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Alcatel-Lucent est-il toujours français?

Alcatel-Lucent emploie 5.000 chercheurs en Chine et 4.700 aux Etats-Unis, mais seulement 3.000 en France

Alcatel-Lucent emploie 5.000 chercheurs en Chine et 4.700 aux Etats-Unis, mais seulement 3.000 en France - -

La France ne représente plus qu'une faible part des revenus, des effectifs et de la R&D du groupe, notamment à la suite de la fusion avec l'américain Lucent.

Alcatel-Lucent continue de se débattre dans les difficultés. Lundi 4 novembre, le constructeur a annoncé une augmentation de capital de 955 millions d'euros. Une opération très dilutive, qui faisait chuter le cours de près de 6% à mi-séance.

Surtout, le constructeur a annoncé le mois dernier un vaste plan de 10.000 suppressions de postes. Un plan vivement critiqué par le gouvernement français, qui a ensuite demandé aux opérateurs télécoms français de faire preuve de "patriotisme" en achetant des équipements à Alcatel-Lucent.

Une déclaration qui a surpris les connaisseurs. Certes, Alcatel-Lucent est toujours une société de droit français, basée à Paris. Mais cela fait bien longtemps que la France n'y pèse plus grand chose...

1 L'actionnariat

L'actionnariat est très dispersé. Le premier actionnaire est le fonds de pension américain Capital Group, avec un peu plus de 5% du capital.

Suit les fonds d'épargne de la Caisse des dépôts (3,65%), mais qui ne sont pas représentés au conseil d'administration.

Les actionnaires suivants sont le fonds de pension américain Fidelity (2,4%), le fonds de pension du gouvernement norvégien (2,1%) et le fonds spéculatif américain SAC Capital (1,7%).

Au total, les actionnaires français ne détiennent que 35% du capital, moins que les actionnaires nord-américains (36%). Une situation héritée de la fusion en 2006 avec Lucent, dont les actionnaires étaient essentiellement américains.

2 Le chiffre d'affaires

Chez SFR, Alcatel-Lucent fournit la moitié des équipements ADSL de SFR -l'autre moitié vient de Huawei. Il fournissait aussi un bout de la partie radio du réseau mobile, mais il est en train d'être remplacé par Huawei et Nokia Siemens (interrogé sur ce point, SFR répond laconiquement: "Alcatel est très présent sur le fixe, mais moins sur le mobile").

Chez Orange, Alcatel-Lucent fournit l’accès radio (2G, 3G, 4G) pour les régions ouest et sud-est, et la base de données du réseau (SDM-HLR). Côté réseau fixe, l'ex-France Télécom lui commande aussi plus de la moitié de ses équipements ADSL (DSLAM) et fibre optique en France.

En outre, l'opérateur historique a aussi conclu en juin un "partenariat" concernant les équipements fibre au palier (FTTdp) et les 'small cells' (petites cellules qui permettent de densifier le réseau mobile), selon BFM Business. "Ce partenariat représente plus de 120 emplois créés et relocalisés en France et plus de 200 préservés", indique Orange.

Mais, au total, la France ne représente que plus que 5,7% du chiffre d'affaires, loin derrière les Etats-Unis (37%), ou même la Chine (7,5%).

3 Les effectifs

A fin 2012, 9.483 salariés étaient employés dans l'Hexagone, soit 13,1% du total, derrière l'Amérique du Nord (23%) et même la Chine (14%).

Surtout, le poids des salariés français est en légère baisse (il était de 15,8% en 2007). Cela signifie que les départs ont impacté l'effectif français dans les mêmes proportions que les autres pays.

Autrement dit, les salariés français n'ont pas été "protégés" par la nationalité française de la société, ou par le droit français du travail qui rend les départs plus complexes.

4 La R&D

La France emploie 3.000 salariés en R&D, soit 15% du total. Cet effectif a reculé de 11% entre 2008 et 2012, selon Le Monde, qui indique que le constructeur est un des principaux bénéficiaires du crédit impôt recherche (84 à 93 millions d'euros par an).

Pour les autres pays, la société refuse de donner les chiffres.

Il faut donc s'en remettre à des sources industrielles, qui montrent que la R&D a déjà largement été délocalisée. En effet, un quart des effectifs de R&D est déjà en Chine, et 10% en Inde. Les Etats-Unis arrivent derrière la Chine, avec 23,5% des effectifs R&D.

5 Les rapports avec Washington et Pékin

En 2006, Alcatel-Lucent a dû donner des gages à Washington pour que la fusion avec Lucent soit approuvée. En pratique, les contrats publics américains ont été logés dans une filiale séparée, LGS Innovations, dont sont administrateurs l’ancien ministre de la Défense, William Perry, l’ancien directeur de la NSA, Kenneth Minihan, et l’ancien secrétaire d’État à la Marine, Lee Buchanan. Cette filiale a notamment obtenu des contrats en Irak et en Afghanistan, a indiqué jeudi 30 octobre l'Express.

Par ailleurs, Alcatel-Lucent est installé en Chine depuis 1984. En 2002, ses activités chinoises ont été regroupées dans Alcatel Shanghaï Bell, dont le constructeur détient 50,01%, le solde étant détenu par l'Etat chinois. Cette filiale est "la plus grande base de fabrication" du groupe dans le monde.

"Bien que la législation chinoise qui imposait le statut de joint venture au moment de l’arrivée d’Alcatel ait été abrogée, Alcatel a choisi de conserver cette co-entreprise qu’il considère comme très fructueuse [et] offre plusieurs avantages majeurs", indique un rapport de l'ambassade de France à Pékin.

Notamment, la nationalité chinoise de cette filiale lui permet d'accéder à certains avantages accordés aux constructeurs locaux, comme Huawei et ZTE. Ainsi, Alcatel Shanghaï Bell bénéficie de crédits à export des banques publiques chinoises, ou de garanties à l'export de la Coface chinoise.

NB: sauf indication contraire, tous les chiffres sont à fin 2012 et tirés des comptes d'Alcatel-Lucent.

Jamal Henni