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A France Télévisions, une affaire similaire à l'affaire Gallet

Patrick de Carolis lors de son procès en novembre 2016

Patrick de Carolis lors de son procès en novembre 2016 - AFP Lionel Bonaventure

A France Télévisions, une affaire de marchés publics très similaire à celle de l'affaire Gallet à l'INA a conduit à la condamnation de Patrick de Carolis à 25.000 euros d'amende et 5 mois de prison avec sursis.

"Les marchés publics ne sont ni dans mon parcours, ni dans ma culture. Je n'y ai pas été confronté avant l'INA, ça m'était totalement inconnu", assurait pour sa défense Mathieu Gallet lors de son procès pour favoritisme au sujet des marchés publics illicites passés lorsqu'il dirigeait l'INA entre 2010 et 2014.

Pourtant, à partir de juin 2011, une affaire de marchés publics très similaire a fait la une de la presse: les marchés passées par France Télévisions auprès de la société Bygmalion. Comme dans l'affaire Gallet, le dirigeant -en l'espèce Patrick de Carolis- a été condamné à de la prison avec sursis (5 mois) et à une amende (25.000 euros), et a fait appel. Comme dans l'affaire Gallet, ces marchés avaient été passés sans mise en concurrence. Comme dans l'affaire Gallet, cela violait une ordonnance prise en juin 2005, qui imposait une mise en concurrence à partir de 100.000 euros, et un appel d'offres à partir de 193.000 euros. Comme dans l'affaire Gallet, le dirigeant s'était octroyé les services d'un coûteux spin doctor -en l'occurrence Bastien Millot, dirigeant et co-fondateur de Bygmalion. Comme dans l'affaire Gallet, ces prestations comprenaient des études sur l'image du groupe (facturées 36.000 euros HT pièce), ou la rédaction de discours du dirigeant (par exemple 5.860 euros HT pour les voeux aux salariés). Comme dans l'affaire Gallet, le successeur du dirigeant -ici Rémy Pflimlin- a progressivement mis fin à ces prestations dispensables. Comme dans l'affaire Gallet, le dirigeant et son conseiller ont continué à travailler ensemble par la suite, avec des modalités différentes toutefois. Mathieu Gallet, une fois nommé à la tête de Radio France, a employé encore un an durant Denis Pingaud. De son côté, Patrick de Carolis a été payé 120.000 euros par Bygmalion pour des conseils éditoriaux sur un projet de chaîne locale en Picardie lancée par la Voix du nord. Toutefois, la réalité de ces conseils a été contestée: "Le responsable concerné de la Voix du Nord a démenti, expliquant que Patrick de Carolis n'avait fait que le mettre en contact avec Bygmalion, et avoir préparé seul la grille de programmes", indique le jugement.

2,24 millions d'euros pour Bygmalion

Toutefois, l'affaire Carolis présente aussi plusieurs différences avec l'affaire Gallet. D'abord, les montants étaient bien plus élevés: au total, 1,48 million d'euros de 2009 et 2013. En effet, les prestations fournies étaient plus larges. Ainsi, Bygmalion recevait 6.000 euros HT par mois pour rédiger les réponses aux courriers des téléspectateurs. Et 7.500 euros HT par mois pour surveiller ce qui se disait sur le web au sujet des chaînes publiques, puis rédiger une synthèse hebdomadaire. Ou bien 3.000 euros pour éditer une lettre aux parlementaires, plus 2.000 euros pour l'imprimer à 2.000 exemplaires. Ou encore 100.400 euros pour fournir des "conseils stratégiques". Ou enfin 109.000 euros HT pour "préparer des dossiers et des éléments de langage". Pire: ces contrats contenaient une clause de reconduction tacite... Au total, l'addition grimpe même à 2,24 millions d'euros si l'on ajoute les prestations fournies aux filiales de France Télévisions (MFP et la régie publicitaire), pour lesquelles une mise en concurrence n'était toutefois pas nécessaire.

Ensuite, l'affaire a été lancé par un syndicat de France Télévisions, le SNPCA CFE CGC. Tandis que l'affaire Gallet a été initiée par l'association Anticor, et par la ministre de la Culture Fleur Pellerin (qui ne s'entendait guère avec Mathieu Gallet), avec l'aide d'Agnès Saal (successeur de Mathieu Gallet à la tête de l'INA avec qui la détestation était réciproque). 

Plaider l'ignorance et l'incompétence

En outre, le système de défense a été différent. Mathieu Gallet a assumé avoir choisi son spin doctor Denis Pingaud et s'être occupé du contrat avec lui, comme l'avait démontré l'enquête. Pour sa part, Patrick de Carolis s'est défaussé sur son directeur administratif et financier de l'époque, Damien Cuier, et surtout son secrétaire général, Camille Pascal, signataire de la plupart des contrats avec Bygmalion. Guère plus courageux, Camille Pascal s'est défaussé en retour sur Patrick de Carolis et Damien Cuier. Mieux: Camille Pascal a plaidé l'incompétence, assurant n'avoir "aucune compétence dans le droit des marchés", n'ayant qu'une formation d'"agrégé d'histoire". Cette ignorance du droit public n'empêchera pourtant pas Camille Pascal de postuler avec succès au Conseil d'Etat, où il pantoufle toujours aujourd'hui, rémunéré 9.000 euros par mois... Mais, pas dupe de ces arguments, les juges ont condamné Camille Pascal à deux mois de prison avec sursis plus 15.000 euros d'amende. Ils ont notamment rappelé que Patrick de Carolis avait recruté Camille Pascal en passant outre un avis défavorable de la commission de déontologie de la fonction publique, qui estimait ce recrutement incompatible avec son poste précédent de secrétaire général du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel):

"Dans la mesure où la commission de déontologie avait donné un avis négatif, Camille Pascal se devait de faire preuve d'une particulière vigilance à l'égard de toute question de conflits d'intérêts.
Camille Pascal, en tant que secrétaire général, avait pour mission d'appréhender le contexte juridique des contrats qu'il signait et de se renseigner sur les procédures applicables.
Alors qu'il savait qu'aucune mise en concurrence n'avait été organisée, il a participé en connaissance de cause à la violation des règles de l'ordonnance du 6 juin 2005, dont il ne pouvait qu'avoir connaissance".

Clémence mystérieuse

Par ailleurs, les bénéficiaires du favoritisme ont aussi été traités différemment. Dans l'affaire Gallet, le parquet a mystérieusement choisi de ne pas renvoyer devant le tribunal ni Denis Pingaud, ni le cabinet de conseil Roland Berger. Dans l'affaire Carolis, Bygmalion et son dirigeant Bastien Millot ont été jugés et condamnés pour "recel de favoritisme" à des amendes de 60.000 et 75.000 euros respectivement, plus cinq mois de prison avec sursis pour le spin doctor.

Le jugement est même particulièrement sévère pour Bastien Millot. Il rappelle d'abord que ce spin doctor a d'abord aidé Patrick de Carolis dans sa candidature pour France Télévisions, puis en 2005 après la victoire, a été recruté comme directeur délégué chargé de la communication et de la stratégie. Il a ensuite pris un congé sabbatique à compter du 1er novembre 2008, puis un congé de créateur d'entreprise à partir de septembre 2009, et enfin démissionnera de France Télévisions en septembre 2010. Entre temps, il a créé sa société Bygmalion le 8 octobre 2008, puis signé son premier contrat avec France Télévisions le 31 octobre 2008... alors donc qu'il est toujours salarié du service public! "Vous avez donc signé un contrat avec vous-même", accusera la juge Bénédicte de Perthuis lors du procès. Pire: ce contrat du 31 octobre 2008 a mystérieusement disparu et n'a jamais été retrouvé... Au total, France Télévisions a représenté 25% du chiffre d'affaires de Bygmalion en 2009, puis 20% en 2010. Pour les juges:

"Bastien Millot a conduit son projet entrepreneurial sans prendre réellement de risque, conservant la possibilité de retrouver son poste. Le flux d'affaires récurrent de France Télévisions a permis à Bastien Millot de bénéficier d'un salaire tout à fait confortable pour un jeune créateur d'entreprise. En effet, il percevait chez France Télévisions un salaire de 170.000 euros, qui est passé à 229.000 euros de salaire déclaré chez Bygmalion en 2009".

Enfin, et non des moindres, le jugement dans l'affaire Carolis, rendu il y a un an, est passé quasiment inaperçu et n'a guère eu d'impact. Patrick de Carolis, après sa mise en examen en 2014, s'est juste vu retiré de l'antenne par Rémy Pflimlin. Après son départ de la présidence de France Télévisions en 2010, il est devenu directeur du musée Marmottan, déclarant lors de son procès 12.000 euros de revenus mensuels.

Jamal Henni