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Arnaud Leroy (Ademe): « Notre carte bancaire, c'est plus puissant qu'un bulletin de vote! »

Arnaud Leroy a été nommé à la tête de l'Ademe en mars dernier.

Arnaud Leroy a été nommé à la tête de l'Ademe en mars dernier. - Crédit photo : J. Chiscano

Porte-parole d’Emmanuel Macron pour la présidentielle, marcheur de la première heure, Arnaud Leroy dirige l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Rénovation énergétique, gaspillage alimentaire, programmation pluriannuelle de l’énergie… il traite un large panel de sujets, au coeur de l’actualité. Nous l’avons rencontré début septembre. Portrait.

« On n’attend pas de l’Ademe qu’elle plaise et c’est ça qui est plaisant. » Dans ses locaux de Montrouge, loin, mais pas trop, du coeur du pouvoir, Arnaud Leroy assure qu’il s’épanouit dans son costume de patron de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, « à l’abri des soubresauts politiques ». Il reste l’un des dirigeants de La République en marche, mais pour l’instant, il l’assure, il est tout à son action pour la transition écologique, « engagé, mais impartial ».

Sur sa table de travail trône une tonne de dossiers. Arnaud Leroy nous reçoit en fin de journée. Dans quelques heures, il partira pour San Francisco, où il doit participer au Global Climate Action Summit. Nicolas Hulot venant de démissionner et François de Rugy ayant à peine posé ses valises à l'Hôtel de Roquelaure, c’est lui qui est envoyé pour représenter la France. Son nom a circulé comme potentiel ministrable pour ce remaniement et le précédent, mais rien. Arnaud Leroy se consacre à « essayer de faire un mandat utile à la tête de l’Ademe ».

Le rôle de l’agence est de participer à la mise en œuvre des politiques publiques pour l’environnement, l’énergie et le développement durable. Elle conseille les pouvoirs publics, les entreprises, les particuliers et les collectivités locales et elle aide au financement de projets dans plusieurs domaines comme la gestion des déchets, la mobilité, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables…

L'un des gros dossiers du moment, c’est le plan de rénovation énergétique des bâtiments. L’Ademe, qui est sous tutelle de l’Etat, a un budget total de plus de 600 millions d’euros et elle intervient pour 1,5 milliards d’euros dans les programmes d’investissements d’avenir. « On a les moyens de faire », explique Arnaud Leroy, qui estime que l’agence « travaille intelligemment avec les régions, avec les secteurs industriels qui veulent s’embarquer dans la transition écologique, avec le monde de la finance, aussi, pour trouver les bonnes informations pour les investisseurs ». Le levier d’action, selon lui, est sur la finance durable.

Franc-parler

Avant de devenir le porte-parole d'Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle et d'être celui qui « a murmuré les idées vertes à son oreille », Arnaud Leroy a été militant écologiste, puis socialiste, proche, notamment, d’Arnaud Montebourg, avec qui il partage d’ailleurs un certain franc-parler. Originaire de la région lilloise, diplômé en droit maritime et protection de l’environnement marin, il a commencé sa carrière dans les sphères européennes.

À Bruxelles, d’abord, pour un stage de six mois à la Commission. Il a ensuite été lobbyiste pendant deux mois, ce qui lui servira, dit-il, quand il sera député. « Tout n’est pas à jeter dans ce travail de lobbyiste», lance Arnaud Leroy, qui regrette qu’on soit « faux-cul » en France, à ce sujet, et qui revendique d’avoir été « parrain du concours du lobbying à l’Assemblée nationale » pour « moraliser tout ça ». Il s’explique : « Il y a quand même un sujet important qui est l’accès à l’information. Quand vous êtes député, vous avez trois collaborateurs et trois semaines pour vous exprimer sur un texte qui va définir la politique énergétique de la France… Si vous attendez simplement des données de la DGEC (Direction générale de l'énergie et du climat), ça ne marche pas… Il faut pouvoir croiser des informations! Après, bien sûr, il faut que ce soit transparent. »

Après cette (courte) expérience, en tant que lobbyiste, Arnaud Leroy a été collaborateur parlementaire chez les Verts, au Parlement européen, avec Daniel Cohn-Bendit, puis il a travaillé pendant neuf ans à l’Agence européenne de sécurité maritime (AESM), qu’il avait participé à monter après le naufrage de l’Erika. Cette agence, pour lui, « c’est l’Europe du concret, l’Europe qui fonctionne » avec notamment « le nombre d’accidents qui a baissé depuis sa création. » Il y est resté jusqu’en 2013, à Lisbonne, puis il a démissionné de la fonction publique européenne et il s’est consacré à son mandat de député pour les Français établis hors de France, dans la péninsule ibérique.

À l’Assemblée nationale, il a porté notamment la proposition de loi sur l'économie bleue (adoptée en 2016). Lors de sa nomination à l’Ademe, l’organisation professionnelle Armateurs de France a salué un « fin connaisseur de l’industrie du transport et des services maritimes ».

« On tricote de la dentelle avec ces territoires »

Arnaud Leroy est un pragmatique. « Ravi » à la tête de l’Ademe, il « se bat pour qu’on crante les choses et qu’elles ne soient pas détricotées par une majorité différente. » Il prend l’exemple de la fermeture annoncée de la centrale Fessenheim (Haut-Rhin): « Il y a, dit-il, à peu près, 3 000 personnes concernées directement. Qu’est-ce qu’on leur dit? On leur dit, comme Ségolène Royal, qu’on va mettre une usine Tesla, qu’on ne voit jamais, même pas le début d’un autocollant? On est en train de travailler. On tricote de la dentelle avec ces territoires-là. Ça prend du temps, mais on trouve une solution qui est pérenne et qui va s’installer sur 10, 15, 20 ans... C’est le temps de la transition. »

Il cite aussi le cas du secteur automobile. Nicolas Hulot a annoncé la fin du véhicule thermique pour 2040. Arnaud Leroy estime que c’est faisable, mais que cela prendra peut-être cinq ans de plus. « Ça se construit », martèle-il. Il insiste sur le rôle de chacun, en tant que consommateur : « Notre carte bleue, c’est plus puissant qu’un bulletin de vote! » Il parle cette fois de la transition agricole: « Si demain, tout le monde se met à vouloir des produits bio ou raisonnés, les gens s’adapteront! »

Résolument optimiste, il souligne les initiatives qui aboutissent, comme à Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) où a eu lieu la rénovation thermique d’une copropriété de 340 logements. « Le confort s’améliore avec 40% d’énergie en moins », explique-t-il. L'un de ses objectifs, c'est de démontrer aux propriétaire que s’ils rénovent, ils pourront vendre plus cher. Malgré l'urgence et les feux qui s'allument ça et là, le patron de l'Ademe se réjouit d’une prise de conscience générale: « Il y a assez de gens qui veulent aller de l’avant. Notre rôle, dit-il, c’est de les mettre en musique et de pousser». Mais face à l’ampleur du chantier, il prône le réalisme: « Honnêtement, ça ne se fera pas en deux jours ».

En ce qui concerne sa carrière, aussi, Arnaud Leroy, prendra le temps qu’il faut. Il a été nommé à l’Ademe pour un mandat de cinq ans. « Cinq ans, c’est long, commente-t-il. On a le temps de faire beaucoup de choses. » Il aime l’idée d’avoir plusieurs expériences : « Je fais partie de ceux, lance-t-il, qui pensent que le nouveau monde, c’est de faire monter des gens qui ne connaissent pas la politique vers la politique, mais c’est aussi important de permettre aux politiques de faire autre chose, un temps, et de continuer leur engagement ».

Arnaud Leroy ne s’en cache pas, il aime la politique. Si on lui propose le portefeuille de ministre de la Transition Écologique, « ça ne se refuse pas ». Mais « être ministre pour être ministre », ça ne l’intéresse pas. Il veut pouvoir maîtriser techniquement son sujet. « Après, sourit-il, j’ai 42 ans, donc, j’ai encore un petit peu de temps ».