c’est le bitcoin et que le bitcoin c’est la spéculation sauvage et la délinquance financière. C’est faux! Mais pour convaincre le public, il faut le rassurer", estime Thierry Poyet qui propose de créer une Autorité Monégasque des Blockchains (AMB) afin de veiller au respect de la législation et d'informer le public. "Il s’agit de promouvoir ces innovations dans un cadre clair, et pas seulement pour les cyber-monnaies", précise Thierry Poyet. En effet, il veut utiliser la blockchain pour la santé, les communications, la sécurité sociale, l’assurance et évoque même la création d'une identité numérique pour les résidents de la Principauté. Dans ce courant, une start-up monégasque au nom très futuriste, 10TO11, est déjà très active. Son cofondateur, Florent de Staël, a dévoilé sur BFM Business son ambition: créer une solution pour sécuriser des documents certifiés (livres de comptes, factures, bulletins de paie, carnet d'entretien de véhicules) sur la blockchain.

Thierry Poyet voit dans cette révolution technologique des opportunités pour l’économie locale qu’il ne faut pas rater. "La blockchain va contribuer au rayonnement international de Monaco" qui, grâce à ces projets, "pourrait s’assurer d’un leadership technologique dans une activité économique appelée à être déterminante dans les prochaines années". De plus en plus de monégasques en sont convaincus. Reste désormais au gouvernement et à la famille Princière de prendre une décision pour devenir, peut-être avant l’Estonie, le premier cyber-état d’Europe en se dotant d'une monnaie et d'une administration numérique.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco